Vous lisez : Les effets de l’accommodement raisonnable sur les droits d’ancienneté

Avocat, associé chez Ogilvy Renault, François Côté pratique au bureau de Montréal et se spécialise en droit de l’emploi et du travail depuis 1989.

Introduction

L’arrivée des diverses Chartes des droits et libertés et autres législations en cette matière dans le paysage juridique du Canada et du Québec au courant des années quatre-vingt continue encore aujourd’hui d’avoir des effets qui avaient à peine été envisagés à l’époque. Le principe d’égalité absolue entre tous, promu à un statut constitutionnel dès son adoption, force l’ensemble des membres de notre société, comme groupe, à réévaluer l’espace que nos choix collectifs doivent céder aux droits individuels de chacun d’entre nous.

L’accommodement raisonnable, une création jurisprudentielle, a été élaboré par nos tribunaux afin de s’assurer que tout individu ne fasse pas l’objet de discrimination en raison de l’une ou l’autre des caractéristiques protégées par nos Chartes. En matière de relations d’emploi, ce sont principalement les croyances religieuses ou les limitations physiques ou psychiques qui ont donné lieu à l’obligation à des accommodements. Ceux-ci visent essentiellement à permettre aux individus concernés de conserver leur travail lorsque leur foi ou leurs conditions particulières ne permettent pas le respect de l’ensemble des règles légitimes et nécessaires mises en place par leur employeur afin d’assurer un fonctionnement sécuritaire et efficace de leur entreprise.

Ces adaptations aux règles communes s’imposant jusqu’à ce qu’un tel accommodement devienne, pour l’employeur ou pour les autres salariés de l’entreprise, une contrainte excessive, les choix effectués bousculent nécessairement ceux qui les concèdent, ceux qui les subissent et, parfois même, ceux qui en bénéficient.

La remise en cause du principe de l’ancienneté par l’obligation d’accommodement est une situation dans laquelle ce sont les salariés, davantage que l’employeur, qui sont les plus bousculés, d’où l’intérêt de s’y attarder.

Nous vous proposons, dans les quelques pages qui suivent, de rappeler ce qu’est l’accommodement raisonnable et à quelles conditions il s’impose. Une fois ces éléments établis, nous tenterons de tracer un portrait des solutions avancées par les arbitres de griefs en milieux syndiqués, dans le cas particulier où l’application d’un accommodement se heurte aux droits d’ancienneté des autres salariés. Ainsi, un salarié peut-il, notamment en raison de sa religion ou de son handicap, être dispensé de respecter les règles d’ancienneté afin de demeurer en poste?

La notion d’égalité et d’accommodement
Tous ont droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap[1].

L’exercice en pleine égalité de ces droits et libertés peut parfois se heurter aux règles normales, légitimes et nécessaires qu’un employeur doit mettre en place afin de s’assurer que son entreprise soit sécuritaire, efficace et ultimement viable. En effet, à titre d’exemple, le respect des horaires de travail par des salariés sujets à certaines contraintes religieuses peut entraîner des difficultés. L’incapacité pour un salarié d’accomplir l’ensemble des tâches de son travail à la suite d’une maladie ou d’un accident peut aussi causer problème. Or, afin de s’assurer que ces salariés puissent continuer à travailler et, ainsi, à exercer en pleine égalité leurs droits et libertés sans être victime de discrimination, les tribunaux ont requis, de chaque employeur, qu’il puisse justifier en trois étapes, chacune des normes qu’il entend imposer à ses salariés[2] :

  • cette norme a été adoptée dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;
  • l’employeur a adopté cette norme en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;
  • cette norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;

C’est dans le cadre de cette troisième étape que l’employeur doit démontrer qu’il ne peut accorder un accommodement à un individu qui ne serait pas en mesure de respecter la règle sous étude, en raison de l’un des motifs de discrimination énoncés à la Charte[3], et ce, sans qu’il en résulte pour lui une contrainte excessive.

À titre d’exemple, un employeur qui mettrait fin à l’emploi d’un de ses salariés en raison de son incapacité à accomplir les tâches particulières de son travail ou en raison de son incapacité à se présenter au travail selon les horaires réguliers et impératifs en place, en raison d’un handicap ou de ses croyances religieuses, n’aurait vraisemblablement pas de difficulté à démontrer la rationalité, la bonne foi et le caractère nécessaire de sa décision d’adopter des horaires de travail formels ou de requérir de ses salariés qu’ils soient en mesure de faire les tâches pour lesquelles ils ont été embauchés.

