Vous lisez : L’obligation de loyauté du salarié et son droit à la liberté d’expression

L’obligation de loyauté est de l’essence du contrat de travail, que celui-ci soit exécuté en milieu syndiqué ou non. Cette obligation met en relief un concept qui est indissociable de la notion de bonne foi. Ainsi, le salarié qui s’acquitte de son obligation de loyauté adoptera un comportement et une attitude empreints d’honnêteté, de probité et de discrétion. Le salarié doit donc s’efforcer d’agir, dans le cadre de l’exécution de ses fonctions, avec prudence et diligence afin d’éviter de quelconque façon de causer préjudice à l’employeur en privilégiant ses propres intérêts. Ce faisant, le salarié doit faire preuve de retenue, notamment dans ses propos et ne peut étaler sur la place publique les différends ou les problèmes qu’il éprouve avec son employeur. En outre, bien que tous les renseignements relatifs à l’entreprise ne soient pas strictement confidentiels, l’employeur peut légitimement s’attendre à ce que ses salariés fassent preuve de discrétion, eu égard à ses affaires.

Il est désormais bien établi que tous les salariés au service d’un employeur sont assujettis à cette obligation de loyauté. Cependant, une telle obligation demeure variable selon plusieurs paramètres, dont la nature de l’entreprise et de ses activités ainsi que le poste occupé par le salarié.

Cela dit, une telle obligation de loyauté n’est pas sans heurt. En effet, les salariés bénéficient du droit à la liberté d’expression qui se trouve consacré à la Charte des droits et liberté de la personne du Québec. Il va sans dire que cette obligation de loyauté à laquelle est tenue le salarié peut être parfois difficile à concilier avec l’exercice du droit fondamental à la liberté d’expression. En effet, à l’instar de tous les droits et libertés fondamentaux garantis, l’exercice du droit à la liberté d’expression n’est pas absolu ni illimité et, à ce titre, le contrat de travail en constitue une illustration fort à propos.

Dans l’exercice de son droit de direction, l’employeur qui estime qu’un de ses salariés a exercé son droit à la liberté d’expression en contravention avec son obligation de loyauté, pourra imposer une mesure disciplinaire en conformité avec le principe de la gradation des sanctions. Un examen de la jurisprudence rendue au cours des dernières années révèle que de nombreux congédiements ont été maintenus en cas de manquements flagrants ayant pour effet de briser irrémédiablement le lien de confiance entre l’employeur et le salarié. En effet, certaines critiques ou dénonciations publiques auront un tel effet, particulièrement lorsqu’elles sont graves ou mensongères, voire calomnieuses.

Or, dans certains cas, il est admis que les salariés pourront s’exprimer, mais des critiques doivent être formulées de bonne foi et de façon objective.

La dénonciation ou la critique de l’employeur ou d’une situation particulière
Dans certaines circonstances particulières, un seul ou plusieurs salariés pourront dénoncer, sous l’égide du syndicat ou non, une situation qu’ils considèrent inacceptable. Ainsi, un tel exercice de leur droit à la liberté d’expression ne devrait pas être démesuré ou disproportionné, sous peine de se voir imposer une mesure disciplinaire par l’employeur. La récente jurisprudence a balisé les conditions d’une dénonciation publique qui constitue un usage raisonnable du droit des salariés de s’exprimer.

Il y a quelques années, une affaire de dénonciation publique hautement médiatisée impliquait la Société canadienne des postes[1] dans la région de Montréal. En effet, trois facteurs avaient eu recours aux médias pour condamner un système généralisé de vente de routes de livraison du courrier au sein de l’entreprise. L’arbitre saisi du grief a statué qu’une telle dénonciation avait été faite en conformité avec les principes établis et que l’employeur avait, à tort, sanctionné un tel comportement. L’arbitre Guy E. Dulude a, de ce fait, énoncé certains critères qui permettent de juger du caractère raisonnable d’une dénonciation publique. D’abord, la dénonciation publique demeure exceptionnelle, un moyen de dernier recours auquel on ne devrait recourir de bonne foi que lorsqu’on a des motifs sérieux et objectivement défendables. Une intervention ne saurait être démesurée, voire disproportionnée, vis-à-vis de l’objectif poursuivi. Vu l’obligation de loyauté qui est omniprésente, le salarié ne doit dénoncer que ce qui est pertinent et nécessaire après avoir procédé à un examen diligent du bien-fondé des informations mises à sa disposition. Ainsi, le salarié dénonciateur ne devrait être tenu responsable que de ses propres déclarations et des commentaires qui peuvent raisonnablement, selon les circonstances, s’ensuivre, sans toutefois répondre du traitement médiatique de l’affaire.

