Vous lisez : ÉTUDE DE CAS – Trois ans déjà

Il y a trois ans, l’article 81.19 de la Loi sur les normes du travail entrait en vigueur, accordant aux salariés du Québec un recours afin de faire cesser le harcèlement — de la part de l’employeur ou de ses représentants ou de collègues — dont il fait l’objet.

De nombreuses plaintes ont été déposées à la Commission des normes du travail et quelques cas se sont rendus jusqu’à la CRT, devant un arbitre de griefs ou à la CLP, lorsqu’une lésion psychologique en a découlé.

D’un point de vue pratique, quelles obligations incombent à l’employeur et au syndicat? Comment s’harmonisent les différentes instances compétentes et comment cette disposition a-t-elle été interprétée?

Des décisions récentes ont répondu à des questions importantes : Qu’est-ce qu’une conduite « vexatoire »? Quelle est la place du présumé auteur du harcèlement psychologique dans le contexte du processus de contestation entrepris devant les tribunaux administratifs et quel est le degré de protection qui doit lui être accordé? Y a-t-il une prescription en regard des comportements harcelants? Qu’arrive-t-il lorsque le salarié revient au travail à la suite d’une lésion psychologique indemnisée par la CSST et que le harcèlement continue? La CSST ou la CLP peuvent-elles faire quelque chose? Et qu’en est-il du droit de retour au travail ou du droit à un emploi convenable consacrés dans la LATMP? Quel genre d’ordonnances peuvent être imposées à l’employeur qui ne respecte pas son obligation d’assurer un milieu de travail exempt de harcèlement? Est-il possible d’avoir accès au dossier de la Commission des normes du travail?

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Conduite vexatoire

Les gestes et les paroles du supérieur à l'endroit du plaignant étaient hostiles et non désirés; ils ont porté atteinte à sa dignité ainsi qu'à son intégrité physique et psychologique et l'employeur n'a rien fait pour que cesse cette conduite vexatoire.

Le plaignant était ouvrier dans une entreprise de production d'asphalte. Entre les mois de juin et d'août 2004, il a travaillé directement sous les ordres du propriétaire de l'établissement. Il affirme qu'il a alors subi du harcèlement de la part de son patron. Celui-ci était agressif envers lui, criait souvent, blasphémait et le dénigrait devant ses compagnons de travail. Il l'aurait également frappé à l'aide d'une échelle et menacé du poing en jurant, et il lui aurait lancé des objets. Le plaignant affirme qu'il s'est souvent senti malheureux, dégradé et écrasé par son patron. Le 21 juillet 2004, il a dû s'absenter durant une semaine après s'être fait une brûlure au travail. À son retour, l'employeur a refusé de respecter ses limitations fonctionnelles et a insisté pour qu'il déplace un objet pesant 200 livres. Le plaignant s'est blessé au dos et ne s'est plus présenté au travail par la suite.

DÉCISION : Les agissements du supérieur doivent être qualifiés de harcèlement psychologique au sens de la définition qu'en donne l'article 81.18 L.N.T. Le coup d'échelle était un geste hostile et non désiré. Il en est de même de la menace faite avec le poing. Les paroles tenues à ce moment et lors des autres incidents relatés par le plaignant étaient également hostiles. En outre, l'employeur n'a pas pris la blessure de ce dernier au sérieux, ne respectant pas les exigences du médecin traitant quant aux travaux légers, ce qui constitue un comportement non désiré. Ces comportements ont un caractère répétitif suffisant, dans la perspective globale d'une victime raisonnable, pour constituer une conduite vexatoire. Celle-ci a porté atteinte à la dignité du plaignant ainsi qu'à son intégrité physique et psychologique. La peur que lui occasionnait le comportement de son supérieur ne lui a pas permis de l'affronter ni de lui demander de respecter les limitations fonctionnelles établies par son médecin, ce qui a entraîné une blessure au dos. La conduite vexatoire a également causé des difficultés de sommeil et elle a nécessité un suivi psychologique pendant deux ans après la cessation d'emploi. Enfin, elle a créé un milieu de travail néfaste pour le plaignant, qui y a été traité de façon injuste et dévalorisante. Comme l'employeur n'a pas démontré qu'il avait respecté les obligations prévues à l'article 81.19 L.N.T. afin de faire cesser le harcèlement psychologique exercé à l'endroit du plaignant, la plainte est accueillie.

