Il existe un inventaire considérable de listes énumérant les qualités, attributs ou vertus qu’un leader devrait posséder. Ces listes sont distribuées dans les forums en ligne et les organisations et sont utilisées dans les programmes de développement du leadership afin d’inspirer les gestionnaires à devenir de meilleurs leaders.
Il est certainement possible de comprendre tous les concepts qui sont ainsi véhiculés, mais sans être un leader pour autant. En effet, le leadership est rarement une démonstration de l’esprit. Il s’incarne surtout physiquement. Incarner le leadership, c’est le personnifier, le symboliser et le représenter dans sa chair, de manière à ce que les autres le voient, le sentent et le vivent.
On se souvient des années plus tard d’avoir serré la main d’une personnalité connue et de comment cela s’était passé. Tout récemment, lors du décès de Jean Béliveau, tous les témoins parlaient essentiellement de ce genre de souvenirs; du contact humain et physique et du sentiment de présence à l’autre qu’il avait.
Dire tout sans rien dire
L’auteur-interprète Daniel Bélanger a écrit une belle chanson dont le titre pourrait résumer ce qu’est le leadership physique : « Dis tout, sans rien dire. » Les employés dans les organisations comprennent très bien ce phénomène. Ils sont constamment à l’affut du langage non verbal de leurs gestionnaires.
La PDG de PepsiCo, Indra Nooyi, a déjà dit que ce qu’un PDG projette détermine l’humeur de l’organisation. C’est un peu normal de se fier davantage à ce qu’on voit plutôt qu’à ce qu’on nous dit. Personne ne peut lire les pensées de son gestionnaire, mais tout le monde peut interpréter ce qui est visible, c’est-à-dire l’expression corporelle. Le gestionnaire en position de leadership est la source d’où on prend ses signaux afin de savoir quel comportement adopter. Et c’est dans les petits gestes quotidiens que cela se passe, pas dans les grandes décisions. Après tout, un leader ne prend pas de grandes décisions tous les jours.
Notre corps parle toujours plus fort que nos paroles. En effet, ce qui unit les émotions, les intuitions et l’action, c’est le corps. C’est à travers lui que s’exprime le leadership, que ce soit en politique, dans les organisations et les sports ou sur le champ de bataille.
L’intelligence somatique du leader
Pour décrire ce qu’est le leadership physique, on commence depuis peu à parler d’intelligence somatique du leader. Nous pourrions la définir comme la capacité à vivre pleinement le moment présent ainsi qu’à lire et à répondre directement à l’expérience sensorielle de son monde.
C’est le leadership dans l’action qui crée un effet de résonance entre le leader et ceux avec qui il interagit. Le leader devient alors un « acteur ». Il « joue » littéralement son rôle de leader, de manière visible pour les autres. Aucun de ses gestes, même s’il n’en est pas conscient, n’est insignifiant en soi. Ils ont toujours un sens pour les autres.
Donc, le gestionnaire qui veut assurer son rôle de leader, peu importe son niveau hiérarchique, doit se rappeler qu’il est en constante représentation dans son organisation. Et généralement, ce n’est pas ce qui est dit qui compte, mais comment c’est dit. Nous constatons alors la manifestation du phénomène de « présence ». On parle d’ailleurs de plus en plus de « présence exécutive » pour décrire l’habileté d’un gestionnaire à avoir de l’impact dans son rôle. La présence exécutive d’un leader lui permet d’obtenir la confiance de ceux et de celles qui l’entourent par une utilisation efficace de ses yeux, de son visage, de son corps, du ton et du rythme de sa voix et de la manière d’exprimer ses messages.
Cela va bien au-delà de simples habiletés de présentation. Ce sont les gestes posés tous les jours par un leader – y compris la façon dont il se déplace, bouge, s’exprime, regarde et écoute – dans toutes ses rencontres et dans toutes les interactions qu’il a avec les gens de son entourage qui vont laisser des impressions durables, positives ou négatives.
