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L'employé d'une entreprise québécoise subissant une lésion professionnelle peut-il être indemnisé par la CSST?

Dans le contexte actuel de la mondialisation des marchés, le déplacement et la mutation des travailleurs sont de plus en plus fréquents. Depuis quelques décennies, même les petites et moyennes entreprises voient leur marché se développer à l’échelle internationale. Les relations de travail en sont complexifiées, d’où l’importance de déterminer la portée de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1]. Les articles 7 et 8 de la L.A.T.M.P. déterminent le champ d’application de la loi. De nombreux litiges ont permis de préciser la portée de ces dispositions législatives et en voici un bref survol.


1. L’article 7 de la L.A.T.M.P.

Tout d’abord, l’article 7 de la L.A.T.M.P. prévoit deux conditions pour qu’un travailleur soit assujetti à la L.A.T.M.P. : 1) la lésion professionnelle doit être survenue au Québec et 2) l’employeur doit avoir un établissement au Québec.

1.1. Une maladie professionnelle contractée au Québec ou un accident survenu au Québec
Tout d’abord, la maladie professionnelle doit être contractée au Québec ou l’accident du travail doit survenir au Québec. Dans l’affaire Hérault et E.B. Eddy[2], le travailleur a été exposé à des bruits élevés sur une très longue période soit de 1936 à 1986, et a développé une atteinte auditive considérée comme une surdité industrielle. La Commission de la santé et de la sécurité du travail (ci-après « C.S.S.T. ») a refusé l'indemnisation au motif que le travailleur travaillait en Ontario lors de ces dernières années d'emploi entre 1977 et 1985. En révision de cette décision, le Bureau de révision paritaire conclut plutôt que la preuve médicale et documentaire établissait que la surdité s’était développée au cours de ses 41 années d'emploi au Québec et que le fait qu’elle ait évolué par la suite, alors qu’il travaillait en Ontario, n’affectait en rien son assujettissement à la L.A.T.M.P. Le critère retenu pour déterminer si la loi était applicable est donc la période du début de sa maladie et de la plus grande partie de son évolution alors que le travailleur était au Québec.

1.2. Une entreprise ayant un établissement au Québec
De plus, pour qu'un travailleur soit assujetti à la L.A.T.M.P., l’employeur doit avoir un établissement au Québec. Ainsi, même si un travailleur réside à l’extérieur du Québec, s’il y travaille et que son employeur y a un établissement, il est assujetti à la L.A.T.M.P. en vertu de l’article 7 de la L.A.T.M.P.[3].

La notion d’« établissement » est définie à l’article 2 de la L.A.T.M.P. qui réfère à la définition prévue à l’article 2 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[4] qui se lit comme suit :

« ′établissement′ : l'ensemble des installations et de l'équipement groupés sur un même site et organisés sous l'autorité d'une même personne ou de personnes liées, en vue de la production ou de la distribution de biens ou de services, à l'exception d'un chantier de construction; ce mot comprend notamment une école, une entreprise de construction ainsi que les locaux mis par l'employeur à la disposition du travailleur à des fins d'hébergement, d'alimentation ou de loisirs, à l'exception cependant des locaux privés à usage d'habitation. »

Dans l’affaire Simard & Beaudry Inc. et C.S.S.T.[5], la C.A.L.P. précise la portée de la notion d’établissement en matière de construction. La C.A.L.P. conclut à l’assujettissement des travailleurs de la construction à la L.A.T.M.P. Elle est d'avis que, bien que le chantier de construction soit exclu de la définition d’établissement, les travailleurs sont des employés de l'entreprise de construction et sont affectés à des travaux sur des chantiers aux fins de cette entreprise; par conséquent, cette entreprise est leur employeur au sens de la L.A.T.M.P.


2. L’article 8 de la L.A.T.M.P.

L’article 8, quant à lui, a une portée extraterritoriale en assujettissant à la L.A.T.M.P. le travailleur dont la lésion est survenue à l’extérieur du Québec, à la condition 1) qu’il soit domicilié au Québec ou 2) qu'il y était lors de son affectation à l’extérieur du Québec, mais que la durée du travail hors Québec n'excède pas cinq ans au moment où l'accident est survenu et 3) que son employeur ait un établissement au Québec.

2.1. Domicilié au Québec lors de la survenance de la lésion ou au moment de son affectation hors du Québec, mais que la durée du travail n'excède pas cinq ans au moment de la lésion
Si le travailleur à l'étranger a conservé un domicile au Québec, il sera assujetti à la L.A.T.M.P., en vertu de l’article 8 de la L.A.T.M.P. Il y sera également assujetti s’il y était domicilié lors de son affectation hors du Québec lorsque la durée de travail à l'extérieur du Québec ne dépasse pas cinq ans au moment où survient l’accident ou au moment où est contractée la maladie.