L’obligation de loyauté ne vise pas à contraindre les salariés au silence. Néanmoins, la liberté d’expression ne constitue pas une licence pour discréditer l’employeur ou pour porter atteinte à la dignité, à l’intégrité, à l’honneur et à la réputation des personnes. En cherchant à réconcilier ces deux valeurs a priori contradictoires, le tout doit être analysé en fonction de l’emploi occupé par le salarié[2].

L’obligation de loyauté est davantage contraignante lorsque l’employeur est l’État, un organisme public ou une municipalité. En effet, la critique ou la dénonciation d’un salarié, également citoyen, peut porter à confusion eu égard à la qualité en laquelle il s’exprime. Dans une telle situation, l’employeur devra analyser la situation scrupuleusement avant d’imposer une mesure disciplinaire en tenant compte du droit d’un citoyen de s’exprimer et de participer à la chose publique, précisément dans le cas où une attitude ou des propos n’auraient aucune incidence sur la perception du public à l’égard du corps politique. Cependant, plusieurs fonctions, telles celles de policier ou de haut fonctionnaire, pourront s’avérer incompatibles avec certains propos rendus publics, entraînant, le cas échéant, la primauté de l’obligation de loyauté et du devoir de réserve sur le droit à la liberté d’expression[3]. Dans ce contexte, la liberté d’expression est grandement restreinte du fait que le salarié doit agir dans le meilleur intérêt de son employeur, qui est également un corps politique[4]. Malgré cela, les tribunaux reconnaissent que cette obligation de loyauté ne saurait empêcher un salarié de dénoncer exceptionnellement les politiques gouvernementales, notamment en cas d’actes illégaux ou lorsque la vie d’autres fonctionnaires ou citoyens peut être compromise[5].

En cas de congédiement, la Cour d’appel du Québec a récemment établi qu’un salarié contestant cette mesure par voie de grief et réclamant sa réintégration demeure lié par son obligation de loyauté[6].

Le cas particulier du conflit de travail ou de revendications syndicales
En milieu syndiqué, l’existence d’un conflit de travail ou l’expression de diverses revendications constitue un tempérament important de l’obligation de loyauté ainsi que du devoir de discrétion qui en découle. Dans le cadre d’un tel contexte, les parties peuvent se trouver à exercer mutuellement des moyens de pression économiques afin, ultimement, de faire avancer les négociations. Comme l’a rappelé la Cour suprême du Canada dans l’affaire T.U.A.C., section locale 1518 c. KMart Canada Ltd[7], la liberté d’expression répond au besoin des salariés de définir et de formuler leurs intérêts communs, afin de sensibiliser le grand public au bien-fondé de leur cause et qu’il puisse en saisir les enjeux.

Il est désormais acquis que la distribution de tracts véhiculant des renseignements objectifs, décrivant et expliquant le sens des revendications syndicales, bien qu’invitant la clientèle à effectuer ses achats ailleurs, entrera dans le champ d’application de la liberté d’expression. Néanmoins, un tract ou une communication qui renfermeraient des propos agressifs, diffamatoires ou sans fondement ne sauraient être justifiés par la liberté d’expression.

