Vous lisez : Les récents développements en matière de harcèlement psychologique

Depuis le 1

er juin 2004, les nouvelles dispositions de la Loi sur les normes du travail (LNT) en matière de harcèlement psychologique encadrent les relations entre employeurs et employés, entre collègues de travail ainsi qu'entre les employés et les tiers tels que la clientèle et les fournisseurs.

Ces nouvelles dispositions de la LNT en matière de harcèlement psychologique n'ajoutent pas véritablement de droits nouveaux (Charte des droits et libertés de la personne, Loi sur la santé et la sécurité du travail, Code civil du Québec).

Définition du harcèlement psychologique
La notion de harcèlement psychologique se définit comme suit :

  • La répétition d’événements hostiles ou non désirés :
    • une conduite vexatoire (qui a le caractère d’une vexation, c.-à-d. une action de vexer, de maltraiter, de blesser, d’humilier);
    • se manifestant par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes :
      • répétés; et
      • hostiles ou non désirés;
    • portant atteinte à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychologique; et
    • entraînant un milieu de travail néfaste.
  • Un événement unique :
    • une seule conduite grave SI elle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychologique ET produit un effet nocif continu sur le salarié (article 81.18 LNT).

La jurisprudence arbitrale a défini des comportements qui ne constituent pas du harcèlement psychologique au travail :

  • Utilisation légitime (non discriminatoire, non arbitraire ou non abusive) des droits de gérance ou de direction (promotion, rétrogradation, suspension, etc.)
    • Aramark Québec inc. et Syndicat des travailleuses et travailleurs d’Aramark-division Bombardier (CSN), D.T.E. 2005T-15 (T.A.).
  • Évaluation normale et courante du rendement, des absences ou de la discipline au travail à l'égard des salariés (sans discrimination, arbitraire ou abus)
    • Union des routiers, brasseries, liqueurs douces et ouvriers de diverses industries, section locale 1999 et Brasserie Labatt ltée, D.T.E. 2004T-279 (T.A.);
    • Syndicat des travailleuses et travailleurs de Cyzotrim (C.S.N.) et Cyzotrim enr., D.T.E. 2004T-732 (T.A.).
  • Même en présence de harcèlement psychologique, si celui-ci n’est pas la raison première du congédiement résultant d’un mauvais rendement et s’il n’a pas causé ce rendement inadéquat
    • Syndicat de la fonction publique du Québec et Québec (Ministère du Revenu), D.T.E. 2004T-814 (T.A.).
  • Une attitude désobligeante, inappropriée ne constitue pas en soi du harcèlement
    • Union internationale des travailleuses et travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, section locale766-P et Kraft Canada inc. (usine de Lasalle, Québec), D.T.E. 2004T-734 (T.A.).
  • Des problèmes relationnels ou des conflits de personnalités entre un représentant de l'employeur et un salarié, en l'absence d'hostilité et d'intention de porter atteinte à la dignité de celui-ci, ne peuvent constituer du harcèlement psychologique
    • Emballages Polystar inc. c. Syndicat des travailleurs et travailleuses de Polystar et Polyfilm, D.T.E. 2004T-921 (T.A.);
    • Supermarché Gilbert Tremblay inc. et Travailleuses et travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, section locale 486, D.T.E. 2004T-920 (T.A.).

Un milieu de travail doit s'analyser comme constituant une société. Il comprend divers individus qui ont tous des valeurs, des perceptions et des attitudes différentes. Chaque personne perçoit différemment une situation par rapport à une autre. Il est normal de retrouver des tensions et des désaccords à l'intérieur d'un milieu de travail. Le harcèlement psychologique ne doit pas être une simple perception. La conduite reprochée doit représenter la réalité.

Ce principe ressort d'une décision récente de l'arbitre Viateur Larouche dans la cause Chandonnet et Centre hospitalier Anna-Laberge (D.T.E. 2005T-418 (T.A.). Le plaignant, cadre intermédiaire au poste de conseiller à la direction générale, rencontre son nouveau supérieur immédiat, le directeur général; dans le contexte de sa récente entrée en fonction, ce dernier révise le plan de l’organisation et comprend que le poste du cadre a un caractère temporaire, soit une durée de deux ans. Le cadre pense que son statut est permanent. À l'occasion de la rencontre, qui a lieu dans un espace restreint, sombre, avec rideaux, le cadre et son supérieur échangent des propos vifs, sinon agressifs selon la version du cadre; le supérieur remet en question le statut du cadre; celui-ci perçoit alors une atteinte à son intégrité mentale et il déclare avoir perçu la manifestation d’une forme de violence psychologique, un mois plus tard, lors du dépôt de sa plainte écrite contre son directeur général (en vertu de l'article 5.2 du Règlement sur certaines conditions de travail applicables aux cadres des régies régionales et des établissements de santé et de services sociaux). La situation se dégrade et, quelques mois plus tard, le cadre est congédié après avoir déclaré au directeur général qu’il n’avait pas confiance en lui et qu’il était malhonnête!

Après avoir entendu une preuve contradictoire, l'arbitre Viateur Larouche conclut que l'allégation de violence (psychologique) relativement à l'utilisation de propos violents par le directeur général lors de la première rencontre face à face n'était pas fondée.

« Il faut lier l'état de découragement du plaignant, qui a assisté à la rencontre, à l'effet de la nouvelle qu'il avait reçue quant à la durée de son contrat de travail. Il s'agissait d'un fait sans doute difficile à accepter pour lui, mais néanmoins réel, et cette information ne peut constituer en soi un propos de nature violente. Les paroles ont certainement été échangées avec fermeté et conviction dans un langage direct et clair du fait que les deux hommes soutenaient des thèses opposées, mais aucune preuve probante ne vient appuyer la thèse du plaignant voulant que les propos aient été violents. »

La preuve et la procédure
Dans l'appréciation de la notion de harcèlement psychologique, chaque situation doit être évaluée selon les circonstances particulières de la plainte. En effet, la jurisprudence récente tend à vouloir adopter une définition plus globale en appréciant la conduite dans son entièreté plutôt que de rechercher la vexation dans chacun des comportements, gestes ou paroles reprochés.

