Vous lisez : Développements récents en relations du travail en milieu non syndiqué

L’auteur tient à remercier Marie-Pier Baril, étudiante, pour sa précieuse collaboration à la rédaction de cet article.

La période 2006-2007 a donné lieu à un certain nombre de jugements intéressants en droit de l’emploi. Voici certaines de ces décisions.

Tout d’abord, l’affaire Transport TF1-5 (Transport Kingway) c. Pilon[1] nous rappelle l’étendue de l’obligation de loyauté d’un employé.

Vers la fin du mois de mai 2005, messieurs Pilon et Deschamps remettent à leur employeur, Kingsway Transport, leur préavis de deux semaines mentionnant qu’ils démissionnent de leur poste de directeur de comptes. Ils refusent de divulguer à leur supérieur immédiat le nom de leur nouvel employeur respectif, invoquant le fait que ce n’est pas pertinent. Ils sont donc congédiés immédiatement pour manquement à leur obligation de loyauté et apparence de conflit d’intérêts. Ils contestent alors leur congédiement en vertu de la partie III du Code canadien du travail.

L’arbitre saisi de la plainte conclut que le congédiement des deux dirigeants est justifié puisque Kingsway Transport était en droit de connaître le nom des nouveaux employeurs de ses employés. À titre de dirigeants, Pilon et Deschamps avaient, en plus de leur obligation de loyauté, le devoir de protéger l’entreprise. La seule apparence de conflits d’intérêts suffisait à entraîner le bris du lien de confiance.

Par ailleurs, selon l’arbitre, l’employeur peut renoncer au préavis de démission et mettre un terme immédiatement à la relation d’emploi, lorsque les motifs de l’employeur ne sont ni frivoles ni injustes et il n’a pas, dans ces circonstances, à payer d’indemnité aux employés démissionnaires.

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L’affaire Minolta Business Equipment (Canada) c. Commission des relations du travail[2] est particulièrement intéressante quant à l’étendue de l’indemnité accordée suite à un congédiement injustifié[*].

Dans cette affaire, la Commission des relations du travail (CRT) accorde une indemnité équivalente à un peu plus de 39 mois de salaire à une employée congédiée injustement suite à une mésentente avec l’épouse du directeur général de la succursale où elle travaillait. Cette indemnité globale, en lieu de réintégration, prenait en compte tout le délai entre la fin d’emploi et la publication de la décision du commissaire, soit environ 32 mois.

La Cour supérieure accueille la requête en révision judiciaire au motif que l’indemnité accordée par le commissaire était manifestement déraisonnable. Le Tribunal rappelle qu’il doit évaluer le caractère raisonnable d’une indemnité en la considérant dans son ensemble. La base de calcul tenant compte de la période entre la perte de l’emploi et la décision rendue pour fixer l’indemnité n’est valable que si la décision est rendue dans les mois qui suivent la plainte. En l’espèce, le délai inexpliqué de 32 mois ne pouvait pas servir d’enrichissement pour une partie au détriment de l’autre, d’autant plus que l’employée avait bénéficié de prestation d’assurance invalidité. En conséquence, la Cour accorde une indemnité globale de 20 mois.

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Étudions maintenant l’affaire Desgagnés-Bolduc c. Provigo Distribution Inc.[3] dont jugement a été rendu le 3 juillet dernier.

Anna Desgagnés-Bolduc allègue avoir été victime d’un congédiement déguisé. Alors qu’il ne lui restait qu’un an et demi avant la retraite et qu’elle était parfaitement consciente que son employeur préparait la relève pour son poste, le service des ressources humaines lui offre de prendre une préretraite avec une indemnité de huit semaines. À défaut pour elle d’accepter, on l’avise qu’une plainte pour harcèlement psychologique sera fort probablement déposée contre elle et qu’elle vivrait des moments très difficiles. À la suite de cet avis, madame Desgagnés-Bolduc sombre en dépression majeure et perçoit des prestations d’invalidité. Elle institue alors une action en Cour supérieure pour congédiement déguisé.

