Vous lisez : Politique relative aux drogues et à l’alcool : la complexité d’un outil essentiel

Les politiques relatives aux drogues et à l’alcool en milieu de travail ont accru leur popularité auprès des employeurs au cours des dernières années. Rien d’étonnant en raison des avantages indéniables que procurent ces outils de gestion. Une telle politique contribue en effet à prévenir les accidents liés à la consommation, à décourager la consommation en milieu de travail et à encadrer les salariés souffrant de dépendance.

D’apparence simple, la rédaction d’une politique relative aux drogues et à l’alcool en milieu de travail cache toutefois une complexité juridique surprenante. Afin d’être jugée valide aux yeux de la loi, cette politique doit préserver l’équilibre entre le droit de gérance de l’employeur et les droits fondamentaux de ses employés tels que le droit à la vie privée et le droit à l’intégrité physique. L’exercice est d’autant plus difficile que depuis près de vingt ans, les tribunaux en ont eu long à dire sur le sujet!

Le présent article propose un bref coup d’oeil des principaux défis que requiert la mise en oeuvre d’une politique relative aux drogues et à l’alcool en milieu de travail.

Problématique quant à l’adoption d’une politique : droit du travail et droits fondamentaux
Afin d’être conforme à la loi, une politique de dépistage de l’alcool ou de drogues en milieu de travail doit se conformer à deux sous-ensembles du droit : le droit du travail et le droit des personnes.

En droit du travail, le problème vient du fait que la politique n’est généralement pas négociée avec les salariés, mais plutôt imposée unilatéralement par l’employeur. Par conséquent, l’employeur doit respecter certaines conditions élaborées en 1965 lors de la décision Re Lumber & Sawmill Workers’ Union, local 2537 and KVP co. Ltd.[1]. Parmi les critères énumérés dans cet arrêt, le plus important est la raisonnabilité de la politique. Dans le cas d’une politique sur les drogues et l’alcool, il importe alors de soupeser les intérêts de l’employeur (par exemple, s’assurer de la capacité des salariés à fournir leur prestation de travail de manière efficace et sécuritaire) et ceux des salariés (par exemple, à ce qu’on respecte l’intégrité de leur personne). Pour ce faire, les tribunaux exigent que l’on réponde à deux (2) questions :

  • Existe-t-il un problème d’alcool ou de drogues en milieu de travail?
  • Est-ce que la politique est la moins intrusive possible?

Si l’on répond par l’affirmative à ces deux questions, la politique sera alors considérée comme raisonnable aux fins du droit du travail.

L’adoption d’une politique de dépistage dépasse par ailleurs le simple cadre du droit du travail. Afin d’être légitime, elle doit également être conforme aux droits conférés par la Charte des droits et libertés de la personne. Puisque la dépendance aux drogues ou à l’alcool constitue un handicap aux yeux de la loi, l’administration de tests d’échantillonnage peut, en effet, être considérée comme discriminatoire. La loi n’oblige évidemment pas un employeur à faire abstraction de toutes considérations de sécurité ou d’efficacité : il aura le droit d’imposer une politique qui peut sembler intrusive, mais qui, en raison de la nature du poste ou de l’entreprise, pourra être qualifiée « d’exigence professionnelle justifiée ». Une exigence professionnelle doit répondre aux trois questions suivantes[2] :

  • La politique de drogues et d’alcool a-t-elle été adoptée dans un but rationnellement lié au travail?
  • La politique a-t-elle été adoptée de bonne foi par l’employeur?
  • La politique était-elle la méthode la moins attentatoire pour atteindre le but lié au travail?

Bref, ce n’est qu’en répondant oui à ces trois questions que l’on pourra conclure à la légalité d’une politique d’alcool et de drogues au travail.