Cet employeur devrait, par ailleurs, démontrer qu’il lui est impossible d’accorder un accommodement à cet individu. Ces modifications ou ces adaptations auront pour but de relativiser la norme causant problème afin de maintenir le salarié en emploi, tout en lui permettant de respecter sa foi ou d’accomplir ses tâches malgré son incapacité. On pense donc, à titre d’exemple, à des horaires adaptés pour l’un, ou à une modification des tâches ou à l’octroi d’un nouveau poste pour l’autre. Or, les postes de travail et le choix des horaires sont souvent acquis en vertu de l’ancienneté des salariés. Plusieurs types d’accommodements raisonnables pourront donc avoir pour effet de violer les droits d’autres salariés.

Une fois déterminée, la mesure d’accommodement sera la responsabilité de tous, soit l’employeur, le syndicat et les salariés[4].

De tels accommodements, consentis par l’employeur, ne devront par ailleurs pas mettre d’entraves à l’exploitation de son entreprise[5], ce que plusieurs nomment « une contrainte excessive ». La Cour suprême a énuméré ainsi certains éléments devant être pris en compte : le coût financier, l’atteinte à la convention collective, le moral du personnel et l’interchangeabilité des effectifs et des installations.[6] L’importance de l’exploitation de l’employeur aura un impact sur l’évaluation de ce qui représente une contrainte excessive, faisant de chaque cas un cas d’espèce.

Le moral des troupes et les réactions des employés aux accommodements proposés, doivent être considérés avec prudence. Il faut tenir compte de leur crainte légitime que leurs droits soient lésés, sans par ailleurs considérer certaines attitudes incompatibles avec les droits de la personne, tel un respect intégral et aveugle, par principe, de la convention.[7]

La notion d’ancienneté et son importance
Nous n’aurons pas de difficulté à convaincre qui que ce soit de l’importance de la notion d’ancienneté pour les salariés. L’auteur Christian Brunelle a énoncé qu’aux « yeux de nombreuses personnes syndiquées, l’ancienneté revêt une telle importance qu’elles n’hésitent pas à assimiler les droits qui s’y rattachent à des droits de propriété »[8].

Comment les arbitres ont-ils concilié ces deux droits
Rappelons, d’abord, que l’ancienneté est une création contractuelle entre les employeurs et les associations de salariés appelés à négocier pour chaque établissement une ou des conventions collectives taillées sur mesure selon les besoins en cause.

Ainsi, à défaut de reconnaissance législative, l’ancienneté est protégée en matière d’accommodement par le critère de la contrainte excessive, tel que défini par la Cour suprême du Canada. Il faut se demander, dans chaque cas d’espèce, si une mesure proposée à titre d’accommodement, qui a pour effet de passer outre aux règles d’ancienneté applicables, porte atteinte à la convention collective ou au moral du personnel à un point tel qu’elle constitue une contrainte excessive pour l’employeur et ses salariés[9].

De façon traditionnelle, les arbitres canadiens ont été réticents à accorder des accommodements qui iraient à l’encontre des règles d’ancienneté.

Dans une étude très poussée effectuée en 2004, l’auteur Christian Brunelle[10] pose ainsi la question : « les demandes d’accommodements qui entrent manifestement en conflit avec les droits d’ancienneté reconnus par une convention collective sont-elles en soi, constitutives d’une “contrainte excessive”? ».

L’auteur répond en rappelant que l’ancienneté n’est « qu’un facteur à prendre en compte » lorsque vient le temps de déterminer si un accommodement constitue une contrainte excessive. Critiquant certaines décisions, il a conclu que les droits d’ancienneté garantis par une convention collective ne constituent pas forcément un obstacle à l’implantation d’une mesure d’accommodement qui s’y heurterait. Il a proposé alors une méthode d’analyse multifactorielle fondée, notamment, sur le nombre de salariés en cause, la fréquence des demandes d’accommodement, l’importance accordée à l’ancienneté dans la convention, le nombre de salariés lésés par la mesure envisagée, les pratiques passées de l’entreprise à ce chapitre, la présence de salariés plus anciens prêt à renoncer à leur droit d’ancienneté au profit d’un demandeur et les perspectives d’emploi du demandeur dans l’entreprise et sur le marché du travail en général, et ce, afin de déterminer si l’accommodement envisagé constitue ou non une contrainte excessive.

Pour soutenir ses représentations, cet auteur se réfère, notamment, à quelques décisions canadiennes où les décideurs refusent le plus souvent d’octroyer des accommodements qui modifieraient les règles d’ancienneté.