L’employeur de madame Desgagnés-Bolduc prétend qu’elle aurait dû s’adresser à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) plutôt qu’à la Cour supérieure. La Cour conclut autrement puisque la dépression de la salariée n’était pas reliée au risque particulier du travail. Ainsi, la Cour supérieure a confirmé sa compétence.

La Cour est d’avis qu’il s’agissait d’un congédiement injustifié, car l’employeur avait modifié de façon substantielle les conditions de travail de son employée en rendant celles-ci hostiles.

La Cour accorde un délai de congé de 14 mois duquel ne devaient pas être déduites les prestations d’assurance-invalidité perçues par la salariée. En effet, la Cour explique que le contraire permettrait à un employeur de pousser un individu à bout pour le rendre inapte et ainsi éviter d’avoir à lui payer un délai de congé.

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Comme la période 2006-2007 marque le début des révisions judiciaires en matière de harcèlement psychologique, nous avons identifié une décision intéressante à cet égard. Dans Research House Inc. (Québec recherches) c. Denis[4][*], la Cour supérieure rappelle la distinction entre l’exercice des droits de direction et le harcèlement.

Dans cette affaire, la Commission des relations du travail avait conclu qu’un employé avait été victime de harcèlement psychologique. Cette décision était fondée sur le fait qu’il avait reçu une lettre de suspension pour absence injustifiée, que son employeur avait insisté pour qu’il satisfasse les objectifs de gestion et demandé qu’il sorte les ordures et fasse la vaisselle. La Cour supérieure accueille cependant la requête en révision judiciaire au motif que la décision du commissaire était manifestement déraisonnable. Les actes de l’employeur ne constituent pas des manifestations de harcèlement, mais plutôt l’exercice de ses droits de direction.

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Dans G.S. c. H.F.[5][*], la plaignante prétend avoir été l’objet de harcèlement psychologique. Elle affirme avoir été victime d’attouchements sexuels par son employeur alors qu’elle se rendait, à titre de cliente, au motel où elle travaillait. Suite à cet incident, elle refuse de retourner au travail et son employeur interprète ce refus comme une démission. La CRT conclut qu’il y a eu congédiement déguisé et harcèlement psychologique. Ainsi, l’application des dispositions de la Loi sur les normes du travail[6] interdisant le harcèlement psychologique au travail n’est pas empêchée par le fait que les actes répréhensibles aient lieu en dehors des heures de travail.

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L’affaire Ha c. L’hôpital chinois de Montréal[7] porte aussi sur la notion de harcèlement psychologique. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles (CLP) a rendu une décision selon laquelle une employée n’a pas été victime d’une lésion professionnelle. De son côté, la CRT, saisie d’une plainte pour harcèlement psychologique découlant des mêmes événements, a conclu malgré l’objection de l’employeur en ce sens qu’il n’y a pas chose jugée et que les recours sont distincts. Selon la CRT, le mandat de la CSST (et de la CLP) est de déterminer s’il y a ou non lésion professionnelle alors qu’elle n’a pas, dans l’exercice de son mandat, à se soucier du fait qu’il y ait eu ou non un « accident du travail ». Ce n’est que sur le plan des remèdes que les recours peuvent se croiser.

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Dans un autre ordre d’idées, la Cour supérieure a rendu une décision très intéressante portant sur les entreprises qui œuvrent dans le domaine de la sous-traitance, dans l’affaire Blair c. Global Drivers Services Incorporated[8].

Blair prétend que son employeur, une compagnie de location de service de chauffeurs de camions, néglige de se conformer à une ordonnance de la Commission des lésions professionnelles l’enjoignant de le réintégrer et de lui verser 19 432 $ à titre de salaire impayé. Il dépose donc une requête pour outrage au tribunal pour forcer l’employeur à le reprendre à son emploi.

La Cour rejette cette requête puisque la réintégration du salarié dépendait d’une tierce partie non soumise à l’ordonnance, soit un client de la compagnie de transport. En effet, le client de l’employeur qui avait utilisé les services de M. Blair comme chauffeur par le passé refusait qu’il lui soit à nouveau affecté en raison de son dossier disciplinaire. Ainsi, l’employeur ne refusait pas délibérément de le réintégrer et ne pouvait forcer un de ses clients à le reprendre. Il ne pouvait donc pas être condamné pour outrage au tribunal.

