Vous lisez : La clause d’amnistie

En milieu de travail syndiqué, il y a dans de nombreuses conventions collectives des clauses d’amnistie qui doivent impérativement être considérées avant l’imposition d’une mesure disciplinaire par l’employeur.

En effet, ces clauses régissent et balisent plus ou moins précisément les modalités d’imposition des sanctions disciplinaires. Cela dit, la clause d’amnistie ne trouvera pas application lors de l’imposition d’une mesure de nature administrative, tels un congédiement ou une rétrogradation pour cause d’incompétence, d’incapacité ou de rendement insuffisant. Par ailleurs, lorsqu’un document figurant au dossier du salarié revêt un caractère mixte, soit disciplinaire et administratif, la partie disciplinaire de ce document doit être retirée du dossier du salarié et ne pourra être utilisée contre lui[1]. Seule la partie administrative du dossier échappera à l’effet de la clause d’amnistie.

La période d’amnistie se calcule généralement à partir de la date de la commission de la faute constituant un manquement disciplinaire, plutôt qu’à la date de la sanction par l’employeur. Ainsi, le point de départ ne doit pas être la date où l’avis disciplinaire a été donné[2] ni celle de la suspension[3], mais bien celle des manquements disciplinaires en soi. De plus, tant que le lien d’emploi subsiste et que le salarié est en congé de maladie ou en congé sans solde[4] à moins de dispositions contraires dans la convention collective, le délai continue à courir.

La clause d’amnistie peut viser le dossier disciplinaire et l’admissibilité de la preuve
La clause d’amnistie vise le contenu du dossier disciplinaire du salarié et l’admissibilité de la preuve en arbitrage de griefs. Le libellé de ce type de clause prévoira généralement que les antécédents d’un salarié, qui figurent à son dossier disciplinaire, seront retranchés de celui-ci par l’effet de l’écoulement du temps. Ainsi, dans la plupart des conventions collectives, il est généralement prévu que l’écoulement d’une période de 12 mois aura pour effet de gracier le salarié et ainsi de lui procurer l’amnistie des fautes qu’il a commises auparavant. L’effet pratique d’une telle clause d’amnistie réside dans ses conséquences sur le principe de la progressivité des sanctions. En effet, en matière disciplinaire, l’employeur imposera des sanctions qui s’inscrivent dans une logique progressive, dont l’objectif est d’amener le salarié fautif, dont le comportement est volontaire, à s’amender.

Dans ce contexte, l’employeur ne saurait imposer le congédiement à un salarié qui se présente au travail en retard, sans avoir préalablement imposé des mesures moindres visant à l’amener à corriger son comportement. Ainsi, si le salarié retardataire a fait l’objet d’une suspension sans solde d’une certaine durée pour retards fréquents et qu’il a amendé sa conduite à cet égard au cours des douze mois suivants, comme prévu par la clause d’amnistie, l’employeur devra sévir, en ne tenant aucunement compte des antécédents à cet égard qui sont survenus au-delà de la durée prévue[5]. Par ailleurs, advenant que la mesure disciplinaire imposée fasse l’objet d’un grief, l’application de la clause d’amnistie empêchera l’employeur de mettre en preuve les manquements de même nature survenus au-delà de la durée conventionnée. Par conséquent, l’effet de la clause est de neutraliser le principe de la progressivité des sanctions.

La clause d’amnistie peut également viser la réglementation du délai de sanction d’un manquement disciplinaire
La clause d’amnistie peut également réglementer le délai dont dispose l’employeur afin de sanctionner un manquement disciplinaire. Dans certains cas, certaines dispositions de la convention collective prévoient qu’une mesure disciplinaire devra être imposée, et non pas purgée, dans un certain délai suivant la naissance ou la connaissance du manquement par le salarié. Le but d’une telle clause est d’éviter de prendre par surprise un salarié en accumulant les incidents, sans intervention ponctuelle, pour les utiliser ultérieurement dans leur ensemble. Par ailleurs, l’employeur qui agirait ainsi ferait usage à mauvais escient de la discipline, qui vise précisément à amener le salarié fautif à amender sa conduite.

Cependant, bien que l’employeur doive être diligent, l’existence d’une telle clause ne l’oblige pas à sévir à chaque manquement, sous peine de ne plus pouvoir l’invoquer ultérieurement. Dans l’affaire Cimetière Notre-Dame-des-Neiges et Syndicat des travailleurs-euses du Cimetière Notre-Dame-des-Neiges[6], l’arbitre Émile R. Labelle, dans un contexte de retards fréquents, estime que l’employeur n’est pas dans l’obligation de sévir tant que l’ensemble des faits ne reflète pas l’incapacité du salarié de se présenter au travail raisonnablement à l’heure ou d’être présent au travail dans l’avenir. Or, il lui sera loisible de considérer chaque retard ou toutes les absences dans le cadre de l’évaluation de la mesure qui s’impose, dans les circonstances. Cette approche tire son fondement dans la théorie de l’incident culminant, permettant à l’employeur d’imposer une sanction plus sévère reliée à la commission d’une infraction, compte tenu des manquements similaires antérieurs du salarié.