Dans une première décision en 2002, il a été refusé à deux salariés adeptes de L’Église Universelle de Dieu, le droit à des horaires de travail différents de leurs collègues afin de leur permettre de respecter le Sabbat[11]. Un tel accommodement aurait alors, selon le tribunal, nécessité notamment de passer outre aux règles d’ancienneté en place chez l’employeur, Ford Canada. Le tribunal a d’ailleurs considéré le danger que ferait peser sur les parties un précédent autorisant une dérogation à la convention collective comme équivalent à une contrainte excessive à éviter.

Dans une deuxième décision, le tribunal d’arbitrage a accueilli, en se basant sur le respect des règles d’ancienneté prévues à la convention collective, un grief reprochant à un employeur d’avoir refusé la demande de supplantation d’un employé justifiant une ancienneté plus importante que le détenteur du poste convoité. L’employeur a tenté de justifier sans succès sa décision sur les limitations de l’employé qu’on voulait déplacer puisqu’il ne pourrait déplacer à son tour ailleurs dans l’entreprise, s’il devait être lui-même supplanté[12].

L’auteur se réfère, finalement, à une dernière décision, où le tribunal permet à un salarié handicapé d’opposer ses années d’ancienneté accumulées dans un département pour obtenir un poste mieux adapté à sa condition dans un autre département de l’entreprise, même si la convention collective comporte un régime d’ancienneté départemental[13].

D’autres décisions adoptent, par ailleurs, une ouverture plus importante à ce type d’accommodement en évaluant la balance des droits et des impacts pour le salarié touché et ceux qui voient leurs droits d’ancienneté remis en cause par l’accommodement recherché.

Ainsi, l’arbitre Hinnegan a accepté, dès 1991[14], la possibilité pour une employée invalide d’occuper un poste vacant même si elle possède moins d’ancienneté, de compétences et d’aptitudes qu’un autre employé. Selon cet arbitre, cet accommodement a un moindre impact sur cet autre employé qu’un refus en aurait sur l’employée invalide.

De la même façon, en 1997, l’arbitre M.V. Watters a soupesé les impacts de sa décision lors d’une affaire dans laquelle un salarié reproche à son employeur de l’avoir déplacé dans un autre département (sans qu’il soit par ailleurs mis à pied), alors qu’un salarié avec moins d’ancienneté fut autorisé à y demeurer. L’employeur a alors justifié sa décision par son obligation d’accorder un accommodement à l’employé détenteur du poste convoité en raison de ses limitations fonctionnelles[15]. Il était alors clair pour l’arbitre que dans certaines situations, après avoir envisagé sans succès l’ensemble des options disponibles, un employeur peut adopter, au bout du compte, une solution affectant les droits d’ancienneté des autres salariés. Dans une telle situation, les syndicats en place et les autres employés doivent subir les conséquences d’une telle mesure d’accommodement.

L’arbitre Picher a aussi accepté, dans une affaire mettant en cause la Société canadienne des postes[16], de confirmer la décision de l’employeur prise dans le but de respecter son obligation d’accommodement, en offrant un poste vacant à un travailleur et en ne respectant pas les dispositions de la convention collective relatives à l’ancienneté.

En 2003, l’arbitre Abramowitz a eu à décider si l’obligation d’accorder un accommodement à une salariée ayant présenté un certificat de retrait préventif prenait le dessus sur les règles d’ancienneté de la convention collective[17]. Il a accueilli le grief du syndicat au motif que d’autres solutions, qui n’avaient pas été envisagées, étaient pourtant disponibles. Il précise alors, que bien qu’il y ait effectivement une obligation pour les parties de trouver un compromis entre des « droits opposants », toute solution alternative à un accommodement heurtant les droits d’ancienneté de la convention devait être privilégiée.

L’arbitre Foisy a posé clairement, dans une décision en 2005, le principe selon lequel l’ancienneté doit céder le pas devant l’obligation d’accommodement imposé aux parties par la Charte[18]. Dans cette affaire, un certain nombre de salariés de l’une des trois usines montréalaises de l’employeur, ont été requis d’aller travailler dans une autre des usines dans un contexte de baisse de production et de redéploiement de la main-d’œuvre. Parmi ces salariés, deux étaient incapables d’effectuer les tâches de l’usine vers laquelle elles auraient dû être transférées en fonction de leur ancienneté. Afin d’éviter de les transférer pour ensuite devoir les mettre à pied pour incapacité, l’employeur a plutôt choisi de redéployer deux autres salariés plus anciens qui n’auraient autrement pas été touchés par le redéploiement. Saisie d’un grief du syndicat reprochant à l’employeur de ne pas avoir respecté les règles d’ancienneté, l’arbitre écrivit :

« Je comprends également que les droits d’ancienneté constituent un des piliers fondamentaux d’une convention collective et sont un facteur des plus importants contribuant à la stabilité des relations de travail dans les différentes usines de l’employeur. Ces droits cependant ne sont pas absolus et doivent céder le pas devant les dispositions prioritaires de la Charte. » 

p. 7

Il est important de noter, en l’espèce, que le redéploiement en question n’a duré finalement que quelques semaines et que les dommages subis par les deux salariés redéployés contre leur volonté furent, somme toute, minimes en comparaison de ce qu’auraient été les effets d’une mise à pied pour les deux salariées protégées.

