Vous lisez : Un secret qui n'en est pas un

L’article de Judith Lachapelle intitulé Chut! Ne le dites à personne[1] est révélateur et combien fondé. En effet, dire à des jeunes d’une classe : « c’est un secret, et il ne faut pas en parler aux élèves des autres niveaux », c’est suffisant pour déclencher chez eux un besoin urgent de divulguer l’information. Ce phénomène n’est pas observé que chez les enfants; plusieurs adultes réagissent de la même manière. C’est un peu comme le dicton Confiez vous à votre coiffeur et tout le quartier le saura!

Sans grande surprise, le milieu de travail ne fait pas exception à la règle. De fait, il s’agit de l’un des endroits où les confidences sont le moins bien gardées. En outre, au travail, les secrets alimentent les rumeurs, ce qui peut entraîner des répercussions dévastatrices non seulement pour ceux qui sont concernés, mais également pour les membres de leur entourage familial et professionnel.  

En matière de harcèlement psychologique en milieu de travail, par exemple, la confidentialité des renseignements relatifs à une plainte revêt un caractère crucial. Plusieurs politiques contre le harcèlement précisent cette question, mais les employeurs se doivent de répéter leurs attentes en matière de confidentialité, notamment lorsque les parties et les témoins sont convoqués dans le cadre d’un processus interne d’enquête administrative. C’est aussi précisément pour cette raison que la majorité des enquêteurs désignés font signer, si cela n’a pas été fait avant, un engagement de confidentialité aux déclarants et aux observateurs susceptibles d’accompagner les parties lors des entrevues et que, parfois, certains employeurs hésitent avant de permettre à un enquêteur de rencontrer un témoin qui a quitté l’organisation ou un tiers parce qu’ils ont moins de maîtrise sur ses agissements qu’ils en auraient sur ceux d’un employé.

Ainsi, malgré toutes ces précautions, pourquoi entendons-nous régulièrement dire que « tout le monde est au courant »?

Outre le fait que la nature humaine est curieuse et que le potinage va bon train, surtout en milieu de travail, les manquements à la confidentialité sont souvent causés par l’absence de consigne, le manque de clarté de celle-ci ou une incompréhension des buts recherchés en y recourant ainsi que des conséquences possibles de tels écarts, plutôt que par un désir de faire fi des responsabilités et des obligations de discrétion.

Prenons l’exemple suivant : un employé estime être victime de harcèlement psychologique. Il se confie à Pierre et à Jeanne pour connaître leur point de vue. Il en profite pour demander à Jeanne si elle accepterait de venir témoigner en sa faveur. Par la suite, Pierre décide d’en glisser un mot à Jacques, près des casiers. Tous deux croyaient être seuls, mais France entend des bribes de leur conversation. Elle ne dit rien sur le coup, mais le lendemain, elle en parle, en secret, à Claude. En quelques minutes, heures ou jours selon le cas, l’effet boule de neige sévit et plusieurs personnes sont au courant de la situation. Pire encore, l’information transmise sera souvent modifiée en passant de l’un à l’autre, et ce qui aurait dû ne pas être révélé, deviendra « le » sujet de conversation, durant les pauses et même pendant les heures de travail. Pour rendre cet exemple plus complexe, voire proche de la réalité, on pourrait aussi imaginer que quelqu’un du groupe décide d’en parler à ses « amis » sur les réseaux sociaux.

Vous souvenez-vous du jeu du secret à l’oreille? Une première personne chuchote une phrase à la seconde et ainsi de suite. Le but est de voir comment a évolué la phrase initiale. Que de surprises lorsque la dernière personne autour de la table révèle, à voix haute, ce qu’elle vient d’entendre! La même chose se produit sur les lieux de travail, et les rumeurs, souvent déformées et non fondées, favorisent le clivage au sein d’un groupe.

Pour diminuer les risques et éviter des dérapages en ce qui concerne la gestion de l’information, les employeurs doivent donc prendre le temps d’expliquer de façon claire aux employés quelles sont leurs attentes par rapport à la confidentialité et, surtout, ne pas hésiter à intervenir dès qu’ils savent que des rumeurs circulent, qu’elles soient fondées ou non.