Lalonde et Pavages Chenail inc., SOQUIJ AZ-50427985


En refusant de faire enquête à la suite d'une agression subie par la plaignante et en exerçant des pressions afin qu'elle retire sa réclamation à la CSST, l'employeur a adopté une conduite vexatoire portant atteinte à sa dignité.

La plaignante, une employée du service des ressources humaines, allègue que ses relations avec la direction ainsi que ses conditions de travail se sont détériorées à la suite d'un incident survenu le 1er juin 2004 alors que le fils du président l'a frappée derrière l'épaule droite avec un marteau. Elle a présenté une réclamation à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) et a rapporté l'agression au président. Celui-ci a minimisé l'incident, reprochant à la plaignante d'exagérer ses douleurs afin de « profiter du système ». Invoquant une série d'événements survenus entre le 1er juin et le 14 août 2004, date du dépôt de sa plainte, cette dernière prétend avoir été harcelée psychologiquement. Elle soutient que l'employeur n'a rien fait pour que cesse le harcèlement. On lui a plutôt rendu la vie difficile afin de l'inciter à démissionner.

DÉCISION : La plaignante a été victime de harcèlement psychologique à l'occasion de l'incident du 1er juin 2004 en raison de la conduite vexatoire des représentants de l'employeur, en particulier de la part du président et de son fils. Le coup de marteau était une agression. Comme dans tout incident du genre, l'employeur devait faire enquête, vérifier les versions des différents témoins et imposer, le cas échéant, une mesure disciplinaire en proportion avec la faute tout en tenant compte des facteurs atténuants et aggravants. L'employeur en l'espèce devait être d'autant plus rigoureux que l'auteur du geste reproché était le fils du président. Or, avant même la conclusion d'une enquête, le président est intervenu auprès de la plaignante et lui a exprimé sa colère parce qu'elle exagérait la portée de l'incident, lui disant qu'elle ne devrait pas s'adresser à la CSST. Ces propos ont d'ailleurs été repris par la suite par d'autres représentants de l'employeur. La dernière manifestation de harcèlement invoquée dans la plainte est l'incident du 13 août, au cours duquel la plaignante a entendu des propos vulgaires prononcés à son endroit par un petit groupe de personnes parmi lesquelles se trouvait le fils du président. Ces paroles, gestes et attitudes étaient non désirés, voire hostiles, et ils ont porté atteinte à la dignité de la plaignante. L'employeur a manqué aux obligations énoncées à l'article 81.19 L.N.T. puisque le président de l'entreprise, lui-même en conflit d'intérêts, a porté des accusations gratuites contre la plaignante. Malgré les explications de cette dernière et l'exercice de son droit d'obtenir une indemnité à la CSST, les dirigeants de l'entreprise ont continué à faire pression sur elle pour qu'elle retire sa demande de réclamation. Par ailleurs, il est établi que, durant l'été 2004, différents problèmes sans lien avec l'incident du 1er juin se sont produits, notamment une panne du système informatique, une « intrusion » dans le bureau de la plaignante, l'embauche d'un nouveau directeur ainsi qu'une réorganisation du service des ressources humaines. Or, ces incidents ne constituent aucunement du harcèlement psychologique. Convaincue que l'on souhaitait son départ, la plaignante a interprété chaque incident ou parole de la manière la plus négative possible. Il reste qu'à la date du dépôt de sa plainte, et uniquement en ce qui concerne l'incident du coup de marteau et ses suites, elle a effectivement été victime de manifestations de harcèlement psychologique.

Landesman et Encore Automotive, SOQUIJ AZ-50427978


Droit d’accès aux renseignements obtenus lors de l’enquête de la Commission des normes du travail

L'employeur et le présumé harceleur ne peuvent avoir accès aux renseignements obtenus par la Commission des normes du travail lors de son enquête administrative; en l’espèce, les précisions fournies relativement aux faits à l'origine de la plainte sont suffisantes eu égard au droit à une défense pleine et entière.