L’arbitre Bergeron a été appelé à commenter cette dernière décision de l’arbitre Foisy qui lui avait été soumise dans le cadre d’un grief reprochant à l’employeur d’avoir refusé, à des fins d’accommodement, d’octroyer un poste à un salarié au profit d’un autre salarié moins ancien. Il a réitéré le principe énoncé par l’arbitre Foisy, en refusant toutefois de l’appliquer considérant les faits particuliers de cette affaire[19] :

« [103] Il est vrai, comme l’a plaidé le procureur patronal, que compte tenu des dispositions de la charte, cette volonté des parties peut être écartée par l’arbitre. À ce sujet, je me permets de rapporter le passage suivant de la décision rendue par l’arbitre Claude Foisy, le 26 octobre 2005, à l’égard d’une affaire AIMTA, section locale 712 – et – Bombardier aéronautique :

[…]

[104] Ce n’est toutefois qu’en dernier ressort que ces droits de rang d’usine doivent “céder le pas devant les dispositions prioritaires de la Charte” comme l’écrit l’arbitre Foisy ».                 

p. 17

Le Tribunal canadien des droits de la personne, saisi d’une plainte contre le CN, lui reprochant de ne pas avoir tenté de trouver un accommodement pour une salariée en raison de sa grossesse, a aussi adopté une position cohérente avec celles que nous venons de discuter. La défense du CN consistait à alléguer que le syndicat était le seul à blâmer puisqu’il avait refusé de participer au processus d’accommodement proposé en maintenant à tort la nécessité de trouver un accommodement respectant les droits d’ancienneté. Le tribunal a précisé que l’obligation pour le syndicat de céder sur ces droits ne naît que lorsque sa participation devient nécessaire, faute d’autres solutions possibles.[20]

Plus récemment encore, la Commission des relations du travail, dans le cadre d’une plainte déposée en vertu de l’article 124 LNT, a cité avec approbation et sans faire aucune distinction, la décision de l’arbitre Foisy pour conclure qu’un employeur avait l’obligation, en milieu non syndiqué, d’offrir à un salarié handicapé un trajet de livraison correspondant à ses limitations fonctionnelles, malgré qu’il n’eut pas à l’époque le nombre d’années de service continu nécessaire pour obtenir cette route.[21]

Finalement, l’arbitre Jean Gauvin a adopté, en juin 2007, une position très stricte pouvant, à première vue, sembler à contre-courant. Il s’agissait d’un grief dans lequel il était reproché à l’employeur d’avoir refusé une demande de supplantation par un salarié justifiant une ancienneté supérieure au détenteur actuel du poste. L’employeur a alors justifié sa décision au motif qu’il devait maintenir l’actuel détenteur du poste dans sa position qui constituait pour lui un accommodement
raisonnable.[22]

Posant comme principe que la jurisprudence est à l’effet que toute atteinte au droit qu’une convention collective confère à un salarié constitue une contrainte excessive (sic), l’arbitre a précisé que l’accommodement déjà accordé au salarié détenteur du poste convoité, pouvait être revu. Concluant que le salarié en question pouvait lui aussi à son tour tenter de déplacer un autre salarié s’il faisait droit au grief, l’arbitre Gauvin a ordonné à l’employeur d’accorder le droit de supplanter au plaignant et a aussi ordonné au salarié ainsi déplacé de supplanter, à son tour, un autre poste spécifique.

Il est intéressant de noter qu’en l’espèce, la dernière supplantation ordonnée par l’arbitre Gauvin ne respecte pas non plus les règles de la convention collective, puisque le salarié porteur de limitations ne peut effectuer que 50 % de la nouvelle tâche, forçant l’employeur à embaucher un autre employé pour effectuer le reste de la tâche.

Ne sommes-nous pas ici encore dans une situation où, malgré la position de principe adopté par l’arbitre, ce dernier a tenté, en passant outre à certaines règles de la convention, d’aménager la situation afin de garder tous les employés en emploi? À la différence des autres décisions auxquelles nous avons fait référence, la solution adoptée en l’espèce fait supporter le plus lourd fardeau par l’employé porteur de limitations et à son employeur.

