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Cet article présente une décision sur la validité d’un code disciplinaire, contesté pour des allégations de violations à la convention collective et aux droits de la personne et pour des dispositions jugées déraisonnables. Un code disciplinaire pour les pompiers contesté

Le 12 janvier dernier, l’arbitre Joëlle L’Heureux a rendu une décision intéressante portant sur la validité d’un code disciplinaire dans l’affaire Association des pompières et pompiers de Gatineau et Gatineau (Ville de) (grief syndical), DTE 2010-T-114.

Cette décision fait suite au grief déposé par le Syndicat de l’Association des pompières et pompiers de Gatineau contestant ab initio le Code disciplinaire des employés du service de sécurité incendie de la Ville de Gatineau (ci-après appelé le « code disciplinaire ») adopté par le conseil municipal de la Ville de Gatineau, le 4 décembre 2007.

Dans le cadre du grief, le Syndicat reconnaît le pouvoir de l’employeur d’adopter un code disciplinaire, mais conteste notamment la validité de certaines dispositions en alléguant soit une violation à la convention collective, soit le caractère déraisonnable desdites dispositions ou encore leur contravention à la Charte des droits et libertés de la personne.

L’arbitre L’Heureux précise que le rôle du Tribunal d’arbitrage saisi d’une contestation de la validité ab initio d’une politique a été très bien déterminé par l’arbitre Jean-Pierre Lussier dans l’affaire Shell Canada ltée et Travailleurs unis du pétrole du Canada, section locale 121 du SCEP (grief syndical), DTE 2010T-68. L’arbitre Lussier y explique ce qui suit :

« [44] Le premier paramètre vise les conditions de validité d’une politique. Et, à ce sujet, la décision arbitrale la plus souvent citée est connue sous le nom de KVP. Elle énonce que, pour qu’une politique unilatéralement imposée par l’Employeur soit valide, elle doit satisfaire à six préalables. Elle doit être compatible avec la convention collective; elle ne doit pas être déraisonnable; elle doit être claire et non équivoque; elle doit être portée à l’attention des salariés avant de la leur appliquer; les salariés doivent être avisés qu’une contravention peut entraîner une mesure disciplinaire; et elle doit être appliquée de façon constante.

« [45] Lorsqu’il s’agit de décider non pas du bien-fondé d’une mesure disciplinaire, mais uniquement de la validité ab initio d’une politique, seules les deux premières conditions énoncées par l’arbitre Robinson dans KVP sont pertinentes, c’est-à-dire la compatibilité avec la convention collective et la non-déraisonnabilité.

« [46] J’ajouterai pour ma part que la compatibilité de la politique doit exister non seulement par rapport à la convention collective, mais également avec la loi. Dans le cas qui nous concerne, il m’apparaît évident que si la politique de Shell n’est pas compatible avec la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après appelée la Charte), elle ne pourra être validée. »[1]

Puisque le grief déposé par l’Association des pompières et pompiers de Gatineau conteste uniquement la validité ab initio de certaines dispositions du code disciplinaire et non leur application, la question en litige consiste à déterminer si les dispositions visées du code disciplinaire sont compatibles avec la convention collective de travail applicable et avec la Charte des droits et libertés de la personne et si elles ont un caractère déraisonnable à leur face même.

L’une des clauses contestées par le Syndicat vise à obliger un salarié à dénoncer un de ses collègues susceptible d’avoir commis une faute disciplinaire ou d’avoir compromis la sécurité du public. Cette même disposition prévoit également la nécessité de participation et de collaboration à une enquête relative à un tel comportement fautif. L’arbitre L’Heureux conclut à la légalité d’un tel système de dénonciation de ses collègues lorsque la santé et la sécurité de l’ensemble des salariés est mise en danger. Au surplus, l’arbitre fonde sa décision sur la nature même de la profession de pompier qui exige implicitement une diligence suprême en matière de sécurité, non seulement des salariés, mais aussi de l’ensemble des intervenants et des citoyens.

