Vous lisez : Embauche d’une ou d’un transfuge

Dans ce genre de situation, deux cas d’espèce peuvent se produire : vous avez sollicité un membre du personnel d’une organisation concurrente ou il vous a directement fait parvenir sa candidature.

Dans le cas où vous êtes à l’origine de ce contact, la prudence requise devra être décuplée, car on pourra toujours, quoi qu’il arrive, vous accuser d’avoir sciemment incité ce nouveau membre du personnel à rompre ses engagements de non-divulgation ou de non-concurrence. Il faut ici se rappeler que l’obligation de loyauté ne s’arrête pas avec une fin d’emploi.

Mais alors, comment conseiller une candidate ou un candidat qui s’apprête à rallier une organisation concurrente? À titre de gestionnaire, demandez-vous pourquoi embaucher une ou un transfuge. Si la première réponse qui vous vient à l’esprit est sa connaissance des affaires et des informations stratégiques concernant votre concurrence, il y a fort à parier que votre organisation est très exposée.

Si vous souhaitez embaucher une personne qui possède des compétences, une formation, une expérience et des habiletés pour faire un travail similaire à celui qu’elle réalisait dans l’organisation concurrente, vos intentions représentent la meilleure des défenses. Mais la prudence sera la meilleure conseillère. Explorez ci-dessous quelques éléments à prendre en compte.

La position et le rôle de la candidate ou du candidat
Bien évidemment, certains postes dans une organisation sont plus propices que d’autres à créer d’éventuels problèmes dans le cas de l’embauche d’une ou d’un transfuge. Les personnes occupant des postes de cadre ainsi que des postes liés aux opérations, aux stratégies d’affaires, à la recherche et au développement et aux ventes posent généralement plus de problèmes. En raison du rôle-clé qu’ils occupent dans l’organisation et des informations stratégiques auxquels ils auront accès dans le cadre de leur emploi, l’embauche de ces personnes par une organisation concurrente soulèvera d’emblée chez l’ex-employeur des craintes qu’elles ne causent de graves préjudices en révélant des informations conférant un avantage stratégique.

Il faudra donc s’attarder à la fois à la sensibilité des informations qu’elles détiennent, à l’existence possible de clauses restrictives (non-sollicitation, non-concurrence) et à l’obligation de loyauté prévue au Code civil du Québec, laquelle continuera de s’appliquer pendant un délai raisonnable à l’égard de l’ex-employeur. En fonction de ces contraintes juridiques, vous voudrez vous assurer que le candidat pourra effectivement exercer chez vous le rôle que vous souhaitez lui confier sans entraîner des risques juridiques excessifs?

Un processus de sélection prudent
Lorsque vous passez en entrevue des candidats provenant d’une organisation concurrente, vous devriez faire preuve de prudence à l’égard des questions que vous leur posez. Rechercher des informations privilégiées au hasard des questions d’une entrevue d’embauche est un processus dangereux. Une telle démarche peut rendre la personne fort mal à l’aise et la convaincre de se retirer du processus ou l’amener à révéler des renseignements pour mousser sa candidature.

Dans un cas comme dans l’autre, vous risquez d’y perdre au change. Pensez-vous que la personne qui révèle des informations dans une entrevue d’embauche est digne de confiance? Vous pourriez aussi avoir toute une surprise si vous sollicitez des candidats chez une organisation concurrente qui est une opposante de premier ordre. Qui vous dit que cette personne n’est pas en « mission » pour en apprendre plus sur vous et voir si vous essayez de lui soutirer de l’information? Imaginez la suite…

Sondez les cœurs
Dans ce genre de contexte, il faut tout d’abord comprendre les intentions de la personne qui pose sa candidature et de la ou du gestionnaire responsable de l’embauche. Si une personne travaillant dans une organisation concurrente se présente à vous pour soumettre sa candidature, il serait intéressant de comprendre pourquoi elle souhaite partir et se joindre à vous. Est-elle en conflit ouvert avec son employeur? Pourquoi votre organisation? Est-ce pour se venger de son employeur actuel de qui vous êtes la concurrente?