Conclusion
Il nous a toujours semblé difficile de poser en principe absolu que toute atteinte aux droits d’ancienneté prévus à une convention collective constitue une contrainte excessive. Il paraît encore plus difficile de soutenir un tel raisonnement à la lumière des décisions arbitrales et de tribunaux, dont nous avons précédemment discuté. Au cours des dernières années, ces décisions ont en effet opté pour des solutions heurtant directement les droits d’ancienneté prévus dans les conventions collectives, afin d’accorder un accommodement à des employés qui auraient autrement risqué de perdre leur emploi.

De tels accommodements n’ont cependant été entérinés qu’en dernier recours, lorsque toutes les autres solutions, moins attentatoires aux droits conférés par la convention collective, ont été explorées et se sont avérées impraticables. Les arbitres et les tribunaux ont, en effet, retourné les employeurs à leurs devoirs quand ils n’étaient pas convaincus que toutes les pistes de solutions alternatives avaient été suffisamment explorées.

Il est évident que la remise en question des droits d’ancienneté a des effets négatifs sur les autres salariés de l’entreprise. Nous notons, par ailleurs, que les décideurs ayant confirmé de tels accommodements semblent avoir bien considéré l’importance des effets préjudiciables sur l’ensemble des parties selon la solution retenue. Qu'est-ce qui est le plus dommageable : le maintien des règles établies pour le salarié réclamant le droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité de ses droits et libertés, ou l’impact des ajustements proposés sur les autres salariés?


François Côté
, avocat, associé chez Ogilvy Renault

Source : VigieRT, numéro 22, novembre 2007.


1 Article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12.
2 Cette méthode a été proposée par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Colombie-Britanique c. BCGSEU (arrêt Meiorin) [1999] 3 R.C.S. 3 par. 54 et ss., et unanimement adoptée par la suite.
3 Voir note 1.
4 Central Okanagan School District No 23 v. Renaud [1992] 2 R.C.S. 970.
5 Central Dairy Pool c. Alberta [1990] 2 R.C.S. 489
6 Voir note 5.
7 Voir note 4.
8 Brunelle, Christian, « Droit d’ancienneté et droit à l’égalité : l’impossible raccordement? », dans Barreau du Québec. Service de la formation permanente. Développements récents en droit du travail (2004), vol. 205, Cowansville, Y. Blais, 2004, p. 101-154, p. 125-126.
9 Voir note 5.
10 Voir note 8.
11 Roosma c. Ford Motor Co. of Canada (2002) 44 C.H.R.R. D/182 (C Div. Ont.).
12 Corner Brook (city) c. Canadian Union of public Employee, Local 768 (1996) 431 A.P.R. 271 (C.A.T.-n.). Cette décision sera cassée par la Cour d’appel de Terre-neuve qui renverra le dossier à l’arbitre afin qu’il se prononce s’il y avait discrimination en l’espèce. Le dossier fut réglé hors cour sans que l’arbitre ne se prononce jamais.
13 Bubb-Clark c. Toronto Transit Commission (no 3) (2003) 42 C.H.R.R. D/326
14 Union Carbide Canada [1991] 21 L.A.C. (4th) 261
15 Bayer Rubber Inc. and C.E.P., loc 914 (Hannaford) (re) 65 L.A.C. (4th) 261
16 Canada Post Corporation vs. Canadian Union of Postal Workers [2002] C.L.A.D. no 9 (M.G. Picher); voir au même effet United paper Worker Internbational Union, local 1330 c. Boise Cascade Canada Limited, Kenora Division, 15 juillet 1994, Arbitre E.E. Plamer et Connolly [2003] B.L.R.B.D. no 133 (J. O’Brien).
17 Syndicat des techniciens et techniciennes de Cité de la santé de Laval et Cité de la santé de Laval(2003) RJDT 1931.
18 Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuse de l’aérospatiale, section locale 412 et Bombardier Aéronautique, DTE 2006T-258 (T.A.)
19 Les Brasseries Molson/Coors et Union des routiers, brasseries, liqueurs douces et ouvriers de diverses industries, section locale 1999, Soquij AZ-50380102, André Bergeron, 19 juin 2006.
20 Hoyt et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada DTE 2006t-939
21 Alix c. Prodair canada Ltée et BOC Gaz, CRT 2006 QCCRT 0542, le 7 septembre 2006
22 Syndicat des salariés de la production de Lactancia (CSD) et Les Aliments Parmalat, Jean Gauvin arbitre, le 14 juin 2007.
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