Vous lisez : L'obligation d’accommodement à l’égard d'un salarié atteint d’un handicap : l’employeur doit être proactif et innovateur

L’obligation d’accommodement à l’égard d’un salarié atteint d’un handicap a fait l’objet d’une abondante jurisprudence au cours des dernières années. De façon générale, les employeurs sont bien avisés qu’ils doivent prendre des mesures raisonnables ne causant pas de contraintes excessives afin d’éviter qu’une personne handicapée ne subisse les effets discriminatoires d’une condition de travail. Or, malgré les enseignements de la jurisprudence, il demeure difficile pour un employeur de cerner avec certitude la portée de son obligation d’accommodement à l’égard d’un salarié atteint d’un handicap. Une telle obligation confère-t-elle au salarié atteint d’un handicap un droit de conserver son emploi ad vitam æternam, et ce, malgré un problème d’absentéisme chronique? Peut-elle impliquer la création d’un nouveau poste ou encore d’un horaire à temps partiel? Dans un arrêt récent, la Cour d’appel aborde ces questions et énonce des principes permettant de mieux cerner la portée de cette obligation. Nous procéderons donc à une analyse de cette décision et tenterons d’en dégager les enseignements pratiques pour l’employeur, mais aussi pour le syndicat et le salarié qui, nous le verrons, doivent collaborer avec l’employeur dans la recherche d’un accommodement raisonnable.

Syndicat des employées et employés de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ) c. Hydro-Québec[1]

Les faits
La plaignante travaillait à titre de commis pour l’Hydro-Québec. De 1994 à 2001, elle a connu un taux d’absentéisme chronique qui variait entre 82 et 210 jours d’absence par année. Les parties admettent que ses absences étaient dues à son problème de trouble de la personnalité entraînant des épisodes dépressifs. Au mois de juillet 2001, l’employeur a décidé de procéder à son congédiement administratif en concluant à son incapacité actuelle et future à fournir une prestation normale et régulière de travail. Il invoquait alors les avis de deux psychiatres selon lesquels il était peu probable que la situation d’absentéisme de la plaignante s’améliore dans le futur. La plaignante soumet un grief à l’encontre de son congédiement en soutenant qu’elle souffre d’un handicap et que l’employeur n’a pas assumé son obligation d’accommodement à son égard.

Décision de l’arbitre de griefs
L’arbitre conclut que la preuve révèle de façon prépondérante l’incapacité actuelle et future de la plaignante à fournir une prestation normale et régulière de travail. De plus, il constate que le problème d’absentéisme de la plaignante est lié en partie aux difficultés qu’elle rencontre dans son milieu de travail. Selon lui, la seule mesure d’accommodement envisageable serait de fournir périodiquement à la plaignante un nouvel environnement de travail, un nouveau supérieur immédiat et de nouveaux collègues de travail, ce qui imposerait une contrainte excessive à l’employeur. L’arbitre rejette donc le grief de la plaignante.

Décision de la Cour supérieure
En révision judiciaire, la Cour supérieure souscrit aux arguments de l’arbitre. De plus, elle note que le risque de rechute de la plaignante dans la dépression est évalué à 90 %. La Cour conclut que le maintien du lien d’emploi dans ces conditions équivaudrait à imposer une contrainte excessive à l’employeur.

Décision de la Cour d’appel
La Cour d’appel renverse la décision de la Cour supérieure et annule la décision de l’arbitre. Selon elle, l’arbitre et la Cour supérieure ont conclu à tort que l’employeur ne pouvait fournir aucune mesure d’accommodement à la plaignante sans subir une contrainte excessive. Pour les fins de notre analyse, nous reprenons ici les éléments de la décision qui nous apparaissent les plus pertinents pour déterminer la portée de l’obligation d’accommodement.

D’abord, il importe de préciser que la Cour d’appel ne modifie pas le principe bien établi dans la jurisprudence selon lequel l’incapacité totale d’un salarié de fournir une prestation de travail dans un avenir raisonnable peut justifier sa fin d’emploi :

[97] L'incapacité totale d'un salarié de fournir toute prestation de travail dans un avenir prévisible justifie un congédiement car, comme le soulignait la juge Thibault dans l'arrêt Québec (Procureur général) c. Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), « ce n'est pas tant son handicap qui fonde la mesure de congédiement que son incapacité de remplir les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail [2]. (nos soulignements)

Cependant, la Cour d’appel décide de ne pas appliquer ce principe en l’espèce, puisqu’elle conclut que la plaignante n’était pas totalement incapable d’accomplir son travail. En l’absence d’une incapacité totale, la Cour d’appel affirme que l’employeur avait le fardeau de prouver qu’il ne pouvait accommoder la plaignante sans subir une contrainte excessive. C’est en raison de l’absence d’une telle preuve de contrainte excessive que la Cour d’appel renverse la décision de la Cour supérieure.

