Vous lisez : 10 jugements marquants de l’année 2016 en droit du travail

Chaque année, le droit du travail est façonné par de nouvelles décisions des tribunaux qui apportent des éclaircissements sur l’étendue des droits et des obligations des acteurs du monde du travail, abordent de nouveaux enjeux ou encore révèlent la nécessité d’apporter certaines modifications aux politiques et aux pratiques en matière de gestion des ressources humaines.

En cette fin d’année 2016, nous avons répertorié 10 jugements qui, à notre avis, méritent une attention particulière.

En vertu de l’article 240 du Code canadien du travail (CCT), les salariés à l’emploi d’une entreprise de juridiction fédérale depuis au moins 12 mois peuvent déposer une plainte à l’encontre d’un congédiement injuste. Jusqu’à récemment, on croyait qu’un tel recours était similaire au recours des salariés syndiqués leur permettant de contester un congédiement sans motif et de réclamer notamment une réintégration dans l’emploi. Or, en 2015, allant à l’encontre d’une jurisprudence arbitrale très largement majoritaire établie depuis près de 30 ans, la Cour d’appel fédérale avait décidé que le CCT n’obligeait pas l’employeur à motiver un congédiement, le caractère « juste » du congédiement pouvant découler du simple paiement d’une indemnité de départ. En somme, un congédiement non motivé n’était pas en soi injuste si l’on versait une indemnité de départ.

Le 14 juillet 2016, la Cour suprême du Canada a annulé la décision de la Cour d’appel fédérale en énonçant clairement que l’article 240 du CCT exige des employeurs de juridiction fédérale qu’ils motivent le congédiement de leurs salariés cumulant au moins 12 mois de service.

La Cour supérieure aborde une question intéressante mettant en cause les droits fondamentaux de certains individus de religion sikhe refusant de se conformer à une politique prévoyant le port obligatoire du casque protecteur dans les terminaux du Port de Montréal.

Dans le contexte d’une requête pour jugement déclaratoire, trois individus occupant des postes de camionneurs demandaient à être exemptés de cette politique qu’ils jugeaient contraire à leurs croyances religieuses, lesquelles leur interdiraient de porter un casque protecteur sur leur turban.

Analysant la question à la lumière des dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne (articles 3, 10 et 16) et de la Loi canadienne sur les droits de la personne (article 5), la Cour a conclu d’abord que les requérants ont établi, prima facie, le caractère discriminatoire de la politique en question à leur égard. Toutefois, la Cour a estimé que les défenderesses ont établi que la politique adoptée constituait une exigence professionnelle justifiée (EPJ), soit une norme adoptée dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause, qui a été adoptée en vertu d’une croyance sincère quant à sa nécessité pour réaliser ce but légitime lié au travail et qui est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime[1]. En effet, l’objet de la politique, qui vise à assurer la santé et la sécurité des employés et des autres travailleurs circulant dans les terminaux du Port, permet de conclure à l’existence d’un lien rationnel entre le but de cette politique et l’exécution du travail visé. À cet égard, le fait que le port du casque dans le cas des camionneurs soit limité aux déplacements hors du camion est l’un des éléments pris en considération par la Cour, tout comme le sont les exigences législatives et réglementaires en matière de santé et de sécurité au travail et auxquelles sont assujetties les défenderesses.

La Cour a conclu que le choix d’imposer le port du casque de protection pour l’ensemble des travailleurs du Port de Montréal selon les modalités prévues est amplement justifié et qu’aucune autre mesure susceptible de permettre d’accommoder les requérants n’a été mise en preuve.

Le syndicat a contesté la décision de la Ville de Gatineau d’exiger que le titulaire du poste de commis aux finances soit apte à communiquer en anglais, alléguant une violation de la Charte de la langue française (CLF). À l’appui de cette exigence, la Ville a invoqué le fait que le commis aux finances devait répondre aux appels téléphoniques de citoyens dont une proportion significative tait en anglais (11,4&bnsp;% à 20,4 % des appels quotidiens).

