Vous lisez : Les recours collectifs en matière d’heures supplémentaires

Au cours des dernières années, bon nombre de recours collectifs d’importance liés à l’emploi ont été intentés aux États-Unis, dont plusieurs concernaient particulièrement les heures supplémentaires non rémunérées. En août dernier, un tribunal californien a même déclaré que les dispositions contractuelles à l’effet qu’un employé renonçait à participer à un recours collectif contre son employeur à l’égard d’heures supplémentaires impayées étaient invalides.

Au Canada, les principaux recours collectifs en matière d’emploi qui ont vu le jour jusqu’à maintenant contestaient essentiellement des régimes de retraite ou encore des congédiements injustes ou licenciements massifs dans le cadre desquels certaines questions secondaires liées aux heures de travail normales et supplémentaires pouvaient être abordées. Ainsi, avant l’année 2007, les entreprises canadiennes ont en quelque sorte été épargnées des recours collectifs majeurs par lesquels des employés contestent directement les pratiques de rémunération des heures de travail et des heures supplémentaires.

Toutefois, en 2007, deux recours collectifs d’envergure pour des heures supplémentaires impayées ont été intentés en Ontario, contre la Banque Canadienne Impériale de Commerce (CIBC)[1] et contre le géant comptable KPMG[2].

La poursuite à l’encontre de la Banque CIBC a été intentée par une employée en juin 2007, au nom d’un groupe rassemblant plus de mille employés (anciens et actuels). Selon la déclaration, ces derniers occupent ou ont occupé des postes autres que cadres ou syndiqués, tels que caissier, ou reliés au service à la clientèle. Par ce recours, les plaignants allèguent que la Banque CIBC leur impose une charge de travail trop lourde pour leur semaine normale de travail. Ce faisant, la Banque CIBC requiert d’eux un certain nombre d’heures supplémentaires afin de terminer leurs tâches, et ce, sans rémunération additionnelle. Conséquemment, les plaignants allèguent que cette pratique de la Banque CIBC est en dérogation à leurs contrats de travail ainsi qu’au Code canadien du travail[3]. Les plaignants réclament un certain nombre d’ordonnances, dont notamment que la Banque CIBC se conforme aux dispositions du Code canadien du travail. Les plaignants réclament également cent millions de dollars en dommages punitifs et exemplaires.

Quant au recours intenté contre KPMG, il a été institué en septembre dernier au nom de la majorité de ses employés occupant des postes d’avocats ou autres que comptables. Les plaignants allèguent que KPMG ne rémunère pas ou ne rémunère pas convenablement les heures supplémentaires effectuées au-delà de la semaine normale de 44 heures. Ce faisant, ils prétendent que KPMG agit en violation de leurs contrats de travail et de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi[4] de l’Ontario. Ils réclament ainsi une série d’ordonnances, dont notamment que KPMG se conforme à la Loi de 2000 sur les normes d’emploi ainsi qu’aux lois sur les normes du travail de certaines autres provinces. Les plaignants réclament également des dommages punitifs et exemplaires de l’ordre de dix millions de dollars canadiens.

Ces deux recours collectifs sont encore au stade de l’autorisation. Il est difficile en ce moment d’évaluer la probabilité que l’autorisation d’exercer ces recours soit accordée et il est encore plus difficile d’évaluer les chances de succès au mérite.

L’expérience passée nous permet de croire que l’institution de ces recours en Ontario aura vraisemblablement un impact au Québec dans un avenir rapproché. Analysons donc de plus près les situations pouvant être l’objet d’un recours collectif au Québec.

Les règles en matière d’heures de travail et d’heures supplémentaires
Au Québec, les règles relatives à la rémunération des heures de travail et des heures supplémentaires se retrouvent dans la Loi sur les normes du travail[5]. Cette loi prévoit notamment qu’aux fins du calcul des heures supplémentaires, la semaine normale de travail est de quarante heures et que tout travail exécuté au-delà de ces quarante heures au cours d’une semaine entraînera une majoration de 50 % du salaire horaire habituel. La Loi sur les normes du travail prescrit également que les règles liées à la majoration du salaire pour les heures supplémentaires ne s’appliquent pas à certains employés, notamment à ceux qui travaillent en dehors de l’établissement et dont les heures de travail sont incontrôlables et aux cadres de l’entreprise.

Un recours collectif pourrait donc porter sur les pratiques de paiement des heures de travail et des heures supplémentaires qui ne respectent pas ces normes minimales établies par la Loi sur les normes du travail. Un tel recours pourrait également viser la situation où un employeur, dans une politique d’entreprise ou un contrat de travail, offre à ses employés des conditions de travail plus généreuses que la Loi sur les normes du travail en matière de rémunération des heures supplémentaire, mais qui ne respecte pas par ailleurs les obligations auxquelles il s’est engagé par ladite politique ou contrat de travail.

Enfin, il y a le cas de l’employé qui n’est pas rémunéré sur une base horaire, mais plutôt mensuellement ou annuellement. Bien que cette situation ne soit pas spécifiquement encadrée par la Loi sur les normes du travail, elle n’est pas interdite par cette dernière. Il est donc possible de se demander si cet peut réclamer une majoration de 50 % ou une autre rémunération pour les heures supplémentaires effectuées au-delà de la semaine normale de 40 heures. À ce jour, les tribunaux québécois n’ont pas encore eu l’occasion de se prononcer à cet égard. La question demeure donc entière et il sera intéressant de suivre l’analyse que les tribunaux effectueront en cette matière.

Conclusions
Le recours collectif est un véhicule procédural qui atténue de façon importante les différents obstacles liés à un recours individuel et il s’agit d’un moyen efficace pour les employés de réclamer d’importants montants en dommages punitifs ou exemplaires. Les employés désireux d’obtenir l’autorisation d’exercer un recours collectif en matière d’heures supplémentaires devront toutefois s’assurer que ce recours constitue le moyen procédural adapté à leur situation, que les tribunaux de droit commun ont compétence pour entendre ce dernier, que la composition du groupe qu’ils représentent est appropriée et que les recours de chacun des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes.

La présence de la Commission des normes du travail pourrait toutefois freiner l’institution de tels recours au Québec, cette dernière possédant le droit d’ester en justice pour certains employés en cette matière, et ce, sans frais. Il sera donc intéressant de suivre l’évolution des poursuites intentées contre la Banque CIBC et KPMG et de constater l’influence qu’elles auront au Québec.


Valérie Potvin
, avocate du cabinet Fasken Martineau DuMoulin, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Source : VigieRT, numéro 22, novembre 2007.


1 Fresco c. Canadian Imperial Bank of Commerce, n° de dossier : 07-CV-334113PD2, 4 juin 2007
2 Corless c. KPMG LLP, n° de dossier : 07-CV-339348CP, 4 septembre 2007
3 À titre d’entreprise fédérale, la Banque CIBC est régie par le Code canadien du travail, L.R.C., 1985, ch. L-2
4 Loi de 2000 sur les normes d’emploi, L.O., 2000, c. 41
5 Loi sur les normes du travail, L.R.Q.c, N-1.1
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