Le leader sous le projecteur
Dans les faits, c’est comme si le leader avait toujours un projecteur braqué sur lui ou elle. Être sous un projecteur a toutefois pour conséquence d’amplifier ses gestes. Et tous ses gestes sont observés et interprétés.
Le gestionnaire qui rentre au bureau le matin et ne salue personne lance le message aux autres qu’ils n’existent pas. C’est un message terrible. Tous les êtres humains ont une capacité inconsciente à porter des jugements très rapidement pour évaluer les intentions d’une autre personne et sa capacité à les réaliser. En situation de survie, il s’agit d’un réflexe capital. Mais, nous le faisons aussi dans les situations courantes de la vie quotidienne.
Kathy Lubar et Belle Linda Halpern ont écrit un livre fort intéressant intitulé Leadership Presence. Elles y décrivent comment elles ont réalisé que les leaders avaient besoin des mêmes habiletés que les acteurs talentueux, soit :
- Être complètement dans le moment présent et assez flexibles pour gérer l’inattendu;
- Pouvoir bâtir des relations avec les autres par l’empathie, l’écoute et une prise de contact authentique en étant proches et inclusifs;
- Exprimer des sentiments et des émotions de manière appropriée par les mots, la voix, le corps et le visage afin de livrer un message cohérent dans leurs communications;
- Se connaître, s’accepter et refléter leurs valeurs dans leurs décisions et leurs actions, tout en n’étant pas centrés sur eux-mêmes.
Développer sa présence
Est-ce que la présence se développe? Est-ce qu’on peut devenir un leader qui influence les autres par une utilisation efficace de son expression corporelle?
La recherche nous a appris que les gènes comptent pour environ 50 % du talent des leaders et que le reste s’apprend. Donc, il faut avoir un certain talent inné, mais il est aussi possible de développer les autres éléments qui vont compléter la nature intrinsèque du leader.
Comprendre comment nous sommes influencés et comment nous pouvons influencer les autres est au cœur de l’exercice du leadership. Ce qui veut dire une préoccupation constante pour cultiver l’expérience humaine qui se passe à fleur de peau, paraphrasant ainsi le poète Paul Valéry qui disait que ce qu’il y a de plus profond chez l’homme, c’est sa peau.
Comportements à privilégier par le gestionnaire
Les professionnels de ressources humaines peuvent accompagner les gestionnaires afin de les rendre plus sensibles à l’impact de leur langage corporel en leur donnant de la rétroaction. Les gestionnaires ont généralement des angles morts ou des croyances fausses à ce sujet, ce qui limite leur efficacité et peut même générer une démobilisation de leurs subordonnés ou nuire à leur progression de carrière.
Chaque jour, un gestionnaire interagit généralement avec divers intervenants. La capacité de gérer ces interactions en fonction de l’influence qu’il veut exercer exige des ajustements constants qui ne peuvent venir que d’une pleine conscience de soi.
Réfléchir avec un gestionnaire à ce propos est certainement un soutien professionnel qui peut être apporté par des conseillers en ressources humaines bien préparés.
Parmi les éléments particuliers qui peuvent être discutés mentionnons l’importance qu’il soit visible, accessible, présent et inclusif. Qu’il maîtrise ses habiletés de communication et finalement qu’il apprenne à maîtriser ses émotions en toutes circonstances.
Pour aller plus loin :
- KINSEY GOMAN, C. The Silent Language of Leaders. San Francisco, Jossey Bass, 2011.
- HALPERN, B. L. et K. LUBAR. Leadership Presence. New York, Gotham Books, 2003.
- HAMILL, P Embodied Leadership. Londres, Kogan Page, 2013.
- PARKER, L. Managing the Moment. Charleston, Advantage, 2013.
À propos de l’auteur
Yvon Chouinard, CRHA, ACC, est un coach exécutif associé au Groupe Pauzé. Il est aussi consultant en implantation et en évaluation de programmes de mentorat en plus de faire la formation des mentors et des mentorés. On peut le joindre par téléphone au 514 861-0222 ou par courriel à ychouinard@groupepauze.com.
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