Devant l’arbitre, le débat a porté sur l’article 46 CLF qui énonce qu’« [il] est interdit à un employeur d’exiger pour l’accès à un emploi ou à un poste la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que la langue officielle, à moins que l’accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance ». Adoptant une interprétation très restrictive de la notion de « nécessité », l’arbitre a accueilli le grief du syndicat et conclu que la Ville n’était pas dans une situation de nécessité au sens de l’article 46 CLF.

La Cour d’appel a annulé la décision de l’arbitre en manifestant son désaccord avec une interprétation de la notion de « nécessité » qu’elle a qualifiée de beaucoup trop restrictive. Au moment de la rédaction de cet article, le délai d’appel à la Cour suprême du Canada n’était pas encore échu.

Une secrétaire-réceptionniste travaillant au cabinet du maire de la Ville de Sherbrooke a été arrêtée et accusée, avec son conjoint, de possession de cannabis en vue d’en faire le trafic et la production de cananbis. La Ville a alors suspendu la salariée afin de procéder à une enquête qui a révélé que les activités illicites étaient menées par son conjoint dans le sous-sol de leur domicile, à la connaissance de celle-ci, et qu’elle avait fait preuve d’aveuglement volontaire. La Ville a alors décidé de congédier la salariée pour manque d’intégrité et bris du lien de confiance, sans attendre l’issue des procédures criminelles.

La particularité de cette affaire porte sur le congédiement de la plaignante en lien avec des accusations criminelles, alors qu’elle a finalement été acquittée de telles accusations. Pour la Ville, la connaissance de la salariée et son indifférence quant aux activités illicites qui se déroulaient chez elle ont entraîné un manquement à son obligation d’honnêteté qui découle de son obligation de loyauté envers l’employeur. Cette perte de confiance, compte tenu des informations confidentielles auxquelles la salariée avait accès dans le cadre de son emploi, justifiait selon la Ville son congédiement.

L’arbitre ayant maintenu le congédiement, le syndicat a demandé la révision judiciaire de la sentence arbitrale. Cette demande a été accordée par la Cour supérieure qui a jugé que l’arbitre avait commis une erreur dans l’application des règles de droit criminel en matière d’infractions de possession et de trafic de stupéfiants.

La Cour d’appel a toutefois rétabli la décision de l’arbitre, estimant qu’il n’avait pas rendu une décision déraisonnable en concluant que l’aveuglement volontaire de la salariée constituait un motif juste et suffisant de congédiement, sans qu’il soit nécessaire que la salariée ait été déclarée coupable des accusations criminelles dont elle faisait l’objet.

La Cour d’appel vient ainsi établir clairement qu’en présence d’un salarié faisant l’objet d’accusations criminelles, il est possible de dissocier les manquements qui peuvent être révélés par une enquête de l’employeur de l’issue des procédures criminelles. Cela dit, l’employeur qui décide de congédier le salarié à l’issue de son enquête devra bien sûr être en mesure de justifier sa décision, notamment en prouvant de façon prépondérante les manquements invoqués.

Dans cette affaire, l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec (APIGQ) avait demandé à ses membres d’inclure systématiquement dans la signature de leurs courriels professionnels un message syndical. La Commission des relations du travail (CRT) a conclu que le gouvernement du Québec a entravé les activités syndicales en interdisant une telle utilisation des courriels pour la diffusion de messages syndicaux.

Le 22 septembre 2016, la Cour supérieure est intervenue afin d’annuler la décision de la CRT, concluant qu’« [une] pondération raisonnable de l’atteinte somme toute minimale portée par l’employeur au droit à l’exercice de la liberté d’expression de l’APIGQ et l’intérêt public auraient dû amener la CRT à conclure à la raisonnabilité de l’interdiction faite par l’employeur aux ingénieurs et au rejet de la plainte fondée sur l’article 12 C.t. ». Notons que le message syndical ajouté à la signature des courriels tenait sur 15 lignes et 4 paragraphes. Ce débat intéressant concernant le fragile équilibre entre les libertés syndicales et les droits de direction de l’employeur sera soumis à la Cour d’appel, qui a accepté de se saisir de la question.

