Vous lisez : Discrimination au travail : arbitre de griefs ou tribunal des droits de la personne du Québec…

Le 30 novembre 2006, le Tribunal des droits de la personne du Québec rendait jugement pour conclure à l'absence de compétence de l'arbitre de griefs à l'égard d'un litige reposant sur des allégations de discrimination en emploi.

Dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Procureur général du Québec[1], le Tribunal des droits de la personne (ci-après TDP) détermine qu'il « constitue un forum présentant une plus grande adéquation avec le litige », ceci faisant en sorte que la compétence de l'arbitre de griefs ne pouvait avoir préséance.

Ce jugement interlocutoire du TDP a fait l'objet d'une requête pour permission d'en appeler qui fut rejetée par un juge de la Cour d'appel.

Un employeur visé par une enquête de la Commission des droits de la personne devrait toutefois se montrer vigilant si la Commission prétendait avoir compétence à l'égard de tout litige relatif à la discrimination en emploi dans un contexte syndiqué.

En effet, la conclusion de ce jugement récent du TDP repose sur certaines circonstances particulières et n'exclurait pas les principes généralement établis par les cours de justice concernant la compétence spécialisée de l'arbitre de griefs.

Le contexte
Le plaignant est à l'emploi du ministère de la Sécurité publique. Il perd son emploi dans un établissement de détention en juillet 2001 à la suite d'une évaluation de son stage probatoire.

Au cours de ce premier stage probatoire, le plaignant prétend être victime d'actes discriminatoires tandis que des plaintes pour harcèlement sexuel sont portées à son endroit.

En septembre 2001, le plaignant entame un nouveau stage probatoire dans un autre établissement de détention et fait l'objet à nouveau de plaintes. Le 24 septembre 2001, le plaignant est relevé provisoirement de ses fonctions et son stage probatoire prend fin le 27 septembre 2001.

Le plaignant est un employé syndiqué assujetti à l'application d'une convention collective.

Le 25 septembre 2001, le plaignant s'adresse à la Commission des droits de la personne qui recommande certaines mesures de redressement en mars 2005.

Une demande introductive d'instance est déposée devant le TDP le 30 mars 2006 et recherche essentiellement une ordonnance de réintégration et le versement de dommages matériels, moraux et punitifs.

Sommaire de l'analyse concernant la compétence de l'arbitre de griefs
Le jugement fait état de certaines décisions traitant des compétences respectives du TDP et de l'arbitre de griefs.

D'une part, le TDP rappelle la reconnaissance de l'exclusivité de la compétence de l'arbitre de griefs au détriment de la compétence des tribunaux de droit commun.

D'autre part, le TDP fait état du jugement prononcé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Parry Sound[2], suivant lequel toutes dispositions relatives aux droits et libertés de la personne ou celles d'ordre public concernant le droit du travail font implicitement partie d'une convention collective. Ces questions relèvent ainsi de la juridiction de l'arbitre de griefs.

Le TDP examine enfin différents jugements concernant les délimitations possibles entre les compétences du Tribunal et de l'arbitre de griefs, notamment par l'analyse de la portée de l'arrêt prononcé par la Cour suprême du Canada dans CDPDJ c. Procureur général du Québec[3] (communément appelé l'arrêt Morin).

Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada optait pour la compétence du TDP au détriment de celle de l'arbitre de griefs pour différents motifs, expliquant entre autres que « le litige ne porte pas tant sur l'interprétation ou l'application de la convention collective – le fondement de la compétence de l'arbitre suivant l'al. 1 f) du Code du travail – que sur une allégation de discrimination dans la formation de la convention collective et sur la validité de celle-ci. »[4]

Sur la base de certains jugements de la Cour suprême du Canada et de la Cour d'appel du Québec, le TDP affirme que la compétence de l'arbitre de griefs n'apparaît pas exclusive en toutes circonstances face à celle du TDP.

Sur la base de décisions plus récentes de la Cour d'appel du Québec (en matière d'équité salariale ou concernant une politique de sexualisation des postes en établissement de santé), le TDP souligne la nécessité de déterminer si l'ensemble des remèdes recherchés dans une plainte peuvent être octroyés par l'arbitre de griefs.

Les faits particuliers au litige
En tout premier lieu, le TDP établit que le congédiement du plaignant est survenu avant le prononcé du jugement dans l'affaire Parry Sound et que, dès lors, tout accès à la procédure de grief était impossible[5] :

« [41] En effet, malgré les stipulations au contraire d'une convention collective, le droit à la procédure de grief d'un employé en probation ne fait aujourd'hui plus de doute, depuis l'arrêt Parry Sound, lorsque le différend concerne une loi sur les droits de la personne ou les autres lois sur l'emploi dont le contenu se voit implicitement incorporé par la convention collective : […] »

Le TDP reconnaît qu'un arbitre de griefs détient les pouvoirs nécessaires à l'émission d'une ordonnance de réintégration et à l'imposition de mesures de réparation telles que des dommages matériels, moraux et punitifs.

En raison d'une clause particulière de la convention collective applicable, le TDP retient toutefois que l'arbitre serait expressément empêché d'accorder des dommages-intérêts. En réponse à un argument du Procureur général, le TDP convient qu'un arbitre de griefs pourrait écarter une disposition particulière d'une convention collective l'empêchant d'accorder des dommages-intérêts dans la mesure où cette disposition est contraire aux prescriptions du Code civil du Québec ou de la Charte des droits et libertés de la personne.

Le TDP conclut néanmoins qu'il demeure l'instance permettant une réparation complète des préjudices subis par le plaignant dans ce litige.

Réflexions
Ce jugement du TDP pourrait apparaître comme une avancée dans les pouvoirs que détiendrait ce tribunal en matière de discrimination dans un contexte d'emploi syndiqué, et ce, compte tenu de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada consacrant notamment qu'un arbitre de griefs est implicitement tenu d'appliquer les conventions collectives dans le respect des législations relatives aux droits et libertés fondamentales.

On ne saurait nier que les circonstances particulières du litige semblent un fondement déterminant de ce jugement récent du TDP.

À la suite de ce jugement, la Commission des droits de la personne pourrait être tentée de se saisir d'un litige qui devrait relever de la compétence d'un arbitre de griefs; il sera alors opportun de contester les prétentions de la Commission si celle-ci voulait faire fi des circonstances particulières du litige qui avait été soumis au TDP pour ainsi prétendre avoir compétence pour toute question de discrimination en emploi dans un contexte syndiqué.

Dans cette perspective, un employeur prudent restera attentif pour ainsi veiller à la défense de ses droits en cas d'absence de juridiction de la Commission des droits de la personne, à l'égard de tout litige dont devrait être saisi l'arbitre de griefs dans le respect des principes inhérents aux relations du travail. Cet employeur analysera la situation et prendra position dès le dépôt de la plainte et en cours d'enquête.

Véronique Morin, CRIA, avocate du cabinet Lavery de Billy

Publié avec l'autorisation de Lavery, de Billy [www.lavery.qc.ca]

Source : VigieRT, numéro 14, janvier 2007.


1 D.T.E. 2007T-61, paragraphe 61.
2 Parry Sound (District), Conseil d'administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O, section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157.
3 [2004] 2 R.C.S. 185.
4 CDPDJ c. Procureur général du Québec, [2004] 2 R.C.S. 185, paragraphe 255 D.T.E. 2007T-61, paragraphe 41.
5 D.T.E. 2007T-61, paragraphe 41.
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