Vous lisez : Tests de dépistage de drogues en cours d’emploi : un équilibre délicat entre les droits de l’employeur et de l’employé

Le droit de gérance de l’employeur et son obligation légale de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs lui permettent de mettre en place une politique de dépistage de drogues au sein de son entreprise.

Cependant, faire subir aux travailleurs des tests de dépistage de drogues porte atteinte à plusieurs de leurs droits, notamment ceux garantis par la Charte des droits et libertés de la personne[1] dont le droit au respect de leur vie privée, le droit à la sauvegarde de leur dignité, de leur honneur et de leur réputation, le droit à la liberté et à l’intégrité physique, le droit à une non-discrimination fondée sur un handicap et le droit de bénéficier de conditions de travail justes et raisonnables.

Par ailleurs, les tribunaux peuvent être réticents à accepter les tests de dépistage et notamment les tests de détection de cannabis dans les urines qui posent un problème technique. En effet, ils indiquent uniquement une consommation passée de drogue qui, selon les études médicales, peut avoir eu lieu dans un délai de deux jours à onze semaines avant le test. Ils ne permettent pas de déterminer la quantité absorbée, ni le moment de l’absorption, ni si les facultés de la personne étaient altérées au moment du test.

La jurisprudence exige que la réalisation de tests de dépistage de drogues soit justifiée par une cause raisonnable. Les tribunaux considèrent ainsi que de tels tests effectués de manière aléatoire à l’égard de n’importe quel travailleur occupant n’importe quel poste sont illégaux[2].

Les tribunaux des provinces sous le régime de la common law considèrent également comme illégitimes les tests réalisés de manière aléatoire (random drug testing) auprès des employés occupant un poste critique pour la sécurité (safety-sensitive positions), compte tenu du manque de fiabilité et de précision de ces tests[3]. Cependant, même en présence de tests de dépistage par prélèvements buccaux considérés plus fiables, car permettant de connaître le niveau précis d’altération des facultés d’un employé, un tribunal d’arbitrage de l’Ontario a invalidé la politique de tests de dépistage aléatoires de l’employeur[4].

Au Québec, il semblerait que les tribunaux d’arbitrage tendent à considérer valides les tests réalisés de manière aléatoire auprès des employés occupant un poste critique pour la sécurité[5]. Néanmoins, il serait souhaitable de connaître la position de la Cour supérieure ou de la Cour d’appel qui n’ont toujours pas rendu de décisions sur ce sujet.

Les tests de dépistage de drogues peuvent être justifiés en cas de survenance d’un accident ou d’un incident sérieux. Dans la décision Goodyear, l’arbitre limite cependant la possibilité de faire subir aux travailleurs des tests de dépistage aux accidents « exigeant un arrêt de travail ou impliquant une blessure grave ou un bris majeur »[6].

Les tests de dépistage peuvent également être exigés lorsque l’employeur a des motifs raisonnables et probables de croire qu’un employé a les facultés altérées par l’usage de drogues en raison de son comportement ou d’une diminution de son rendement ou de son travail[7].

Lorsque des tests aléatoires de dépistage de drogues sont prévus par des dispositions législatives, par exemple en matière de transport aux États-Unis, la jurisprudence considère que les employeurs canadiens sont en droit de pratiquer ces tests sur les employés concernés[8].

Les tests de dépistage de drogues peuvent aussi être justifiés à la suite d’une absence reliée à la consommation de drogues par un employé qui effectue un retour au travail, lorsqu’un employé est réintégré à son poste à la suite de l’annulation de son congédiement pour usage de drogue par un tribunal[9] ou dans le cadre d’une entente de dernière chance après une consommation de drogue. Cependant, dans plusieurs décisions, la possibilité de réaliser des tests de dépistage a été limitée dans le temps.

La politique de tests de dépistage de drogues doit avoir été portée à la connaissance des travailleurs et ceux-ci doivent connaître les sanctions disciplinaires applicables en cas de non-respect de cette politique. Le travailleur doit par ailleurs avoir accès aux résultats du test.

Le refus d’un travailleur de se soumettre à un test légitime de dépistage de drogues ou à une expertise supplémentaire pour définir s’il est ou non atteint d’une dépendance à la drogue peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire, pouvant aller jusqu’au congédiement, le cas échéant[10].


Michel Towner, CRIA 
et Sandrine Thomas, avocats du cabinet Fraser Milner Casgrain s.e.n.c.r.l.

Source : VigieRT, numéro 22, novembre 2007.


1 L.R.Q. c. C-12.
2 Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, local 143 et Goodyear Canada inc. (ci-après « Goodyear »), Soquij AZ-50400918 (T.A.), requête en révision judiciaire rejetée, D.T.E. 2006T 449 (C.S.), requête pour permission d’appeler accueillie.
3 Entrop v. Imperial Oil Ltd, (2000) 189 D.L.R. (4th) 14.
4 Communications, Energy & Paperworkers Union of Canada, Local 900 c. Imperial Oil Ltd., [2006] O.L.A.A. No 721. Appel interjeté.
5 Goodyear, précitée note 2; Union des chauffeurs de camions, hommes d’entrepôts et autres ouvriers, Teamsters Québec, section locale 106 (F.T.Q.) et Midland Transport ltée (ci après « Midland »), D.T.E. 2004T-85 (T.A.) : travailleur manipulant des matières dangereuses, explosives et inflammables et utilisant un chariot élévateur motorisé; Milazzo et Commission canadienne des droits de la personne et Autocar Connaisseur inc. et l’Association des autocaristes canadiens (ci-après « Milazzo »), 2003 TCDP 37 (T.C.D.P.).
6 Goodyear, précitée note 2.
7 Goodyear, précitée note 2.
8 Autocars Orléans Express inc. et Union des employées et employés de service, section locale 800, D.T.E. 2004T-904 (T.A.); Milazzo, précitée note 5.
9 Goodyear, précitée note 2; Union des routiers, brasseries, liqueurs douces & ouvriers de diverses industries, local 1999, (Teamsters) et Domfer Poudres Métalliques ltée, Soquij AZ-50391701 (T.A.); Auto Haulaway et Union des Teamsters – Québec, section locale 106, D.T.E. 95T-437 (T.A.); Société canadienne des postes et Syndicat des postiers du Canada, D.T.E. 95T-218 (T.A.); Milazzo et Autocar Connaisseur inc., D.T.E. 2005T-539 (T.C.D.P.).
10 Midland, précitée note 5; Pétro-Canada et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 175, D.T.E. 2004T-222 (T.A.).
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