Le départ d’un employé chez un compétiteur après plus de dix ans de service auprès d’un même employeur entraîne très souvent des enjeux en matière de concurrence, de sollicitation et d’obligation de loyauté en général. C’est ce qui s’est produit dans cette affaire, alors qu’un courtier en solutions logistiques a démissionné de chez Traffic Tech avec son équipe de trois employés pour grossir les rangs d’un compétiteur direct.

À la suite de son départ, Traffic Tech a notamment reproché à son ex-employé de ne pas lui avoir donné de préavis raisonnable avant de démissionner (conformément à l’article 2091 du Code civil du Québec, C.c.Q.) et d’avoir contrevenu aux clauses de confidentialité et de non sollicitation prévues à son contrat d’emploi. Or, bien que l’employé en question ait signé deux contrats d’emploi d’une durée de trois ans depuis son embauche chez Traffic Tech, aucun nouveau contrat n’avait été conclu depuis l’expiration de son dernier contrat écrit, plusieurs années avant son départ. Ainsi, malgré l’article 2090 C.c.Q.[2], qui prévoit la reconduction tacite du contrat de travail après l’arrivée de son terme lorsque le salarié continue son travail sans opposition de la part de l’employeur, la question suivante s’est posée : s’agissait-il d’une reconduction intégrale de l’ensemble des dispositions du contrat de travail, incluant les clauses de confidentialité et de non sollicitation, ou seulement de certaines dispositions essentielles?

La Cour rappelle à ce sujet que la reconduction dont il est question à l’article 2090 C.c.Q. ne vise que les conditions essentielles du contrat de travail à durée déterminée, telles que le salaire, les heures de travail et les vacances. Le terme « essentiel » fait référence aux éléments indispensables et à la base même du contrat de travail, ce qui exclut donc les clauses de non-sollicitation, celles de protection accrue des informations confidentielles ou les clauses pénales. En effet, selon la Cour, les parties à un contrat de travail peuvent très bien fonctionner sans que ces aspects soient prévus par écrit.

Il est également intéressant de noter que dans cette affaire, la Cour a conclu que l’employé démissionnaire a manqué à ses obligations en matière de préavis raisonnable de démission et qu’il aurait dû donner un préavis de démission à son employeur, malgré la pratique dans l’industrie et sa croyance selon laquelle l’employeur ne se serait pas prévalu d’un tel préavis. En l’espèce, le juge a estimé que le préavis de six semaines réclamé par Traffic Tech est amplement justifié, soulignant même qu’en l’espèce, compte tenu des faits mis en preuve (l’ex-employé occupait un poste de cadre intermédiaire, il gérait deux groupes d’employés, il touchait un salaire annuel d’environ 244 000 $ et il possédait plus de dix ans de service continu auprès de l’employeur), Traffic Tech aurait sans doute pu réclamer un préavis plus important.

Un employé travaillait dans un centre d’hébergement où il œuvrait auprès d’une clientèle souffrant de déficience intellectuelle ou d’autres limitations. À la suite de son congédiement, il avait publié sur Facebook des propos faux et hautement diffamatoires à l’égard de son ex employeur, lesquels avaient pour seul et unique objectif de discréditer sans raison sa réputation et de ternir son image.

La Cour du Québec a condamné l’employé à payer 17,500 $ au propriétaire et au directeur du centre d’hébergement à titre de dommages moraux et exemplaires. Ce jugement vient rappeler que les règles de la diffamation s’appliquent tout autant lors de la diffusion de propos sur les médias sociaux que lors de l’utilisation d’un autre moyen de communication.

