Vous lisez : L’entente de dernière chance et l’obligation d’accommodement peuvent-elles cohabiter?

Introduction

Conclue entre l’employeur, l’employé et le syndicat, le cas échéant, l’entente de dernière chance accorde une chance ultime à l’employé qui démontre des problèmes de comportement graves et répétitifs. Ce type d’entente impose des conditions strictes au maintien de l’emploi et peut même prévoir qu’un manquement à ses termes mènera au congédiement automatique.

La jurisprudence est de plus en plus abondante sur la question et les ententes de dernière chance sont davantage utilisées comme outil de gestion d’un dossier problématique.

La survie de l’obligation d’accommodement raisonnable malgré l’entente de la dernière chance
Une entente de dernière chance n’empêche pas l’arbitre saisi d’un grief de vérifier si l’employeur a satisfait à son obligation d’accommodement[1]. La Cour suprême[2] a d’ailleurs conclu que les droits et obligations prévus par les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l'emploi sont incorporés implicitement dans toute convention collective et que l’arbitre de griefs a compétence pour en disposer.

Rappelons que la toxicomanie et l’alcoolisme sont considérés comme des handicaps au sens de la Charte et qu’un employeur ne peut exercer de discrimination sur la base d’un handicap au moment du congédiement d’un employé[3]. L’employeur doit démontrer qu’il a pris les moyens nécessaires pour accorder un accommodement au salarié, dans la mesure où cela ne lui cause pas de contrainte excessive[4]. La rechute peut être considérée comme une conséquence prévisible de la réhabilitation de l’employé alcoolique[5].

Par exemple, dans l’affaire Commission scolaire English-Montréal[6], la plaignante, qui souffre de problèmes d’alcoolisme, est congédiée pour avoir contrevenu à une entente de dernière chance en se présentant au travail en état d’ébriété. L’arbitre substitue le congédiement en une suspension de quatre (4) mois sans salaire. L’arbitre précise qu’une absence du travail pourrait être justifiée dans le cas où la salariée ferait des efforts pour contrôler sa dépendance mais éprouverait des difficultés à ce sujet, pour autant que l’absence ne cause pas de contrainte excessive à l’employeur[7].

Dans une autre affaire récente, Goodyear Canada Inc.[8], l’employeur congédie l’employé pour son manque de ponctualité. Avisé de son problème de consommation d’alcool et de toxicomanie, l’employeur accepte de conclure une entente de dernière chance stipulant que le salarié s’engage à respecter la politique d’assiduité à défaut de quoi il sera automatiquement congédié. De retour au travail après une cure de désintoxication payée par l’employeur, le salarié est congédié pour avoir omis de pointer de façon régulière, ce qui contrevenait à l’engagement conclu lors de l’entente de dernière chance. L’arbitre conclut que l’employeur ne pouvait ignorer les problèmes de toxicomanie du plaignant et appliquer la conséquence prévue à l’entente sans une analyse plus poussée. L’employeur devait venir en aide au plaignant, l’encadrer et le soutenir afin qu’il puisse respecter ses engagements le mieux possible. À moins que l’exercice soit la source de difficultés excessives, l’employeur doit aider le plaignant. En omettant de faire enquête afin de déterminer si les manquements du plaignant étaient liés à ses problèmes de toxicomanie et en appliquant de façon automatique la sanction prévue à l’entente, l’employeur a manqué à son obligation d’accommodement. Ainsi, l’arbitre fait droit au grief.

De plus, dans l’affaire Premier Horticulture ltée[9], le plaignant souffre de crises d’anxiété. À la suite de plusieurs absences menant à un premier congédiement de l’employé, les parties concluent une entente de dernière chance dans laquelle elles prévoient que toute absence du plaignant doit être justifiée par une preuve médicale écrite appropriée et que tout manquement mènera au congédiement. Le plaignant est par la suite absent en raison d’une crise d’anxiété et fournit une preuve médicale tardive qui ne justifie pas son absence lors de cette journée, de sorte que l’employeur met fin à son emploi. L’arbitre accueille le grief et conclut que, compte tenu que l’absence était fondée sur un handicap, l’employeur avait le devoir d’offrir des mesures d’accommodement dans la mesure où elles existent et qu’elles ne constituent pas une contrainte excessive. De plus, il précise qu’il appartient à l’employeur de démontrer qu’il a respecté ses obligations à cet égard[10]. Enfin, il est intéressant de noter que l’arbitre mentionne qu’une entente de dernière chance peut constituer en soi une mesure d’accommodement raisonnable au sens de la Charte. Toutefois, en l’espèce, il ne s’agissait pas d’un accommodement, puisque l’employeur ne savait pas que le problème d’absentéisme était causé par un handicap[11].

Bien que l’entente de dernière chance n’exonère pas l’employeur de son obligation d’accorder un accommodement à un employé souffrant d’un handicap selon la Charte, le salarié doit cependant faciliter les efforts d’accommodement de son employeur et prendre les moyens nécessaires afin de remédier à son problème. Ainsi, le congédiement pourrait être maintenu s’il est démontré que l’employé résiste ou est incapable de faciliter l’accommodement.

Par exemple, dans l’affaire Québec (Ministère du Revenu)[12], l’arbitre maintient le congédiement étant donné que l’employeur a donné plusieurs chances au le salarié ayant des problèmes d’alcool avant de finalement le congédier. L’entente de dernière chance ne stipule pas que le plaignant serait congédié à la première absence sans autorisation et l’employeur lui a accordé plusieurs chances après sa réintégration initiale. Néanmoins, les absences liées à l’alcool ont continué de se multiplier, démontrant ainsi que l’employé ne poursuivait pas de démarches sérieuses de réhabilitation et qu’il manquait de motivation à faire les efforts nécessaires[13].