Dans l’affaire Nicola et Allied Aérospatiale Inc.[6], on a utilisé les règles du Code civil du Québec[7] à titre supplétif pour déterminer l'endroit du domicile du travailleur. L’article 75 du C.c.Q. prévoit que le domicile d’une personne est son principal établissement alors que l’article 76 du C.c.Q. prévoit que, pour changer de domicile, il faut que la personne ait l’intention de faire de sa nouvelle résidence son principal établissement. En l'espèce, bien que le travailleur ait habité en Ontario pendant la durée du contrat et y ait subi une lésion, il avait toujours maintenu son domicile principal au Québec.

Par ailleurs, un travailleur qui subit une lésion professionnelle à l’extérieur du Québec alors qu’il réside de façon habituelle à l’extérieur du Québec et qu’il n’y résidait pas non plus lors de son affectation n’est pas assujetti à la L.A.T.M.P. même si son employeur a son établissement au Québec. C’est ce qu’a récemment conclu la Cour d’appel dans l’arrêt Soucy c. Québec (Procureur général)[8]. De plus, dans cet arrêt, la Cour confirme la validité constitutionnelle de l’article 8 de la L.A.T.M.P. au motif que cet article ne viole pas le droit d'un citoyen canadien de gagner sa vie dans toute province, droit protégé par l’article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés[9].

2.2. Une entreprise ayant un établissement au Québec
Au même titre que pour l’article 7 de la L.A.T.M.P., l’employeur doit avoir un établissement au Québec. Cet élément doit recevoir la même interprétation que pour l’article 7, c’est-à-dire un établissement au sens de l’article 2 de la L.A.T.M.P.


3. La rechute, récidive ou aggravation (ci-après « R.R.A. »)

Par ailleurs, il faut souligner que le travailleur demeure admissible au régime d’indemnisation de la L.A.T.M.P. s’il est victime d’une R.R.A. alors qu’il est à l’extérieur du Québec. En effet, si le travailleur est assujetti à la L.A.T.M.P. pour sa lésion initiale, en vertu des articles 7 et 8, il y restera assujetti, peu importe si le travailleur est à l’extérieur du Québec lors d'une R.R.A.[10].

Toutefois, dans l’affaire Plante et Tapis Montmagny enr.[11], la Commission des lésions professionnelles (ci-après la « C.L.P. ») rejette la réclamation de la travailleuse pour une R.R.A. au motif que cette lésion avait été déjà reconnue à titre d’accident du travail dans une autre province, mais non au Québec. La C.L.P. conclut que l’article 8 de la L.A.T.M.P. ne s’applique pas en l’espèce. « Le tribunal ne voit pas comment un accident du travail survenu dans une autre province pourrait en même temps constituer une rechute d’un événement survenu antérieurement au Québec. » (p. 11 )


4. Conclusion

Le champ d'application du régime d’indemnisation de la L.A.T.M.P. est déterminé par les articles 7 et 8 de la loi. Il couvre un large éventail de situations et prévoit l'indemnisation de lésions et même de récidives, de rechutes ou d’aggravations qui surviennent à l'étranger.

La portée de la L.A.T.M.P. peut également être élargie par des ententes intergouvernementales conclues en vertu du premier alinéa de l'article 170 de la L.S.S.T. lequel prévoit des exceptions aux articles 7 et 8 de la L.A.T.M.P. Ces ententes doivent être examinées au cas par cas.

Dans l'hypothèse où aucun régime d’indemnisation étatique ne serait applicable, le travailleur lésé n'est pas sans recours et peut toujours se prévaloir du régime général de la responsabilité civile pourvu qu’il démontre la faute, le dommage et le lien de causalité.


Marie-Claude Perreault, CRHA
, avocate associée au cabinet Lavery, de Billy, en collaboration avec Vicky Lemelin, avocate et Virginie Simard, étudiante

Publié avec l'autorisation de Lavery, de Billy [www.lavery.qc.ca]

Source : VigieRT, numéro 23, décembre 2007.


1 L.R.Q., c. A-3.001, ci-après la « L.A.T.M.P. ».
2 Hérault et E.B. Eddy, (1991) B.R.P. 44.
3 Fiset et Équipement d'aiguille CRV ltée, C.L.P., 158189-62C-0104, Me Maurice Sauvé, 01-10-17.
4 L.R.Q., c. S-2.1, ci-après la « L.S.S.T. ».
5 (1987) CALP 695.
6 Nicola et Allied Aérospatiale Inc., D.T.E. 96T-1067 (C.A.L.P.).
7 L.Q., 1991, c.64 (ci-après le « C.c.Q. »).
8 Soucy c. Québec (Procureur général), D.T.E. 2007T-944 (C.A.).
9 L.R.C. (1985), App. II, n° 44, Annexe B, ci-après la « Charte canadienne ».
10 Cloutier et René-Paul Lambert & Fils (fermé), C.L.P., 186594-71-0206, 03-01-29, C. Racine ; Khan et Canadien Pacifique ltée, C.A.L.P., 15021-62-8910, 92-05-14, S. Lemire.
11 Plante et Tapis Montmagny enr., C.L.P., 172353-03B-0110, 2002-07-11, J.-F. Guay, AZ-02302048.
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