Vous lisez : Un employeur doit verser des dommages moraux de 4 000 $

Plusieurs employeurs demandent aux personnes qu’ils passent en entrevue d’embauche de remplir des questionnaires médicaux afin de s’assurer qu’elles sont aptes à pourvoir un poste. Est-ce toujours légal? Cela dépend. En effet, ces questionnaires doivent être conformes aux dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne (ci après la « Charte »). 

Notamment, les questions doivent être reliées aux aptitudes nécessaires pour le travail. Selon une décision très récente, si le questionnaire est trop intrusif et que les questions n’ont aucun lien avec le travail, la personne pourrait réclamer des dommages moraux pour compenser le préjudice subi.

Les faits

Le 16 janvier 2017, le Tribunal des droits de la personne (ci-après le « TDP ») a rendu une décision importante sur ce sujet dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.A.) c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (Centre de santé et de services sociaux de Thérèse-de-Blainville)[1].

La plaignante a soumis sa candidature pour le poste de psychologue en santé mentale auprès d’adultes au Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (ci-après l’« employeur »). Une des étapes de son processus de sélection et d’embauche impliquait que les personnes passant l’entrevue devaient remplir un questionnaire médical. Après avoir rencontré la personne en question, une infirmière ou un infirmier évaluait les réponses. Il en découlait une recommandation au comité de sélection par rapport à l’aptitude de la candidate ou du candidat à satisfaire aux exigences du poste.

La plaignante a suivi ce processus et a même été convoquée pour une deuxième entrevue. Cependant, elle a décidé de retirer sa candidature en raison du contenu du questionnaire médical qu’elle trouvait choquant. Selon la plaignante, le questionnaire de huit pages était très intrusif, parce qu’il contenait des questions ouvertes, non limitées dans le temps, et portait sur tous les systèmes physiologiques. À son avis, il n’y avait aucun lien entre les questions et la profession de psychologue. La plaignante souffre d’une condition médicale particulière qu’elle a dû dévoiler dans le questionnaire ainsi que d’autres renseignements personnels, comme le nom de ses médecins traitants. La plaignante « a craint que si le poste lui était offert, son nouvel employeur puisse lui formuler des demandes contraires à ses valeurs »[2]. Se sentant humiliée et trompée par les questions posées, elle n’a eu d’autre choix, à son avis, que de retirer sa candidature.

La plaignante a considéré qu’elle a « perdu » cette occasion à cause du questionnaire intrusif et a déposé une plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (ci-après la « Commission »). Elle a allégué dans sa plainte que l’employeur a enfreint les articles 4, 5, 10 et 18.1 de la Charte qui se lisent comme suit :

« 4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

18.1. Nul ne peut, dans un formulaire de demande d’emploi ou lors d’une entrevue relative à un emploi, requérir d’une personne des renseignements sur les motifs visés dans l’article 10 sauf si ces renseignements sont utiles à l’application de l’article 20 ou à l’application d’un programme d’accès à l’égalité existant au moment de la demande. »

La Commission, qui représente les intérêts de la plaignante, a réclamé des dommages moraux et des dommages punitifs, de même qu’elle a demandé que le TDP émette plusieurs ordonnances au sujet du questionnaire.

Le questionnaire

Au moment de l’audience, l’employeur a admis que le questionnaire rempli par la plaignante n’était pas conforme aux articles 4, 5, 10 et 18.1 de la Charte pour le poste de psychologue. Cependant, la TDP a tout de même fait une analyse dudit questionnaire et formulé le commentaire suivant :

« [136] La lecture du Questionnaire médical révèle en effet que plusieurs des questions qu’il contient ne sont pas directement et rationnellement par rapport aux aptitudes ou aux qualités requises pour un poste de psychologue.

[137] Il en est ainsi concernant les questions sur l’âge du candidat, le nom de ses médecins traitants ou spécialistes ou même le nom des autres professionnels de la santé consultés. Il faut en arriver à la même conclusion concernant les questions ouvertes sur les blessures, accidents, maladies, médicaments ainsi que concernant la revue systématique de l’entièreté des systèmes du corps humain, sans perdre de vue que ces questions constituent également une intrusion injustifiée dans la vie privée du postulant.

[138] Par question ouverte, il faut entendre des questions à formulation très large qui requièrent des informations qui ne sont pas ciblées dans le temps. Ainsi, une question telle que “Avez-vous déjà été hospitalisé?” est non seulement sans lien avec le poste de psychologue, mais de plus, par sa formulation beaucoup trop large, constitue une atteinte au droit à la vie privée du postulant. »

La TDP a formulé l’avis selon lequel le questionnaire rempli par la plaignante contrevenait à la Charte en ce qui concerne plus spécifiquement le poste de psychologue qu’elle désirait occuper.

Les ordonnances

La Commission a demandé à la TDP d’émettre plusieurs ordonnances. Notamment, elle a réclamé que le questionnaire soit révisé par l’employeur et qu’il soit uniquement soumis après qu’une offre conditionnelle soit formulée. Malgré le fait que l’employeur ait déjà modifié le questionnaire, la TDP a ordonné que le formulaire soit révisé, mais uniquement pour le poste de psychologue. À la date de l’audience, l’employeur ne remettait le questionnaire que lorsqu’une offre conditionnelle était formulée.

La Commission a également demandé que l’employeur ne conserve plus les questionnaires remplis par d’autres candidats, considérant qu’ils sont illégaux. La TDP a ordonné que le questionnaire rempli par la plaignante uniquement soit détruit, puisque l’admission de l’employeur quant à l’illégalité du document concernait seulement celui-ci.

Les dommages

La Commission a aussi réclamé 8 000 $ à titre de dommages moraux et 10 000 $ à titre de dommages punitifs. Considérant le fait que la plaignante a été choquée par le caractère intrusif du questionnaire, la TDP a accueilli la demande de compensation pour les dommages moraux. Cependant, à cause de l’absence d’une preuve élaborée du préjudice causé, elle a réduit le montant à 4 000 $. La TDP a refusé d’octroyer des dommages punitifs, car il y avait absence d’atteinte illicite et intentionnelle des droits fondamentaux de la plaignante.

Conclusion

À la lumière de cette décision, la leçon à retenir pour les employeurs est qu’au moment de rédiger des questionnaires médicaux de préembauche, la prudence est de mise. Si les questions n’ont aucun lien avec le poste concerné, le questionnaire pourrait fort probablement être déclaré illégal, et l’employeur pourrait être condamné à payer des dommages compensatoires.

Source : VigieRT, octobre 2017.

1 2017 QCTDP 2.
2 Id. par. 44.
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