L'employeur et l'intervenant ont demandé à la plaignante de fournir par écrit des précisions relativement à ses plaintes. Estimant que le document remis est incomplet, ils demandent à la Commission des relations du travail (CRT) de leur permettre l'accès aux renseignements obtenus par la Commission des normes du travail (CNT) dans le cours de son enquête et d'ordonner à la plaignante de divulguer la preuve qu'elle entend produire. Ils invoquent leur droit à une défense pleine et entière et soutiennent que les particularités du présent dossier nécessitent l'application des règles procédurales semblables à celles qui ont cours dans un procès criminel ou en matière de droit disciplinaire. La plaignante s'oppose à la requête.

DÉCISION : L'énoncé des faits rédigé par la plaignante comporte des allégations de gestes qui auraient été commis par des personnes désignées à des moments précisés ainsi que d'attitudes et de comportements qu'elles auraient adoptés. Elle a également dévoilé la liste des témoins qu'elle compte produire avec une indication de la teneur de leurs témoignages et a remis aux autres parties des copies des documents qu'elle compte produire à l'audience. Par conséquent, l'employeur et l'intervenant détiennent suffisamment d'informations pour qu'ils puissent préparer leur défense lors de la prochaine audience. Leur droit à une défense pleine et entière est donc respecté. D'autre part, le fait qu'il s'agisse de plaintes pour harcèlement psychologique n'entraîne pas l'application de règles procédurales différentes des autres recours prévus à la Loi sur les normes du travail. Rien dans la Loi ne permet de faire une telle distinction. En outre, la CNT a recueilli des informations au cours d'une enquête administrative dont le but était de juger du caractère sérieux des plaintes. Ces informations ne constituent pas des éléments de preuve pouvant être soumis à l'occasion d'une audience devant la CRT. Les recevoir en preuve équivaudrait à accepter à l'avance une preuve par ouï-dire. De plus, ces renseignements n'ont pas de valeur probante pour la CRT puisqu'elle ne peut décider du bien-fondé des plaintes qu'à partir de la preuve qui sera présentée devant elle. Ils ne constituent pas non plus des éléments de preuve pouvant faire l'objet d'une ordonnance de divulgation en vertu de l'article 136 du Code du travail ou un document ou une pièce prévu à l'article 9 des Règles de preuve et de procédure de la Commission des relations du travail. Au surplus, ils sont détenus par la CNT, laquelle n'est pas partie au litige.

L'Heureux et Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, SOQUIJ AZ-50399485


Rôles et obligations de l’employeur et du syndicat

En l'absence de dispositions dans la convention collective reconnaissant le droit du syndicat, l'adoption, la gestion et le retrait d'une politique sur le harcèlement psychologique relèvent exclusivement de l'employeur, qui est néanmoins tenu de respecter le monopole de représentation du syndicat dans la gestion des dossiers relatifs à cette question.