Les personnes en autorité doivent, par exemple :

  1. Expliquer pourquoi elles exigent la confidentialité, sans oublier de parler des exceptions (notamment, le droit pour une personne de se confier à un conseiller de son choix);
  2. S’assurer que tous les employés, dont les superviseurs, les gestionnaires et les représentants syndicaux, comprennent qu’un écart à cette obligation risque de nuire à autrui, d’empirer la situation, d’influencer les autres ou de causer un préjudice à la réputation ainsi que réitérer un conseil toujours d’actualité, soit « réfléchir avant de parler »;
  3. S’assurer qu’il existe, dans les politiques, des clauses relatives à la confidentialité et à la discrétion, au respect d’autrui et au respect des règles portant sur l’utilisation des technologies de l’information;
  4. Désigner une personne-ressource à l’interne qui pourrait être approchée par tout employé ayant besoin de se confier et qui serait en mesure, au besoin, d’orienter l’employé vers d’autres ressources. Par exemple, dans un tel cas, le recours au programme d’aide aux employés devient souvent incontournable, d’autant plus que cette démarche devrait demeurer confidentielle;
  5. Faire signer un engagement de confidentialité aux déclarants (y compris aux observateurs des parties, si cela s’applique). Dans ce contexte, il est important de recourir à une terminologie que les signataires comprendront.

Les conseillers en gestion des ressources humaines peuvent se trouver devant des situations où des employés viennent leur parler pour leur raconter ce qui se passe, lesquels mentionnent parfois, vers la fin de l’entrevue : « Je vous l’ai dit, cela m’a fait du bien, mais je ne veux pas que vous en parliez. » Le conseiller se retrouve alors dans une situation très délicate. Certains se sentent alors pris entre l’arbre et l’écorce. Pour cette raison, il vaut beaucoup mieux clarifier cet aspect le plus rapidement possible. Par prudence et dans un souci de transparence, plusieurs employeurs désirant éviter de mauvaises surprises ont d’ailleurs choisi de préciser dans leur politique que la direction se réserve le droit d’intervenir, qu’il y ait plainte ou non, à partir du moment où il existe des motifs raisonnables de croire que la politique a été violée.

Certains conseillers ont acquis le réflexe de demander à l’employé, dès le début de l’entretien, quelles sont ses attentes en venant se confier, et ce, de manière à pouvoir rapidement lui expliquer qu’il est possible que leur conversation ne demeure pas entièrement confidentielle. D’autres, lorsque l’employé ne désire pas que les échanges soient partagés et qu’il ne s’agit pas d’un cas urgent ou mettant la sécurité en jeu, donnent quelques conseils aux employés, leur proposent d’intervenir et leur disent qu’un suivi sera fait au cours des deux ou trois jours suivants. Si la situation ne s’est pas améliorée, l’employé qui s’est confié doit alors comprendre que le conseiller pourrait n’avoir d’autres choix que d’intervenir si les circonstances le justifient, et qu’en conséquence, ce qui a été dit ne restera pas nécessairement secret. L’important sera alors de le faire le plus discrètement possible.

Note à propos de l'auteur
Avocate spécialisée en matière d’enquêtes internes (harcèlement et violence au travail). Elle est également médiatrice accréditée. Elle a écrit avec Jean-Maurice Cantin, c.r. : Politiques en matière de harcèlement au travail et réflexions sur le harcèlement psychologique, 2e édition, Yvon Blais, 2006, La dénonciation d’actes répréhensibles en milieu de travail ou whistleblowing, Éditions Yvon Blais, 2005 ainsi qu’un article intitulé Workplace Violence and Harassment in Ontario: What to expect from Bill 168 and how to cope with the new legislation, publié par Thomson Reuters dans le recueil du juge John R. Sproat, Employment Law Manual, avril 2010.

Source : VigieRT, décembre 2011.


1 La Presse, 10 septembre 2011, page 21.
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