Par ailleurs, dans le contexte particulier des milieux de travail syndiqués, l’interaction de l’obligation de loyauté du salarié et de son droit à la liberté d’expression doivent s’harmoniser avec les principes qui se dégagent du Code du travail. Cela dit, le salarié qui se prévaut du droit d’appartenir à une association de salariés peut, de ce fait, participer à son bon fonctionnement en étant proactif dans le cadre d’actions, de manifestations ou de revendications syndicales. Ainsi, on a déjà jugé que l’obligation de loyauté doit céder le pas à la liberté d’expression dans le cadre d’une campagne de boycottage orchestrée par le syndicat à la suite d’une impasse dans les pourparlers revendiquant la réintégration de salariés licenciés. Dans cette affaire, aucune preuve n’avait été présentée à l’effet que des menaces aient été proférées, que des actes de violence aient été commis ou que des produits d’autres marques que celle de l’employeur aient été boycottés[8]. Aucun dommage n’avait été causé à l’employeur.

Bien qu’une campagne de boycottage constitue une action à caractère public visant à sensibiliser la population générale à une cause ou des demandes précises, la transmission d’une lettre ou de pamphlets aux clients de l’employeur les invitant à résilier leur contrat avec ce dernier ne saurait bénéficier de la garantie de la liberté d’expression. Il s’agit donc d’un exercice abusif du droit à la liberté d’expression dans un contexte de relations du travail[9]. En outre, une telle action est susceptible de causer préjudice à l’employeur.

En cas d’actions ou de manifestations, les salariés doivent évidemment se comporter raisonnablement en respectant leur obligation de civilité. Ils ne sauraient se garder d’être respectueux de la propriété d’autrui, de la santé et de la sécurité d’autres membres du personnel ou du public en s’autorisant de la liberté d’expression. Au surplus, ces moyens de pression pourront être sanctionnés s’ils constituent un arrêt de travail illégal.

Enfin, les dirigeants syndicaux ne peuvent, au Québec, justifier toute incartade en se défendant grâce à la liberté d’expression. Certes, l’appréciation de l’obligation de loyauté d’un dirigeant syndical sera faite en fonction du rôle stratégique qu’il s’est vu confier dans le cadre du fonctionnement et de l’administration du syndicat. Cependant, une telle immunité n’est que relative, ce qui ne saurait entraîner un droit illimité à la liberté d’expression. En effet, la faute grave commise par un dirigeant syndical ne saurait demeurer impunie.

Conclusion
Désormais, la liberté d’expression constitue une valeur importante qui ne saurait être totalement compromise par l’existence d’une obligation de loyauté d’un salarié envers son employeur. Or, un tel droit n’est pas absolu. Le message véhiculé par diverses actions doit être objectivement défendable et respectueux. Dans certains cas, une sanction disciplinaire imposée, pouvant aller jusqu’au congédiement, sera maintenue puisqu’il vaudra mieux, le cas échéant, préférer la loyauté ayant des effets moins préjudiciables qu’une critique diffamatoire et calomnieuse. En somme, l’employeur doit agir avec prudence et procéder à une analyse attentive des faits et circonstances propres à chaque affaire avant de sanctionner hâtivement un comportement ou une action de salariés s’étant prévalus de leur droit à la liberté d’expression.

Gilles Rancourt, CRIA, avocat du cabinet Mc Carthy Tétreault

Source : VigieRT, numéro 14, janvier 2007.


1 Société canadienne des postes et Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes, D.T.E. 2005T-692 (Me Guy E. Dulude, arbitre).
2 Syndicat des professeurs du Collège d’enseignement général et professionnel de Sainte-Foy et Collège d’enseignement général et professionnel de Sainte-Foy, D.T.E. 2004T-354 (Me Francine Beaulieu, arbitre).
3 Fraternité des policiers de Granby et Granby (Ville de), D.T.E. 2004T-667 (Me Fernand Morin, arbitre).
4 Granby (Ville de) et Fraternité des policiers-pompiers de Granby, D.T.E. 2003T-800 (Me Claude Fabien, arbitre).
5 Fraser c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455.
6 Syndicat des employés du C.E.V. D'Aylmer c. Pavillon du Parc Inc., 2001 IIJCan 20660 (C.A.).
7 [1999] 2 R.C.S. 1083.
8 Gauvin, Provençal et autres c. Épiciers unis Métro Richelieu, EYB 1996-83230 (C.S.).
9 Syndicat des travailleuses et travailleurs des Plastiques Simport (CSN) et Compagnie Les Plastiques Simport ltée, D.T.E. 2005T-435 (Me Jean Denis Gagnon, arbitre).
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