DÉCISION : L'article 81.19 L.N.T. impose à l'employeur deux obligations : la mise en place de moyens visant 1) à prévenir et 2) à faire cesser le harcèlement psychologique. Il lui confère une certaine discrétion quant au choix de ces moyens dans la mesure où ceux-ci sont suffisants. L'adoption d'une politique visant à contrer le harcèlement psychologique constitue un moyen auquel peut recourir un employeur pour remplir ses obligations juridiques. Il faut toutefois s'interroger sur la participation du syndicat dans l'application de la politique en question. Celui-ci joue un rôle crucial dans la gestion des dossiers de harcèlement. Cependant, l'adoption d'une politique sur le harcèlement psychologique est, en principe, un droit qui appartient en exclusivité à l'employeur. En l'espèce, il n'existe pas de clause dans la convention accordant au syndicat le droit de prendre part à la mise sur pied d'une telle politique. Quant au droit de consultation conventionnelle par l’entremise du comité de relations du travail, il est restreint aux matières mentionnées dans la convention. Le syndicat ne peut obtenir, au moyen de son grief, le rôle actif qui lui est dévolu et qui est expressément prévu en matière de harcèlement sexuel. Il peut cependant exercer son droit de représentation et s'attaquer à la politique s'il estime que la convention a été violée. Or, pour ce qui est de la gestion quotidienne des plaintes relatives au harcèlement psychologique, la preuve a révélé que l'employeur a enfreint sa propre politique. En effet, dès le moment où une plainte est déposée, l'employeur doit faire preuve de retenue, se retirer et laisser le processus prévu à sa propre politique suivre son cours. Il faut donc conclure : 1) que l'employeur n'est pas tenu d'inclure le syndicat dans le processus d'adoption, de gestion et de retrait d'une telle politique; 2) qu'il est néanmoins tenu de respecter le monopole de représentation du syndicat lors de la gestion de ces dossiers, ce qu'il a fait en l'espèce; 3) qu'une politique doit être conforme aux prescriptions de la convention collective et qu'elle ne peut en aucune façon retarder, limiter ou autrement intervenir dans la procédure interne d'arbitrage de griefs, ce qui n'est pas le cas en l'espèce; 4) que l'employeur est tenu de respecter sa propre politique et que, dès lors, il ne peut se substituer à quelque personne-ressource que ce soit, ce qui est survenu à deux reprises en l'espèce; et 5) que la preuve ne permet pas d'accorder de dommages-intérêts.

Champlain Regional College St. Lawrence Campus Teacher's Union et Cégep Champlain — Campus St-Lawrence (Champlain Regional College — St. Lawrence Campus), (grief syndical), SOQUIJ AZ- 50390128


Droit du présumé harceleur d’être partie au litige

Selon la Cour d’appel du Québec, devant les différents tribunaux administratifs qui sont compétents sur la question, le présumé auteur du harcèlement ne peut être considéré comme une partie au débat; on ne peut lui accorder qu’un droit d’intervention.

DÉCISION : Quelle que soit l'issue du débat devant la CLP, le travailleur ne pourra être poursuivi par le supérieur en raison de la lésion professionnelle qu'il allègue avoir subie. Or, l'objet du litige devant la CLP visait à déterminer si le travailleur avait subi une lésion professionnelle. Aucune condamnation ou ordonnance ne sera rendue contre le supérieur.* En outre, la décision de la CLP a reconnu au supérieur un statut particulier qui lui permettra amplement de faire valoir son point de vue, d'autant plus que l'employeur appuie entièrement sa position en contestant la réclamation du travailleur. Le droit d'être entendu ne se décline pas d'une seule façon. Un survol de la jurisprudence permet d'ailleurs de constater que la solution favorisée par la CLP concorde, à quelques exceptions près, avec ce que les arbitres de griefs, la Commission de la fonction publique et la Commission des relations du travail ont fait en présence de situations analogues.
 

La Cour d’appel signale (note 2 du jugement) que : « La situation pourrait possiblement être différente dans le cas d'un recours formé aux termes de la Loi sur les normes du travail, la Commission des relations du travail pouvant rendre des ordonnances, selon l'article 123.15 de la loi, susceptibles d'affecter directement l'auteur du harcèlement. »

McDonald c. Arshinoff & Cie ltée, SOQUIJ AZ-50429749


Ordonnance de sauvegarde des droits du présumé harcelé

Afin d'assurer la quiétude des plaignantes ainsi que l'intégrité du processus d'arbitrage à venir, l'arbitre fixe les conditions de réintégration d'un cadre ayant fait l'objet d'une suspension à la suite de plaintes pour harcèlement psychologique.