Rappelons qu’une disposition similaire avait fait l’objet d’une décision rendue par l’arbitre Lussier le 2 décembre 2009 dans l’affaire Shell précitée. La disposition portant sur la dénonciation était, dans l’affaire Shell, incluse dans une politique en matière de drogue et d’alcool. L’arbitre Lussier avait décidé qu’une telle politique pourrait validement imposer une obligation de dénonciation du problème de drogue ou d’alcool d’un collègue, lorsque ce dernier occupe un « poste critique » pour sa propre sécurité et pour celle des autres salariés. Il reste à saisir cependant si une telle obligation de dénonciation pouvait être jugée raisonnable en l’absence de danger par la santé et la sécurité des salariés.

En sus, le Syndicat prétend que la section du code disciplinaire portant sur les normes de comportement des salariés, selon laquelle ils doivent en tout temps faire preuve de dignité et présenter un comportement les mettant à l’abri de toute critique ou accusation pouvant entacher l’image de l’employeur, est déraisonnable. À ce sujet, l’arbitre conclut qu’il n’est pas abusif pour un employeur d’exiger qu’un pompier, même s’il n’est pas en service, n’agisse pas de façon pouvant entacher l’image de l’employeur, le tout devant être analysé selon les circonstances de chaque cas.

Plus particulièrement, l’arbitre L’Heureux a eu à se prononcer sur le caractère raisonnable d’une disposition du code disciplinaire voulant que les pompiers doivent en tout temps, lorsqu’ils sont en devoir ou lorsqu’ils portent leur uniforme, « s’abstenir d’être sous l’influence de boissons alcoolisées ou d’exhaler une odeur de boisson alcoolisée ou d’être sous l’influence de toute substance pouvant produire l’ivresse, l’affaiblissement ou la perturbation des facultés ou l’inconscience ».

Sur cette question, le Syndicat plaide notamment qu’un employeur ne peut utiliser ses droits de gérance lorsque les salariés ne sont pas dans l’exercice de leurs fonctions. Il précise que, si un comportement est interdit, des limites doivent être prévues quant à la portée du code disciplinaire.

L’arbitre L’Heureux, tout en concluant à la validité d’une telle clause, précise néanmoins que l’employeur n’empêche pas les salariés de consommer quelque boisson alcoolisée que ce soit, mais limite cette interdiction au moment où le salarié est en devoir ou lorsqu’il porte l’uniforme fourni par l’employeur. L’arbitre précise que cette disposition encourage les pompiers à ne pas porter leur uniforme pour exercer des activités à caractère privé, afin d’éviter de ternir l’image du service d’incendie.

Le Syndicat conteste également les dispositions du code disciplinaire limitant les interventions publiques des salariés au sujet des opinions politiques et limitant les critiques envers l’employeur. Le Syndicat soutient que ces dispositions contreviennent directement à la liberté d’expression, liberté fondamentale protégée par la Charte des droits et libertés de la personne.

À cet égard, l’arbitre rappelle que les tribunaux ont reconnu que l’obligation de loyauté d’un salarié envers son employeur permettait de limiter la liberté d’expression sans contrevenir à la Charte. Chaque situation devra être prise en compte pour déterminer s’il y a eu non-respect de la Charte. Par conséquent, l’arbitre conclut encore une fois à la validité d’une telle clause en fondant sa décision sur l’absence de fondement factuel permettant de conclure à une incompatibilité avec la Charte.

En dernier lieu, l’arbitre de griefs réitère le fait qu’un employeur peut, en se fondant sur ses prérogatives de gestion, instaurer un code disciplinaire, et ce, en s’assurant qu’une telle politique est conforme à la convention collective de travail applicable ainsi qu’à la Charte des droits et libertés de la personne.

Il faut comprendre que la décision de l’arbitre L’Heureux concerne une entreprise de services publics. Bien que l’on puisse en appliquer les principes dans une entreprise du secteur privé, il faut demeurer prudent et ne pas importer automatiquement les enseignements de l’arbitre L’Heureux sans faire les nuances nécessaires.

Me Sylvain Chabot, CRIA, et Me Jocelyn Rancourt du cabinet Ogilvy Renault

Source : VigieRT, numéro 47, avril 2010.


1 Shell Canada ltée et Travailleurs unis du pétrole du Canada, section locale 121 du SCEP (grief syndical), DTE 2010T-68, pages 5 et 6.
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