Vous lisez : Situations insolites en matière arbitrale

Voici trois sentences arbitrales rendues à la suite de situations inusitées et issues des premiers fascicules de 2009 (nos 1 à 6) du Droit du travail Express (SOQUIJ). Il est possible de consulter le texte intégral de ces sentences dans Azimut, une autre publication de la Société québécoise d’information juridique.

Commençons cette escapade jurisprudentielle avec l’examen de deux sentences arbitrales portant sur des cas de consommation de marijuana, avant de terminer par un cas de tatouage. Ces trois situations sont plutôt inusitées, mais on les retrouve néanmoins assez souvent dans certains milieux de travail.  

Un premier cas de consommation de marijuana
C’est évidemment en matière disciplinaire que la consommation de marijuana (cannabis) par un fumeur occasionnel a été examinée. La cause concerne un chauffeur d’autobus sur appel qui travaille pour une entreprise de transport de passagers à travers le Canada et aux États-Unis. Il s’agit de l’affaire Autobus Fleur de lys[1], que l’arbitre Gilles Laflamme a eu à trancher le 27 novembre 2008.

Le plaignant a consommé de la marijuana chez lui, alors qu’aucun voyage ne lui avait été assigné. Le lendemain, il a dû subir un test de dépistage. Ce test indiquant un taux d’intoxication très élevé, l’employeur a appliqué sa politique sur la « tolérance zéro » et a donc congédié le plaignant.

Cette politique a été déposée sous la cote E-4 et se retrouve ainsi reproduite au paragraphe 91 de cette sentence arbitrale :

« Par ailleurs, la Tolérance ZÉRO est appliquée en ce qui concerne la consommation d’alcool ou drogue de la part d’un chauffeur (en tout temps). À NOTER qu’à tout moment, vous pouvez être appelé pour un test de dépistage d’alcool ou de drogue. D’ailleurs, en tout temps, l’employeur peut exiger un test de drogue et alcool. Le congédiement est immédiat pour tout employé pris en délit de facultés affaiblies. »

Dans un premier temps, l’arbitre Laflamme a rejeté l’argument syndical voulant que cette politique constitue une intrusion illégale dans la vie privée d’un chauffeur d’autobus. Donnant gain de cause à la position de l’employeur, l’arbitre a jugé que l’interdiction de consommation de drogue et d’alcool ne s’applique pas seulement lorsqu’un chauffeur est sur les lieux de son travail, mais bien en tout temps, d’autant plus que le plaignant travaillait sur appel et qu’il devait donc être constamment disponible.

Dans un deuxième temps, l’arbitre Laflamme a rejeté l’argument du plaignant selon lequel ce dernier disait ignorer l’interdiction de consommer des drogues, en raison de la distribution de la politique Tolérance ZÉRO lors d’une réunion à laquelle le plaignant avait assisté de même que tous les autres chauffeurs à l’emploi.

Un deuxième cas de consommation de marijuana
Le deuxième cas de consommation de marijuana implique cette fois-ci la section locale 1500 d’Hydro-Québec[2]. La sentence arbitrale a été rendue par Pierre Laplante, le 5 janvier dernier.

Au total, quatre mesures disciplinaires ont été imposées à ce plaignant, allant d’une suspension d’une journée au congédiement, lesquelles mesures ont toutes été maintenues. Le plaignant était un ouvrier civil temporaire, qui effectuait un stage dans une centrale hydroélectrique, mais qui, malgré ses nombreuses absences et retards injustifiés, a vu son stage prolongé afin de l’aider à obtenir un poste permanent.

L’arbitre Pierre Laplante a d’abord écarté, parmi les facteurs atténuants invoqués par le plaignant, sa jeunesse malheureuse, la perte de ses parents et ses problèmes avec son ex-conjointe. Il a jugé que ces facteurs étaient stressants, mais qu’ils ne constituaient toutefois pas une excuse valable à ses manquements réguliers échelonnés sur une très longue période.