DÉCISION : À la lumière des informations recueillies lors des conférences téléphoniques tenues avec les représentants des parties, le Tribunal conclut qu'il y a lieu d'ordonner à l'employeur de prendre des mesures visant à sauvegarder les droits des plaignantes pendant la durée de la procédure d'arbitrage des griefs. Les allégations contenues aux griefs sont sérieuses. Sans en reconnaître le bien-fondé, l'employeur a d'ailleurs conclu que le contremaître avait commis des gestes fautifs à l'égard des plaignantes. Il ne s'agit pas en l'espèce d'établir des mesures permanentes ni de conclure que l'employeur aurait dû prendre des décisions différentes de celles qu'il a prises. C'est l'arbitrage qui servira à évaluer et à déterminer cette question, entre autres choses. Les mesures provisoires visent à assurer, le mieux possible, la quiétude des plaignantes et à sauvegarder leurs droits ainsi que l'intégrité du processus d'arbitrage lui-même. Par conséquent, la requête est accueillie en partie. L'employeur devra prendre les mesures nécessaires pour s'assurer que le contremaître ne puisse entrer en contact ni en communication avec les plaignantes dans l'exercice de ses fonctions et à l'occasion du travail. Ces mesures comprennent le déplacement du bureau du contremaître. En outre, l'employeur devra faire en sorte que ce dernier n'ait aucune tâche de supervision à l'égard des plaignantes.

Syndicat des employés municipaux de Matane et Matane (Ville de), (griefs individuels, Annie Lamarre et une autre), SOQUIJ AZ- 50347961


Prescription

Dans le cas d'un grief contestant du harcèlement psychologique, seuls les comportements harcelants survenus dans les 60 jours ouvrables précédant le dépôt du grief peuvent faire l'objet d'une réclamation; toutefois, le syndicat n'est pas limité à s'en tenir à cette période afin de démontrer que de tels comportements ont cours depuis plusieurs années.

La plaignante reproche à l'employeur une série de faits qui seraient survenus de 2000 à 2003 et qui constitueraient du harcèlement psychologique. Celui-ci prétend que le grief déposé en 2003 est prescrit. Il invoque une disposition de la convention collective qui prévoit que le délai pour déposer un grief est de 60 jours ouvrables suivant le fait dont le grief découle ou de 6 mois suivant le fait qui a donné lieu au grief si le salarié ou le syndicat démontre qu'il lui était impossible de connaître celui-ci dans le délai de 60 jours ouvrables suivant son occurrence. Le syndicat fait valoir que, en matière de harcèlement, l'un ou l'autre des événements invoqués ne peut être isolé. Il faut apprécier un ensemble de faits pour évaluer si la plaignante a été l'objet de discrimination ou de harcèlement.

DÉCISION : L'objection patronale est rejetée. En effet, avant de conclure à la prescription du grief, il faut distinguer l'objet du grief des moyens de preuve visant à démontrer l'existence des faits à son origine. Selon la convention collective, seuls les comportements répréhensibles survenus dans les 60 jours ouvrables précédant le dépôt du grief pourront faire l'objet d'une réclamation. Toutefois, le harcèlement peut survenir sur une longue période avant que la présumée victime puisse conclure en ce sens. Restreindre la preuve aux seuls événements survenus dans les 60 jours ouvrables précédant le dépôt du grief constituerait une limite injustifiée aux moyens de preuve utilisés. Ainsi, le syndicat n'est aucunement limité à cette période pour démontrer que de tels comportements équivalant à du harcèlement ont eu cours à compter de l’an 2000. Seuls les actes et comportements harcelants survenus dans les 60 jours ouvrables précédant le dépôt du grief pourront cependant faire l'objet d'une réclamation.

Syndicat des chargées et chargés de cours de l'Université du Québec à Chicoutimi et Université du Québec à Chicoutimi (Germaine Bolduc), SOQUIJ AZ- 50426681


Droit de retour au travail

Selon une limitation fonctionnelle établie par le médecin qui a charge, le travailleur, à la suite d'une lésion causée par du harcèlement psychologique, ne peut retourner dans le même milieu de travail; or, bien que l'employeur soit tenu de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement, la CSST et la CLP ne peuvent décider des mesures de réparation pouvant être ordonnées et le droit de retour au travail ne peut être pris en considération que dans la mesure où le travailleur est capable d'occuper son emploi ou un emploi convenable.