La préparation de la ou du gestionnaire responsable de l’embauche est très importante. Il faut sonder les intentions et les intérêts de cette personne aussi. Est-ce bien les compétences de cette personne qui l’intéressent ou seulement les informations qu’elle pourrait détenir? Quel rôle pourrait-elle jouer au sein de votre organisation? Est-ce une guerre ouverte où chaque membre du personnel débauché dans l’organisation concurrente est une victoire? Certaines rivalités d’entreprises pourraient vous surprendre. Il vous faut sonder les intentions!

Conseiller la candidate ou le candidat
Dans un autre ordre d’idée, une conversation franche avec la candidate ou le candidat semble aussi essentielle. Il faut pouvoir aborder différents sujets comme les limitations contractuelles pouvant l’empêcher d’exercer certaines fonctions chez vous. Quelles sont-elles? Quelle période et quelle zone géographique couvrent-elles? Existe-t-il une exclusion concernant des clients? Et des fournisseurs?

L’autre sujet à couvrir concerne l’entrevue elle-même. Il est important d’informer la personne qu’à aucun moment elle ne doit révéler des informations confidentielles. Les questions d’entrevue axées sur le comportement demandant de répondre par des exemples peuvent être particulièrement difficiles, puisqu’elles doivent faire référence à des situations concrètes. Il faut aussi que cette discussion ait lieu avec les personnes menant l’entretien d’embauche afin d’éviter ce genre de malaise.

Aspects juridiques : quelques conseils pratiques
L’histoire ne ment pas. L’embauche d’employés chez la concurrence a été et continue d’être une source importante de litiges qui se retrouvent rapidement devant les tribunaux, souvent dans le cadre de procédures d’injonction visant à la fois la ou le transfuge et le nouvel employeur.

Voici donc, en terminant, quelques conseils pratiques afin de réduire au minimum les risques sur le plan juridique au moment de l’embauche de transfuges :

  1. En entrevue ou dans leur lettre d’embauche, informez-les que l’entreprise n’utilise pas les informations confidentielles de la concurrence et demandez-leur précisément de ne pas en communiquer;
     
  2. Demandez-leur s’ils ont signé des engagements de confidentialité ou d’autre nature (p. ex. : non-concurrence, non-sollicitation de la clientèle) avec leur ex employeur et, le cas échéant, obtenez de tels engagements afin d’en connaître la portée;
     
  3. Ne les questionnez jamais sur les stratégies ou d’autres informations de nature confidentielle dont ils ont pris connaissance chez leur ex-employeur;
     
  4. Avisez-les que la communication ou l’utilisation d’informations confidentielles constitue une faute grave pouvant entraîner leur congédiement;
     
  5. Assurez-vous que ces personnes ont une bonne compréhension de la portée de leur obligation de loyauté à l’égard de leur ex-employeur. De façon générale, l’obligation de loyauté s’appliquera pendant une durée raisonnable de trois à six mois suivant la fin d’emploi. Par ailleurs, bien qu’en vertu de l’obligation de loyauté on ne pourra pas empêcher de façon générale ces personnes de solliciter la clientèle de leur ex-employeur, certaines balises devront être respectées. Une telle sollicitation ne devra pas être menée en utilisant des informations confidentielles ou d’autres tactiques déloyales telles que le dénigrement de leur ex-employeur;
     
  6. Dans certains cas, afin de protéger l’organisation, il pourrait être approprié d’exiger que ces personnes signent une déclaration indiquant qu’elles ne feront usage d’aucune information confidentielle acquise chez leur ex-employeur.

En définitive, l’embauche de personnes en provenance d’organisations concurrentes demeurera une affaire de prudence et de bon jugement, particulièrement lorsque ces personnes assumaient un rôle-clé chez l’organisation concurrente.

Cet article a abordé quelques éléments qui devraient généralement faire l’objet de considérations lors de l’embauche d’un transfuge. D’autres considérations légales ou stratégiques pourraient s’appliquer à une situation particulière.

La présente ne constitue pas un avis juridique.

Source : VigieRT, octobre 2016.

Ajouté à votre librairie Retiré de votre librairie