Une décision récente de l'arbitre Me Richard Marcheterre dans la cause Saargumi Québec, division encapsulation et Métallurgistes unis d'Amérique, section locale 9414 (D.T.E. 2005T-234) a confirmé que les tribunaux doivent, afin de déterminer judiciairement s'il y a eu harcèlement psychologique, appliquer le test subjectif/objectif.

Le test subjectif/objectif consiste à évaluer si une personne raisonnable, objective et bien informée, placée dans les mêmes circonstances que la personne plaignante et dotée d'attributs semblables, aurait conclu à une situation de harcèlement.

Notons cependant que certains éléments demeurent non pertinents lors de l'évaluation de la conduite. Lors de l'analyse de la nature de la conduite, une jurisprudence s’élabore en vertu de laquelle on ne devrait pas tenir compte de la fragilité psychologique de la victime, le caractère intentionnel du harcèlement, l'ignorance de la situation ou même la faute contributoire de la victime. Dans une décision récente, l'arbitre André Dubois s'exprime comme suit relativement à la faute contributoire de la victime :

« Je suis enclin à penser que même en présence de ce qui pourrait être assimilé à une « faute contributoire » de la part de la victime, rien ne nous autorise à ne pas examiner la conduite de la personne tenue responsable du harcèlement psychologique afin de décider si elles est « vexatoire ». En d'autre termes, ce n'est pas parce que la prétendue victime aurait provoqué son présumé agresseur que l'on ne pourrait pas conclure que ce dernier a adopté une conduite vexatoire à l'endroit de la victime. » (Emballages Polystar inc. c. Syndicat des travailleurs et travailleuses de Polystar et Polyfilm, D.T.E. 2004T-921 (T.A.), p. 41)

Afin d'éviter diverses problématiques relativement à la preuve, il est important pour l'employeur d'effectuer une enquête rapide, complète et documentée. Il doit rencontrer chacune des parties concernées et colliger par écrit l’ensemble des dépositions afin de garantir l’intégrité, l’objectivité et la neutralité de l’enquête. De cette manière, l'employeur se trouve mieux équipé afin de faire face à un éventuel litige.

Les pouvoirs d'enquête de la Commission des normes du travail
Un salarié qui croit avoir été victime de harcèlement psychologique et qui désire faire valoir ses droits doit le faire auprès de la Commission des normes du travail dans les 90 jours de la dernière manifestation.

Sur réception d’une plainte, la Commission commence une enquête. Dans le cadre de cette enquête, les enquêteurs possèdent des pouvoirs très élargis :

  • requérir la comparution devant eux, aux lieu et place spécifiés, de toute personne dont le témoignage peut se rapporter au sujet de l’enquête (art. 9 Loi sur les Commissions d’enquête, L.R.Q., c. C-37);
  • contraindre toute personne à déposer devant eux les livres, papiers, documents et écrits qu’ils jugent nécessaires pour découvrir la vérité ( art. 9 , idem LCE);
  • pénétrer à une heure raisonnable en tout lieu du travail ou établissement d'un employeur et en faire l'inspection; celle-ci peut comprendre l'examen de registres, livres, comptes, pièces justificatives et autres documents (art.109 L.N.T.).

À la lumière des pouvoirs que possède la Commission dans le cadre de ses enquêtes, il est important de se questionner sur la confidentialité de ces enquêtes ainsi que sur la divulgation de la preuve recueillie. D’une part, l'employeur ne peut pas refuser de communiquer copie des documents et écrits demandés par la Commission des normes du travail sous peine d'une infraction pénale et d'une amende (art.140, LNT).

D’autre part, la Commission des normes du travail et son contentieux ont adopté jusqu’à ce jour, la position de refuser à l'employeur copie des documents fournis par la personne plaignante tels qu'un exposé des faits que celle-ci doit déposer à l'appui de sa plainte. La Commission limite ainsi l’accès à l’employeur en transmettant son propre sommaire de faits… Pourtant, l’employeur devrait pouvoir se défendre en toute connaissance de cause, en plus de devoir assumer ses lourdes obligations en vertu de la loi.

Comment l'employeur peut-il alors adéquatement respecter son obligation de prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique ou, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser, lorsqu'il ne connaît pas l'ensemble des allégations ayant amené la victime à déposer sa plainte pour harcèlement psychologique?

Si l'employeur procède à une enquête interne en vertu d'une politique d'entreprise et qu'il est tenu de communiquer son rapport d'enquête à la Commission des normes du travail, est-ce que la même pratique de « sommaire de faits » ne devrait pas être appliquée par la Commission? Sinon, quelle règle devrait être mise en œuvre par la Commission? Qu'advient-il alors des renseignements nominatifs dont tient compte un tel rapport de l’employeur?

Bref, où se situe l’élémentaire transparence, applicable à toutes les parties en présence, la personne salariée, l’employeur et la Commission? Nous sommes en attente… dans le but évident de tenter de bien cerner la réalité de chaque milieu de travail et d’assurer un milieu exempt de harcèlement psychologique dans le respect de toutes les personnes en présence.

Pierre L. Baribeau, avocat chez Lavery, de Billy

Publié avec l'autorisation de Lavery, de Billy [www.lavery.qc.ca]

Source : VigieRT, numéro 1, septembre 2005.

Ajouté à votre librairie Retiré de votre librairie