DÉCISION : En considérant la limitation fonctionnelle imposée par le médecin traitant, qui lie la CSST et la CLP en vertu de l'article 224 LATMP, le travailleur ne peut réintégrer son emploi. En effet, l'évaluation de la capacité du travailleur à exercer son emploi doit être faite en examinant les conditions réelles d'exercice de l'emploi. Le travailleur invoque que cette conclusion paraît créer pour lui une injustice flagrante, étant déjà victime de harcèlement, et constituer un évitement inacceptable de la part de l'employeur des obligations qui lui incombent de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement. Cependant, même si l'employeur est tenu en vertu de la Loi sur les normes du travail de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement, il n'appartient ni à la CSST ni à la CLP de décider des mesures de réparation pouvant être ordonnées en vertu de cette loi, n'ayant compétence que pour décider des questions relatives à l'application de la LATMP, soit aux droits à la réadaptation et au retour au travail. Or, le travailleur ne peut prendre appui sur l'article 176 LATMP, concernant les frais d'adaptation d'un poste de travail, non plus d'ailleurs que sur les articles 166 ou 167 LATMP, sur le droit à la réadaptation et le programme de réadaptation professionnelle, pour obtenir de l'employeur qu'il congédie les travailleurs harceleurs. La CSST et la CLP n'ont, en vertu de la LATMP, généralement aucun pouvoir d'intervention à l'égard de l'exercice par l'employeur de son droit de gérance, à l'exception prévue à l'article 32 LATMP qui ne s'applique pas en l'espèce. De plus, selon la jurisprudence, cette disposition d'exception n'a pas pour effet de conférer compétence à la CSST et à la CLP pour forcer l'employeur à adopter des mesures d'accommodement raisonnable pour le travailleur victime d'une lésion professionnelle. Par ailleurs, selon l'affaire Pierre-Louis et Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal (C.L.P., 2003-10-23), SOQUIJ AZ-50203069, C.L.P.E. 2003LP-192, [2003] C.L.P. 904, le droit au retour au travail n'est pas un droit qui peut être revendiqué sans égard au contexte. Ce droit est pertinent et pris en considération dans la mesure où le travailleur est capable de retourner au travail chez son employeur, dans son emploi ou un emploi convenable. Or, le travailleur n'est pas en mesure de reprendre son emploi puisque, selon sa limitation fonctionnelle, il ne peut plus travailler dans ce milieu de travail où les harceleurs sont toujours présents. De plus, un tel emploi convenable n'est pas disponible chez l'employeur pour la même raison qui rend le travailleur incapable de reprendre son emploi. À cet égard, l'employeur n'a aucune obligation de créer un emploi convenable pour un travailleur victime d'une lésion professionnelle et les articles 170 et 171 LATMP ne l'obligent qu'à offrir au travailleur un emploi convenable disponible dans son établissement. De même, le droit du travailleur au retour au travail dans un emploi convenable chez l'employeur ne concerne qu'un emploi convenable qui devient disponible dans l'établissement de l'employeur. Ainsi, la Loi ne confère aucune compétence à la CSST et à la CLP pour forcer l'employeur à congédier les travailleurs à l'emploi de son établissement de manière à ce que les limitations fonctionnelles du travailleur soient respectées. Le travailleur n'a pas droit au retour au travail prévu à l'article 236 et est capable d'exercer l'emploi convenable de mécanicien, ailleurs que dans l'établissement de l'employeur.

YVON BLOUIN, partie requérante, et A.F.G. INDUSTRIES LTÉE, partie intéressée, et COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL, partie intervenante, SOQUIJAZ- 50430162


Droit à des dommages-intérêts

L'inertie de l’employeur — qui a laissé perdurer une situation de harcèlement à l'endroit de la coordonnatrice du département de philosophie — engage sa responsabilité; l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour que cesse toute forme de harcèlement psychologique envers la plaignante et la compenser pour les dommages subis.