Certes, l’employeur qui n’agit pas dans les délais conventionnés ne pourra imposer une mesure disciplinaire. Cela dit, le concept de « connaissance » du manquement réfère généralement à la connaissance par l’employeur. À ce titre, la notion d’employeur fait précisément référence à une personne qui se trouve investie d’un pouvoir disciplinaire quelconque. À titre d’exemple, la simple connaissance de la survenance d’un manquement par un cadre n’occupant que des fonctions administratives et non disciplinaires n’équivaudra pas à la connaissance par l’employeur au sens de ce genre de disposition[7]. La personne titulaire de l’autorité et du pouvoir d’administrer des mesures disciplinaires devra, quant à elle, agir avec diligence et imposer une mesure disciplinaire dans le respect des délais prévus à la convention collective. Ce délai lui permettra de procéder à une enquête, au cours de laquelle elle pourra rencontrer les personnes témoins du manquement reproché, d’analyser l’ensemble des faits et d’imposer ou non, s’il y a lieu, une mesure disciplinaire.

La clause d’amnistie, bien qu’elle offre une protection avantageuse au salarié, comporte quelques exceptions. La notion de « récidive » vient sans conteste limiter cette protection. En effet, s’il est mis en preuve que le salarié a récidivé et qu’il est retombé dans la même faute au cours de la période prévue par la clause d’amnistie, il ne saurait en bénéficier, le cas échéant. À cet égard, la convention collective devra prévoir clairement qu’en cas de récidive, la clause ne produira aucun effet. En effet, malgré l’écoulement de la période autorisant le retrait de la mesure au dossier, cette mesure pourrait y demeurer pour une période supplémentaire, compte tenu de la récidive et pourra être considérée tant par l’employeur que par un tribunal d’arbitrage, lors de l’appréciation du caractère juste et raisonnable d’une sanction disciplinaire[8].

Par ailleurs, une récente décision arbitrale a illustré un tempérament important à l’effet d’une clause d’amnistie. Dans l’affaire Union des employés et employées de service, section locale 800, (FTQ) et Service d’entretien distinction inc.[9], l’arbitre Denis Provençal a déterminé qu’un salarié qui, au cours d’une audition en arbitrage, allègue une conduite irréprochable durant toute la durée de son emploi, renonce, de ce fait, à la protection de la clause d’amnistie. Dans cette affaire, l’employeur avait été autorisé à faire la preuve de l’ensemble du dossier disciplinaire du salarié afin de lui opposer ses manquements disciplinaires antérieurs. En somme, il ressort de cette décision que la clause d’amnistie constitue un droit conféré au salarié qui, lorsqu’elle trouve application, ne devrait pas affecter positivement la crédibilité du salarié qui en bénéficie. Or, dès lors que le salarié s’écarte du spectre d’application de cette clause, il renonce à l’immunité qu’elle lui offre.

Dans ce contexte, il y a fort à parier que le salarié qui tenterait de faire une preuve de caractère ou de bonne réputation pourrait ainsi renoncer au bénéfice d’une clause d’amnistie, permettant à l’employeur de contrer une telle preuve en invoquant le dossier disciplinaire ou les manquements commis au-delà de la période couverte par la clause.

En somme, la clause d’amnistie se veut une protection efficace dont peuvent bénéficier les salariés qui se sont réhabilités après avoir commis une faute ou un manquement disciplinaire. Il faut retenir que les tribunaux interprètent strictement ces clauses bénéficiant aux salariés qui s’en prévalent et qui constituent un tempérament fort au principe de la pertinence de la preuve, tout comme un frein au plein exercice par l’employeur de son droit de direction, qui se traduit notamment par la prérogative d’imposer des sanctions disciplinaires en conformité avec la progressivité des sanctions.

Gilles Rancourt, CRIA, avocat du cabinet McCarthy Tétrault

Source : VigieRT, numéro 19, juin 2007.


1 Syndicat des employé-es de distributions 20-20 (CSN) et Distributions 20-20 inc., Tribunal d’arbitrage, 19 décembre 2006 (Me Denis Tremblay, arbitre).
2 Syndicat démocratique des employés de la société zoologique de St-Félicien (C.S.D.) et Centre de conservation de la biodiversité boréale (CCBB) inc., 2004 CanLII 32120 (Me Carol Girard, arbitre).
3 Syndicat des employé-es de distributions 20-20 (CSN) et Distributions 20-20 inc., Tribunal d’arbitrage, 19 décembre 2006 (Me Denis Tremblay, arbitre).
4 Louise VERSCHELDEN, La preuve et la procédure en arbitrage de griefs, Montréal, Wilson & Lafleur, 1994, p.181-184.
5 Ibid.
6 AZ-99141131 (Me Émile R. Labelle, arbitre).
7 Syndicat des employé-es de distributions 20-20 (CSN) et Distributions 20-20 inc., Tribunal d’arbitrage, 19 décembre 2006 (Me Denis Tremblay, arbitre).
8 Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 (FTQ) et C.R.D.I. Normand-Laramée, 2005 CanLII (Me Nathalie Faucher, arbitre); Syndicat des employé-es de distributions 20-20 (CSN) et Distributions 20-20 inc., Tribunal d’arbitrage, 19 décembre 2006 (Me Denis Tremblay, arbitre).
9 2006 CanLII 33478 (Me Denis Provençal, arbitre).
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