L’affaire Zabartany c. Corporation Guess? Canada[9], quant à elle, porte sur le droit de l’employeur de réorganiser les postes de son entreprise.

Robert Zabartany était représentant et directeur des ventes de la section des sacs à main. À la suite d’une réorganisation, son poste est aboli. Plus tard, une nouvelle directrice est embauchée pour un nouveau poste sans que celui-ci soit offert à M. Zabartany. Seulement 40 % des fonctions de la directrice sont composées de tâches auparavant exécutées par le plaignant, mais son salaire et son rang hiérarchique dans l’entreprise sont moindres. M. Zabartany prétend avoir fait l’objet d’un congédiement sans cause juste et suffisante.

La Cour détermine que Corporation Guess? Canada a bel et bien procédé à une réorganisation. Un employeur a certainement le droit de réorganiser son entreprise, et ce, bien qu’il n’éprouve pas de difficultés financières. Comme le nouveau poste comportait suffisamment de tâches pour lesquelles le plaignant n’avait pas les compétences nécessaires, il était raisonnable de ne pas le lui offrir.

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Finalement, dans Knight c. Société de transport de l’Outaouais[10], le Tribunal canadien des droits de la personne a rendu une décision dans une situation où un employeur a refusé d’embaucher un individu au motif que la Commission de la santé et de la sécurité du travail avait établi que celui-ci conservait des limitations fonctionnelles à la suite d’un accident du travail subi chez un employeur antérieur. Selon l’employeur, les limitations entraient en conflit avec les exigences du poste. Or, le tribunal a conclu que l’employeur ne pouvait pas prendre pour prétexte la décision de la CSST pour ne pas embaucher le plaignant sans d’abord évaluer ses aptitudes individuelles et tenter de lui accorder un accommodement.

À titre de remède, le Tribunal ordonne l’intégration du plaignant dans l’entreprise, lui accorde un montant de 21 000 $ au titre de perte de salaire et 2000 $ au titre de préjudice moral.

L’année 2006-2007 a été le théâtre de bien d’autres décisions qui auraient pu être étudiées. Nous vous avons présentées celles qui nous apparaissaient les plus pertinentes parmi elles.


Karine Fournier, CRIA
, avocate du cabinet Fasken Martineau Dumoulin, S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Source : VigieRT, numéro 20, septembre 2007.


1 Transport TF1-5 c. Pilon, (25 mars 2007), AZ-50439835 (T.A.).
2 Minolta Business Equipment (Canada) c. Commission des relations du travail (7 février 2007), AZ-50417154 (C.S.).
* Ce jugement fait présentement l’objet d’un appel. Il sera très intéressant de voir comment la Cour d’appel traitera la très grande différence entre l’indemnité accordée par le commissaire et celle accordée par la Cour supérieure.
3 Desgagnés-Bolduc c. Provigo Distribution (3 juillet 2007), AZ-50440812 (C.S.).
4 Research House Inc. (Québec recherches) c. Denis (23 avril 2007), AZ-50428621 (C.S.).
* Ce jugement a été porté en appel.
5 G.S. c. H.F. Motel A (15 juin 2007), 2007 QCCRT 0295, AZ-50438476 (C.R.T.).
* Une révision interne relative à ce jugement est actuellement en cours à la Commission des relations du travail.
6 Loi sur les normes du travail, L.R.Q. c. N-1.1, art. 123.6.
7 Ha c. L’hôpital chinois de Montréal (5 juin 2007), 2007 QCCRT 0277, AZ-50436368 (C.R.T.).
8 Blair c. Global Drivers Services Incorporated (23 novembre 2006), AZ-50408383 (C.S.).
9 Zabartany c.Coporation Guess? Canada (28 novembre 2006), 2006 QCCRT 0585, AZ-50399490 (C.R.T.).
10 Knight c. Commission canadienne des droits de la personne et société de transport de l’Outaouais (2 mai 2007), 2007 T.D.C.P. 15, AZ-50435196 (T.D.C.P.)
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