Bref, l’employeur pourra difficilement appliquer la conséquence d’un manquement à une entente de dernière chance sans d’abord se demander s’il a lieu d’accorder un accommodement au salarié souffrant d’un handicap au sens de la Charte. L’application automatique de la sanction prévue dans une entente de dernière chance est en ce sens difficile. Toutefois, le congédiement pourrait être justifié dans la mesure où le salarié a bénéficié de tous les accommodements possibles ou que l’accommodement constitue pour l’employeur une contrainte excessive.

Le pouvoir de l’arbitre de griefs d’évaluer si le salarié a manqué aux conditions de l’entente de dernière chance
En dernier lieu, soulignons que l’arbitre de grief conserve toujours le pouvoir, avant d’appliquer une entente, d’en interpréter les termes afin de déterminer si l’employé a manqué aux obligations qui y sont stipulées. La jurisprudence est à l’effet que les décideurs doivent interpréter ce type d’entente de manière restrictive en raison notamment des conséquences de son inexécution et du fait qu’elle modifie la convention collective. L’employeur doit donc rédiger les clauses de ce type d’entente en termes clairs et détaillés afin que toute contravention soit facilement identifiable, laissant le moins de place possible à interprétation.

Par exemple, dans l’affaire Emballage Mitchell-Lincoln Ltée[14], une entente de dernière chance interdit à l’employé de travailler sous l’influence de drogues ou de s’absenter pour un motif relié à la consommation de drogues. De plus, l’entente stipule que l’employeur peut faire passer un test de dépistage à l’employé lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire qu’il travaille sous l’effet de substances. À la suite d’une plainte à l’effet que le plaignant vendait de la drogue sur les lieux de travail, l’employeur lui fait passer un test de dépistage et le congédie lorsque les résultats démontrent la présence de substances illicites. Un grief est déposé. Le tribunal est d’avis que l’entente modifie la convention collective pour le plaignant et doit donc être interprétée de manière restrictive. Bien que la direction ait cru que l’entente signifiait que le plaignant ne pouvait jamais être sous l’effet de la drogue, on ne peut donner à l’entente « une étendue qui va au-delà des motifs pour lesquels elle a été conclue ni lui donner un effet que les parties n’ont pas stipulé »[15]. L’entente ne stipule pas que l’employeur peut soumettre le salarié à des tests de dépistage lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire qu’il vend de la drogue au travail, mais lorsqu’il a des motifs de croire qu’il a travaillé sous son effet. C’est pour ce seul motif que les parties ont convenu cette clause et l’entente ne constitue pas une « renonciation élargie du plaignant à ses droits fondamentaux découlant de la Charte »[16]. L’arbitre considère que la preuve ne démontre pas que le plaignant a travaillé sous l’effet de drogues et donc que la demande de subir le test de dépistage est illégale. Le grief est accueilli et le congédiement annulé.

Conclusion
La jurisprudence et la doctrine sur les ententes de dernière chance nous permettent d’établir certaines lignes directrices. Premièrement, l’entente de dernière chance ne peut être appliquée de façon automatique aux salariés souffrant d’un handicap tel que défini par les tribunaux. L’employeur doit toujours faire l’exercice d’accommodement raisonnable avant d’appliquer l’entente de dernière chance et d’imposer à l’employé les conséquences qui y sont prévues. Aussi, l’entente doit être rédigée en termes limpides et détaillés afin qu’une contravention à cette dernière soit facilement identifiable. Bref, bien que l’entente de dernière chance représente un outil précieux pour le règlement de conflits, elle demeure parfois difficile à faire respecter.


Marie-Claude Perreault, CRIA
, avocate associée, Vicky Lemelin, avocate et Julie-Véronica Brisson, étudiante du cabinet Lavery, de Billy

Source : VigieRT, numéro 21, octobre 2007.


1 Yves Morin, Daniel Notardonanto, et Helena Oliveira. « L’entente de réintégration conditionnelle: une dernière chance chèrement acquise? » dans Développements récents en droit du travail, vol. 224, Service de la formation permanente du Barreau du Québec, 2005, Éditions Yvon Blais, Cowansville, p. 61.
2 Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157.
3 Union des employées et employés de service, section locale 800 (FTQ) et Commission scolaire English-Montréal, D.T.E. 2005T-310 (T.A.).
4 Supra, note 2, p. 87.
5 Ibid, p. 91.
6 Supra, note 3.
7 Supra, note 3, par. 30.
8 Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 143 et Goodyear Canada inc., D.T.E. 2007T-585 (T.A.).
9 Fraternité nationale des forestiers et travailleurs d’usines (section locale 299) c. Premier Horticulture ltée et Steve Thibault, D.T.E. 2007T-411 (T.A.).
10 Ibid, par.  67.
11 Ibid, par. 69.
12 Syndicat de la fonction publique du Québec et Québec (Ministère du Revenu), D.T.E. 2007T-72 (T.A.). Voir au même effet, l’affaire Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 576-Q (SCEP-CTC) et Canlyte, compagnie de Genlyte Thomas Group, D.T.E. 2007T-193 (T.A.).
13 Ibid, par. 56.
14 Emballage Mitchell-Lincoln Ltée, division Drummondville et Syndicat des salariés d’Emballages Mitchell-Lincoln Ltée, division Drummondville, D.T.E. 2005T-933 (T.A.).
15 Ibid, par. 12.
16 Ibid, par. 23, 24 et 34.
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