Vous lisez : Un employé sans permis de travail valide peut-il être indemnisé par la CSST?

Le Québec accueille annuellement près de 50 000 immigrants. Parmi ceux-ci, un nombre de plus en plus important ont un statut temporaire ou revendiquent le statut de réfugié. Malgré la précarité de leur statut, plusieurs occupent un emploi au Québec, ce qui, par ailleurs, nous permet de combler des besoins en main-d’œuvre dans notre société où la population active est en déclin.

Cependant, avant de pouvoir travailler ici légalement, ils doivent obtenir un permis de travail valide, et ce, en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés[1] (ci après la « LIPR ») et de son Règlement. Il convient de noter qu’en vertu de cette même loi, l’employeur a aussi l’obligation de s’assurer que les personnes qu’il embauche sont munies d’un permis de travail leur permettant d’occuper l’emploi convoité, et ce, sous peine de sanctions importantes.

Par ailleurs, il existe plusieurs situations et raisons pour lesquelles une personne peut se retrouver en situation d’illégalité, à savoir, exercer un emploi rémunéré sans permis de travail valide. Par exemple, il peut s’agir d’une personne qui a été titulaire d’un permis de travail valide, mais qui a négligé de le renouveler ou encore qui n’a pas respecté les restrictions qui y sont prévues.

Que se passe-t-il alors si une personne se trouvant dans une telle situation d’illégalité se blesse au travail? Peut-elle bénéficier de l’application de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (ci-après la « LATMP »)?

La Commission des lésions professionnelles (ci-après la « CLP ») a eu à se pencher récemment sur cette question, et nous présentons ici un résumé des décisions récentes à ce sujet.

Tout d’abord, il importe de rappeler que pour pouvoir être indemnisé par la CSST, un individu doit être considéré comme un « travailleur » au sens de la LATMP et avoir été victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle au Québec[2].

La notion de « travailleur » est définie à l’article 2 de la LATMP en ces termes :

« Article 2

Dans la présente loi, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par :

« ‘travailleur’ : une personne physique qui exécute un travail pour un employeur, moyennant rémunération, en vertu d'un contrat de travail ou d'apprentissage(…). »

Jusqu’à tout récemment, le tribunal refusait de reconnaître le statut de « travailleur » à un individu qui n’était pas titulaire d’un permis valide. En effet, la CLP était d’avis que si un individu contrevenait à la Loi sur l’immigration, qui est une loi fédérale d’ordre public, le contrat de travail conclu avec l’employeur devait alors être considéré comme de nullité absolue.

Toutefois en 2005, dans l’affaire Henriquez et Aliments Mello et CSST[3], la CLP a, pour la première fois, ouvert une brèche dans ce raisonnement en reconnaissant à un individu non titulaire d’un permis de travail valide, le droit d’être considéré comme un « travailleur » au sens de la LATMP.

Les faits dans cette affaire sont les suivants : l’homme, alors en attente d’une décision sur sa demande de reconnaissance de statut de réfugié, travaillait sans posséder de permis de travail valide. En effet, il n’en avait jamais fait la demande, croyant ne pas en avoir besoin puisque son employeur, au moment de l’embauche, avait seulement exigé un numéro d’assurance sociale.

Il fut victime d’une lésion professionnelle et présenta une réclamation à la CSST, laquelle refusa de l’indemniser puisqu’il n’était pas titulaire d’un permis de travail valide. À la suite de cette décision qu’il a contestée, il a fait les démarches nécessaires pour obtenir un permis, lequel lui a été accordé.

Dans l’analyse de la contestation, la CLP reprend l’approche sur la théorie de la nullité des contrats retenue dans l’arrêt Still c. Canada (ministère du Revenu)[4] rendu par la Cour fédérale, laquelle a conclu, en fonction de l’évolution en droit civil québécois, qu’il n’est pas toujours approprié d’annuler un contrat qui contrevient à une disposition d’ordre public.

Dans cette décision, la CLP a soupesé divers éléments, comme les objectifs de la LIPR et de la LATMP, la bonne foi ou non de l’individu, le caractère disproportionné ou non de ne pas bénéficier de l’application de la LATMP eu égard à l’infraction commise et enfin, elle s’est interrogée sur la question de savoir s’il était dans l’intérêt public de priver le requérant de la protection de la LATMP.

En application de ces critères, elle a jugé que le requérant était de bonne foi, car il ne s’était pas comporté en immigrant illégal. En effet, il avait déclaré ses revenus et payé des impôts. Aussi, la CLP a considéré que les conséquences pour lui d’être privé de la protection de la LATMP sont plus graves que les peines qu’il pourrait encourir en vertu de la LIPR.

Enfin, elle a considéré que depuis l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions du Code civil du Québec, même s’il fallait conclure à la nullité absolue du contrat de travail, celui-ci continue de produire des effets jusqu’à ce qu’un tribunal civil compétent en ait prononcé la nullité, ce qui n’avait pas eu lieu en l’espèce.

Récemment, la CLP a depuis rendu deux décisions[5] qui reprennent cette interprétation.

Dans la décision Cornejo, un homme de nationalité mexicaine s’est présenté au Canada pour obtenir un statut de personne à protéger et il a obtenu un permis de travail valide pour deux ans. Au cours de cette période, il a été embauché par l’employeur.