À ce sujet, on peut lire au paragraphe 92 de cette sentence arbitrale qu’il :

« […] n’a pas été démontré que ces facteurs stressants ont handicapé le plaignant au point de le rendre inapte. De plus, le plaignant n’était pas démuni. Il pouvait recourir au programme d’aide aux employés (PAE). D’ailleurs, non seulement était-il au courant de l’existence de ce programme d’aide aux employés, mais il l’avait déjà utilisé dans le passé. »

Après avoir entendu le médecin expert et après avoir jugé qu’aucune preuve soumise ne lui permettait de conclure à l’existence de l’intoxication engendrée par une consommation abusive de marijuana ayant créé une dépendance physique et psychique chez le plaignant, l’arbitre Pierre Laplante a rejeté la défense de toxicomanie invoquée par le plaignant.

Enfin, un cas de tatouage
Le troisième cas que nous examinerons concerne de nouveau un chauffeur d’autobus, mais cette fois, au service de la Société de transport de Laval[3]. Nous nous référons ici à la sentence arbitrale rendue par Denis Tremblay, le 31 juillet 2008, laquelle a été publiée en ce mois de février.

Le plaignant dans cette affaire a été embauché en 1990, alors qu’il portait déjà de nombreux bracelets, bagues et boucles d’oreille. Au début 2008, il s’est fait tatouer le côté droit du visage, sans demander la permission à l’employeur, imitant de la sorte deux de ses collègues. Dans sa politique sur les normes vestimentaires, connue de tous les salariés, l’employeur se positionne très clairement à ce sujet. Notamment, en mentionnant que les employés sont en contact permanent avec les usagers du système et que :

« ce contact important nécessite l’application de certaines règles sur le plan de la tenue vestimentaire et de l’apparence générale du personnel. L’image de la STL passe beaucoup par l’impression donnée par ceux et celles qui offrent directement ou indirectement le service de transport en commun. »

Par contre, l’employeur a réglementé la coiffure, le maquillage, les insignes, les épingles et les bijoux, mais il a omis de se prononcer sur les tatouages.

En avril 2008, l’employeur a muté temporairement le plaignant à un autre poste et, dans l’intervalle, l’a intimé de faire enlever son tatouage s’il voulait conserver son poste. Le plaignant a répliqué en contestant cette mesure qui, selon lui, viole les libertés fondamentales et restreint son droit à la vie privée ainsi que sa liberté d’expression.

Tout en reconnaissant que l’employeur avait le droit de décider de l’image qu’il veut projeter auprès de sa clientèle, l’arbitre Denis Tremblay lui a toutefois reproché de ne pas avoir agi avec diligence et a donc accueilli le grief contestant la réaffectation temporaire.

Contre toute attente, il a même ajouté qu’il avait pris en considération le fait que la seule façon pour le plaignant de camoufler son tatouage permanent :

« […] est de le faire enlever par de longs traitements (deux ans ou moins), douloureux et coûteux (S-6) et pendant lesquels le plaignant ne pourrait agir comme chauffeur […] »[4].

Cette revue jurisprudentielle se termine donc sur cette note inattendue. Même si ces trois situations peuvent sembler inusitées, on les retrouve tout de même assez souvent dans certains milieux de travail.

Me Diane Sabourin, CRIA, arbitre de griefs

Source : VigieRT, numéro 35, février 2009.


1 Union des employées et employés de service, section locale 800 c. Autobus Fleur de lys (René Deschênes), résumé dans Droit du travail Express, no DTE 2009T-15 et publié dans Azimut, n° AZ-50523579 (17 pages).
2 Syndicat des employées et employés de métiers, section locale 1500 c. Hydro-Québec (Sébastien Poirier), résumé dans Droit du travail Express, no DTE 2009T-94 et publié dans Azimut n° AZ-50528676 (30 pages).
3 Syndicat des chauffeurs de la STL c. Société de transport de Laval (André Courchaine), résumé dans Droit du travail Express no DTE 2009T-92 et publié dans Azimut n° AZ-50529894 (26 pages).
4 Ibid., note 4, au paragraphe 119.
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