D’une part, la Cour d’appel reconnaît que l’employeur a fait preuve de patience et de tolérance au cours de la période d’absentéisme chronique de la plaignante qui s’est étendue de 1994 à 2001. De plus, elle note qu’il a agi avec diligence en prenant soin de faire évaluer la plaignante avant de la congédier. Toutefois, la Cour d’appel est d’avis que l’employeur n’a pas assumé son obligation d’accommodement puisqu’il n’a pas « envisagé toutes les mesures d’accommodement raisonnablement possibles » au moment de congédier la plaignante. De plus, elle lui reproche de n’avoir pas apprécié de façon objective les rapports des deux psychiatres, mais plutôt d’en avoir retenu seulement les aspects négatifs. La Cour d’appel constate notamment que les psychiatres font état d’un problème de relations de travail qui ont un impact néfaste sur l’état psychologique de la plaignante. À cet effet, la Cour soutient que l’employeur aurait pu entreprendre un processus de résolution de conflit de travail et fournir un soutien psychothérapeutique à la plaignante.

Enfin, la Cour d’appel mentionne qu’une organisation de la taille d’Hydro-Québec aurait pu tenter d’aménager un poste et un horaire qui conviendraient mieux à la situation de la plaignante, et ce, sans subir une contrainte excessive.

La Cour conclut :

[102] L'obligation d'accommodement impose à l'employeur d'être proactif et innovateur, c'est à dire qu'il doit poser des gestes concrets d'accommodement, ou alors démontrer que ses tentatives sont vaines et que toute autre solution, laquelle doit être identifiée, lui imposerait un fardeau excessif. Il ne suffit pas d’affirmer qu’il n’y a pas d’autres solutions, encore faut il en faire la démonstration[3]. (nos soulignements)

Conclusion
Dans cette affaire, la Cour d’appel exprime clairement la portée de l’obligation d’accommodement à l’égard d’un salarié atteint d’un handicap. Ainsi, l’employeur ne peut mettre fin à l’emploi d’un salarié atteint d’un handicap simplement sur la base d’une preuve médicale établissant qu’il ne sera pas pleinement apte à fournir une prestation de travail normale et régulière dans un avenir raisonnable. Si l’incapacité du salarié n’est pas totale, l’employeur a l’obligation d’agir de manière proactive et innovatrice dans la recherche d’un accommodement raisonnable. Pour ce faire, la Cour d’appel rappelle que l’employeur doit avoir la pleine collaboration du syndicat et du salarié visé. À cet effet, la Cour supérieure a d’ailleurs décidé, peu de temps après l’arrêt de la Cour d’appel, qu’un employeur était fondé à congédier un salarié atteint d’un handicap qui refusait de collaborer à des examens médicaux visant à établir son aptitude au travail[4].

Il faut noter en terminant que chaque cas d’accommodement est un cas d’espèce. Alors que la Cour d’appel reconnaît que la création d’un poste ou d’un horaire adapté à la plaignante ne risque pas d’imposer une contrainte excessive à Hydro-Québec, les tribunaux ont maintes fois reconnu que de telles mesures pouvaient constituer une contrainte excessive dans un contexte de petites ou moyennes entreprises. Ce qui importe en définitive, c’est qu’avant de mettre fin à l’emploi d’un salarié pour des motifs liés à un handicap (ex. : absentéisme chronique), l’employeur doit être convaincu qu’il a pris tous les moyens afin de trouver un accommodement ne comportant pas de contraintes excessives. En cas de litige, l’employeur aura le fardeau de prouver qu’aucune mesure d’accommodement n’était possible sans qu’il ne subisse une contrainte excessive.

Source : VigieRT, numéro 6, mars 2006.


1 Syndicat des employées et employés de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ) c. Hydro-Québec (C.A., 2006-02-07), 2006 QCCA 150, SOQUIJ AZ-50354899, J.E. 2006-403, D.T.E. 2006T-188.
2 Ibid. à la p. 20.
3 Ibid. à la p. 21.
4 Syndicat des travailleuses et travailleurs Intragaz (CSN) c. Fortin, (C.S. 2006-16-02) 2006 QCCS 969.
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