DÉCISION : La preuve ne démontre pas une violation des dispositions de la convention collective. Toutefois, les dispositions de la Loi sur les normes du travail définissant le concept de harcèlement psychologique et donnant droit, à tout salarié, à un milieu de travail exempt de harcèlement, en vigueur depuis le 1er juin 2004, font maintenant partie intégrante de la convention collective. En conséquence, à compter de cette date, toute conduite vexatoire découlant de comportements, de paroles, d'actes ou de gestes hostiles ou non désirés, portant atteinte à la dignité ou à l'intégrité de la plaignante, constituait du harcèlement psychologique et donnait ouverture à un recours par voie de grief ou autrement. L'existence d'une procédure de traitement d'une plainte relative à une situation de harcèlement prévue à la politique de l'employeur n'empêchait pas la plaignante de procéder par voie de grief. Il s'agit non seulement d'un recours que la Loi sur les normes du travail lui accorde par l’entremise de la convention collective, mais aussi d'un recours que l'employeur lui-même reconnaît dans la procédure qu'il a adoptée. Il s'agit de l'une des options offertes à la personne qui croit être exposée à du harcèlement. La plaignante n'était donc pas tenue de formuler une plainte avant de déposer un grief. Le grief constituait par lui-même une plainte et rien n'empêchait l'employeur de former un comité d'enquête pour faire la lumière sur les circonstances de l'affaire. C'est d'ailleurs ce qu'il a fait, pour finalement conclure que la plaignante avait été victime de harcèlement entre le 15 mars et le 20 septembre, refusant toutefois de reconnaître l'existence d'une pareille situation avant le 15 mars parce qu'il n'avait pas été saisi d'une plainte officielle. Il est vrai que, exception faite d'une plainte écrite en novembre 1995, la plaignante a toujours refusé ou s'est abstenue de déposer une plainte écrite, et l'écoulement du temps autorisait raisonnablement l'employeur à considérer que son droit s'éteignait périodiquement par voie de prescription ou de renonciation. Cependant, à compter du 1er juin 2004, il ne pouvait plus être fondé à croire que ses obligations envers une victime de harcèlement naissaient uniquement à compter du moment où celle-ci portait plainte officiellement. L'employeur a omis de considérer non seulement son devoir d'enquêter, mais également son obligation d'assurer à tout salarié un milieu de travail exempt de harcèlement, et il y a lieu de vérifier d'abord si la preuve démontre que la plaignante a été victime de harcèlement dans les mois précédant le grief. À cet égard, le Tribunal fait sienne l'approche jurisprudentielle voulant qu'il faille considérer la situation dans son ensemble et non prendre les mesures isolément pour conclure à l'existence ou non de harcèlement. En l'espèce, il existe suffisamment d'éléments pour conclure que la conduite vexatoire du collègue de la plaignante n'a jamais vraiment cessé depuis les premiers événements de 1995. Le but de la Loi sur les normes du travail n'est pas nécessairement de punir un coupable, mais de redresser la situation dans laquelle se trouve la personne harcelée. Dans ces conditions, il revenait à l'employeur d'adopter des mesures pour assurer un milieu de travail sain et, en outre, d'assurer l'efficacité de celles-ci et de faire le redressement nécessaire. L'employeur ne pouvait se retrancher derrière l'adoption d'une politique et d'une procédure et attendre qu'une plainte ou un grief soient déposés pour ce faire. Il savait que les relations interpersonnelles au sein du département de la plaignante étaient mauvaises et il a attendu que le collègue de la plaignante dépose une plainte et qu'ensuite cette dernière dépose un grief avant d'agir. Or, la répétition de paroles et de gestes hostiles dont la plaignante était l'objet de la part de son collègue lui permettait d'écarter l'idée qu'il s'agissait de rapports personnels temporairement difficiles. En conséquence, le reproche qui lui est adressé, soit d'avoir laissé une situation de harcèlement perdurer, est fondé. Il est donc ordonné à l'employeur de prendre les moyens appropriés et efficaces pour faire cesser la conduite vexatoire dont la plaignante a été victime et de compenser celle-ci pour les dommages et préjudices subis.

Syndicat des enseignants de Beauce-Appalaches et Collège de Beauce-Appalaches (Claire Nadeau), SOQUIJ AZ-50389480


En maintenant une attitude accusatrice contre un fonctionnaire soupçonné à tort de comportement malhonnête, la Ville a adopté un comportement vexatoire au sens de l'article 81.18 L.N.T. et porté atteinte à l'intégrité, à la dignité et à la réputation de ce dernier; une indemnité de 10 000 $ lui est accordée à titre de dommages non pécuniaires.