À l’expiration du permis de travail, l’employeur a mis à pied le requérant jusqu’à ce qu’il ait obtenu le renouvellement de son permis. Toutefois, avant qu’il ne l’obtienne, la Commission de l’immigration du statut de réfugié a rendu une décision accueillant sa demande d’asile.

Compte tenu de cette réponse positive, l’employeur lui a indiqué qu’il pouvait réintégrer ses fonctions. Son permis de travail a par la suite été renouvelé. Toutefois, à l’expiration de ce dernier renouvellement, le requérant n’a pas fait une deuxième demande. Il était convaincu qu’il n’avait pas à le faire puisque sa demande d’asile avait été accueillie.

Par la suite, il a déposé une réclamation à la CSST accompagnée d’une attestation médicale, et c’est au moment où la CSST a refusé de l’indemniser qu’il a été informé qu’il aurait dû obtenir un deuxième renouvellement de son permis de travail, ce qu’il s’est dès lors empressé de faire.

Le juge cite dans sa décision de longs passages de l’affaire Henriquez et conclut que le requérant a toujours été de bonne foi, car il croyait sincèrement, compte tenu de l’obtention de son statut de réfugié et de la conduite de l’employeur, qu’il n’avait plus besoin d’un permis de travail. De plus, puisque aucune cour supérieure n’avait déclaré son contrat de travail nul de nullité absolue, il continuait de produire ses effets. Selon le juge, l’ensemble des éléments propres à la reconnaissance du statut de « travailleur » est donc présent.

Dans la décision Augustin[6],il s’agit d’une requérante de nationalité haïtienne qui arrive au Canada afin d’obtenir un statut de personne réfugiée. Elle a obtenu un permis de travail valide pour une période déterminée au cours de laquelle, elle obtient un emploi à titre de préposée aux bénéficiaires.

Après l’expiration de son permis et avant toute demande de renouvellement, madame fait une chute à son travail et se blesse. Elle déclare immédiatement l’événement, consulte et fait une réclamation à la CSST. Celle-ci refuse de l’indemniser lorsqu’elle constate que son permis de travail est expiré au moment de l’accident, et qu’aucune demande de renouvellement n’a été déposée au moment de la réclamation.

Dans l’analyse du dossier, le tribunal fait siens les motifs énoncés dans l’affaire Henriquez et conclut ainsi :

« [38] Dans le présent dossier, madame Augustin, dont le statut de réfugiée a été reconnu, a toujours été de bonne foi et elle a fait des démarches auprès d’une avocate avant l’expiration de son permis de travail le 11 février 2010. Le formulaire de demande de renouvellement de permis lui est transmis par cette dernière le 23 février 2010, soit après la date d’expiration dudit permis et madame Augustin, croyant qu’elle devait débourser des frais, tarde à transmettre sa demande de renouvellement. Madame Augustin a d’ailleurs posté sa demande de renouvellement de permis dès qu’elle a été informée qu’elle n’avait à débourser aucun frais, et ce, avant qu’elle ne soit contactée par l’agent de la CSST au sujet de sa réclamation et avant que celui-ci prenne la décision de refuser sa réclamation en raison de l’expiration de son permis de travail.

[39] Pour les mêmes motifs que ceux exprimés dans l’affaire Henriquez, la Commission des lésions professionnelles estime que les conséquences pour madame Augustin de la sanction que constitue le fait d’être privée des bénéfices de la LATMP sont plus graves que les peines qu’elle pourrait encourir en vertu de la LIPR; cette sanction revêt ici un caractère disproportionné, dans les circonstances du présent dossier.

[40] Finalement, tel que l’indique la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Henriquez, même si la Commission des lésions professionnelles avait conclu à la nullité absolue du contrat de travail de madame Augustin avec C.A. Résidence Rive-Soleil inc., en vertu du Code civil du Québec, le contrat conclu en contravention d’une loi prohibitive ou d’ordre public produit des effets jusqu’à ce qu’il soit « frappé de nullité ». Or, en l’espèce, au moment de l’événement du 14 avril 2010, aucun tribunal compétent n’avait prononcé la nullité de ce contrat et il a ainsi produit ses effets. L’entente intervenue entre les parties en comité de relation de travail ne change rien à cette situation et ne lie d’aucune façon le présent tribunal. »

En conclusion, cette approche adoptée par la CLP dans ses décisions récentes risque d’être de plus en plus reprise et paraît conforme à l’objet de la loi d’ordre public qu’est la LATMP, soit « la réparation des lésions professionnelles et les conséquences qu’elle entraîne pour les bénéficiaires », et ce, au sein d’un régime établi sans égard à la faute.

Par ailleurs, il convient de rappeler qu’elle s’applique également à des travailleurs québécois qui se retrouvent dans des situations d’illégalité, par exemple, lorsque leurs revenus ne sont pas déclarés ou lorsqu’ils exercent un métier sans avoir les compétences requises.

 

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Source : VigieRT, avril 2012.


1 L.C. 2001, ch. 27, art 30
2 Article 7 de la LATMP
3 [2005] C.L.P. 1617
4 [1998] 1 C.F. 549.
5 Cornejo et Viande et aliments Or-Fil (Les), CLP 20 juillet 2011, 404478, M. Laroucher.
6 Augustin et CA Résidence Rive-Soleil inc., CLP 10 août 2011, 423845, D. Gruffy.
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