Le contenu de la politique
Le contenu d’une politique relative aux drogues et à l’alcool en milieu de travail variera d’une entreprise à l’autre selon le secteur d’activité. Néanmoins, certains éléments devront nécessairement se retrouver dans chacune des politiques :

  • Un code de conduite expliquant les droits et obligations des salariés concernant les drogues et l’alcool. En d’autres termes, quels comportements sont proscrits.
  • Une section expliquant dans quelles circonstances l’employeur peut exiger un test de dépistage. On y précise aussi de quelle manière se déroulent les tests.
  • Une section expliquant les mesures disciplinaires prévues en cas de manquements à la politique.
  • Un programme de réadaptation et de réintégration destiné aux employés souffrant d’une dépendance.

Tester un salarié : qui et quand?
On ne peut évidemment discuter de politique d’entreprise en matière de drogues et d’alcool sans aborder l’épineuse question des tests de dépistage.

Qui dit test dit nécessairement prélèvement d’échantillons d’haleine, de sang ou d’urine. En raison de leur caractère intrusif, les tests de dépistages occasionnent une violation prima facie du droit à l’intégrité physique des salariés. Par ailleurs, ces mêmes tests, comme nous l’avons évoqué plus haut, pourront être considérés comme discriminatoires à l’égard des salariés souffrant d’une dépendance. Pour ces raisons, un employeur pourra exiger un test de dépistage à un employé seulement s’il a des « motifs raisonnables » de le faire.

Prenez note que deux facteurs importants influencent le caractère raisonnable d’un test : la nature de l’entreprise et du poste occupé par l’employé visé par le test. Plus la sécurité est en jeu, plus il est normal d’imposer des tests de dépistage. Voyons donc quelques illustrations de ce principe :

  • Les tests de dépistage sont généralement considérés comme légitimes si l’employeur peut objectivement constater que l’employé est sous l’effet de l’alcool. Par exemple, si l’employé sent l’alcool, s’il semble anormalement agité, s’il a les pupilles complètement dilatées, etc.
  • Il peut être raisonnable d’exiger un test à la suite d’un accident dont la cause peut être reliée à l’employé.
  • Effectués auprès d’employés occupant des postes sensibles pour la sécurité, des tests de dépistage d’alcool faits au hasard sont légitimes.
  • À l’opposé, même si l’on retrouve des traces de drogue dans le sang d’un employé, les tests de dépistages de drogue ne permettent pas de dire si les facultés d’un employé sont affaiblies. Effectué au hasard, ce genre de tests serait jugé illégal.
  • Il est légitime d’exiger qu’un employé souhaitant obtenir un poste à risque pour la sécurité passe un test de dépistage. De la même manière, un employeur pourrait demander à un employé occupant ce genre de poste de passer des tests de dépistage sur une base régulière.
  • Enfin, tout test de dépistage exigé à l’embauche serait jugé discriminatoire si le poste visé n’est pas jugé à risque pour la sécurité.

Conclusion
L’adoption d’une politique relative aux drogues et à l’alcool doit faire partie de toute stratégie de gestion des ressources humaines. La rédaction et la mise en oeuvre d’une telle politique requièrent toutefois une analyse juridique attentive afin de trouver le juste équilibre entre les droits de gérance de l’employeur et les droits des salariés.

La tâche est d’autant plus ardue que dans les prochaines années, le droit est appelé à bouger. Alors que les décisions sur la légalité de ces politiques nous proviennent surtout, pour l’instant, des provinces de common law, il est fort à parier que les tribunaux québécois voudront eux aussi clarifier leurs vues sur le sujet.

Patrick Galizia, avocat du cabinet Ogilvy Renault

Source : VigieRT, numéro 23, décembre 2007.


1 Re Lumber & Sawmill Workers’ Union, local 2537 and KVP co. Ltd., (1965) 16 L.A.C. 73.
2 VIOLETTE, Anouk, « Les tests de dépistage d’alcool et de drogues en milieu de travail : une question d’équilibre », 60 R. du B. 81.
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