DÉCISION : La convention collective prévoit un délai de six mois pour déposer un grief. Par ailleurs, la situation décrite par le plaignant a perduré au-delà de sa convocation devant le comité de discipline. En conséquence, l'objection est rejetée. Quant au fond, il est établi que l'employeur a adopté un comportement vexatoire au sens de l'article 81.18 L.N.T. Il n'a même pas effectué de simples vérifications afin de s'assurer du bien-fondé de sa démarche punitive à l'égard du plaignant. Le directeur du service informatique avait à sa portée toute l'expertise nécessaire pour effectuer la vérification de la conformité de la communication transmise par le plaignant. Malgré la gravité des soupçons, il a fallu que ce soit le chef d'équipe du plaignant qui suggère de procéder à une vérification externe. En maintenant à tort une attitude accusatrice, l'employeur a répété une situation non désirée qui a affecté le plaignant, lequel a souffert de stress et a ressenti de l'inquiétude concernant sa réputation, l'atteignant ainsi dans sa dignité et son intégrité. Dans un tel contexte, son milieu de travail ne pouvait être sain. La définition du harcèlement psychologique énoncée dans la Loi trouve donc application. Toutefois, rien ne permet de conclure à une attitude malveillante de la part de l'employeur, qui a été plutôt malhabile et imprudent. Une saine prudence aurait dû l'amener à une vérification exhaustive des faits considérés pour soutenir d'aussi graves soupçons à l'égard du plaignant, car sa fonction commande un degré élevé de confiance. Bien que l'employeur dispose d'un large pouvoir discrétionnaire quant à l'exercice de ses droits de direction et qu'il puisse commettre des erreurs, il reste qu'il doit éviter les abus. En l'espèce, il a commis une erreur importante et, au lieu de la corriger, il a persisté. Il n'a pas demandé la collaboration du plaignant avant d'amorcer le processus disciplinaire prévu à la convention. Devant les conclusions de la firme externe exonérant ce dernier, il s'est limité à déclarer le dossier fermé en affirmant qu'il ne pouvait prouver sa culpabilité et sans qu'on y trouve le rapport externe. Ce comportement constitue un abus de pouvoir. Fermer le dossier ne réglait pas le problème, même si cela a mis fin à la démarche. L'obstination à ne pas vouloir clarifier la situation du plaignant fait en sorte que ce dernier en a subi certains préjudices. L'employeur devra faire disparaître du dossier toute documentation pouvant faire allusion à cet incident et faire parvenir au plaignant une lettre personnelle dans laquelle il reconnaîtra qu'il s'agit d'une erreur et que sa confiance en lui n'est nullement mise en doute. Enfin, en raison des inconvénients que l'insécurité, le stress et l'humiliation ont engendrés, il y a lieu de lui accorder 10 000 $ à titre de dommages moraux. Devant l'absence de preuve d'une intention malveillante de l'employeur, il n'y a pas lieu d'accorder une indemnité à titre de dommages exemplaires. La réclamation relative aux honoraires extrajudiciaires est également rejetée.

Québec (Ville de) et Alliance des professionnelles et professionnels de la Ville de Québec (Michel Plante), SOQUIJ AZ-50420033


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    • accéder à l’écran Choix de banque de Juris.doc;
       
    • utiliser la case de recherche par référence AZ;
  • Pour effectuer une recherche portant sur le harcèlement psychologique, il faut :
     
    • accéder à l’écran de recherche par Mots clés des Banque de résumés SOQUIJ – Juridictions en relations du travail et Banque CLP – Résumés;
    • inscrire vos mots clés;

    • exécuter la recherche à l’aide du bouton RECHERCHE.

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Pour toute question relative à l'utilisation d'AZIMUT, Documentation juridique, communiquez avec le Service d'aide aux utilisateurs au 514 842-AIDE ou, sans frais, au 1 800 356-AIDE, de 8 h 30 à 17 h, du lundi au vendredi.

Me Monique Desrosiers, coordonnatrice, Secteur droit du travail et droit social, Direction de l’information juridique à la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ)

Source : VigieRT, numéro 18, mai 2007.

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