Dans cette affaire, l’arbitre a dû décider s’il était justifié que l’employeur ait fait installer un système de caméras « DriveCam » dans l’habitacle des camions servant au transport de produits alimentaires. Ce système de caméras, fonctionnel en tout temps, permet l’enregistrement sonore et visuel de l’intérieur de l’habitacle, l’enregistrement ne devant être déclenché par le système qu’en cas d’incident. Ainsi, lorsque le système détecte la présence d’un événement déclencheur, celui-ci enregistre automatiquement les huit secondes qui précèdent l’incident et les quatre secondes qui le suivent.

Le syndicat a contesté le recours à ce système de caméras, invoquant notamment les articles 5 et 46 de la Charte des droits et libertés de la personne, qui protègent le droit à la vie privée et le droit à des conditions de travail justes et raisonnables. Pour l’employeur, la mise en place de ce système était justifiée notamment par ses obligations légales en matière de santé et de sécurité au travail.

À la lumière de la doctrine et de la jurisprudence portant sur la surveillance des salariés par leur employeur, l’arbitre a souligné que deux éléments importants doivent être rencontrés : l’employeur doit établir une justification raisonnable pour procéder à la surveillance en question et il doit avoir préalablement vérifié l’existence d’une alternative moins intrusive afin d’atteindre son but. L’arbitre s’appuie, entre autres, sur l’arrêt Papier Irving Ltée[3], où la Cour suprême du Canada a affirmé que, avant de pouvoir faire intrusion dans la vie privée d’un salarié, un employeur doit établir qu’un problème sévit dans l’entreprise et qu’il a épuisé les autres moyens moins attentatoires pouvant lui permettre de régler le problème. Même après avoir établi qu’il a des préoccupations légitimes, par exemple à l’égard de la sécurité, l’employeur doit de plus démontrer que le moyen choisi est une réponse proportionnée au problème en question.

En l’espèce, l’arbitre a conclu que, bien que le système « DriveCam » n’a pas été installé à des fins disciplinaires, mais plutôt dans le but de protéger les chauffeurs de fausses déclarations à leur endroit ou d’identifier les comportements à risque de ceux-ci avant qu’ils ne provoquent un accident, l’employeur n’a aucunement établi l’existence d’une problématique avec ses chauffeurs, ni l’existence d’un nombre élevé d’incidents justifiant le recours à ce système. Ainsi, selon l’arbitre, l’employeur n’avait pas de justification valable à l’appui de l’installation de ce système qui, de plus, était loin de constituer le moyen le moins intrusif possible, étant donné que les caméras filmaient en continu et qu’elles étaient installées à l’intérieur de l’habitacle des camions de façon à permettre de filmer constamment les chauffeurs. L’arbitre a proposé d’autres alternatives moins attentatoires à la vie privée des salariés, telles que l’installation des caméras à l’extérieur des camions ou encore les vérifications surprises en cours de journée.

La Cour d’appel a rendu une importante décision en matière d’équité salariale alors qu’elle devait se prononcer sur la validité du régime de maintien de l’équité salariale prévu à la Loi sur l’équité salariale (LÉS).

Alors que l’ancien régime prévoyait une obligation de maintien de façon continue, le nouveau prévoyait plutôt un maintien périodique, tous les cinq ans, et aucune rétroactivité quant aux sommes devant être versées à titre d’ajustements salariaux le cas échéant.

La Cour d’appel a confirmé la décision de la Cour supérieure quant à l’inconstitutionnalité de ce régime, puisque celui-ci crée une distinction fondée sur le sexe et perpétue l’inégalité salariale dont sont victimes les personnes occupant des emplois à prédominance féminine. Ainsi, le fait que les ajustements salariaux ne s’appliquent qu’à compter de la date à laquelle l’affichage des résultats de l’évaluation est prévu et non à la date où surviennent les événements donnant lieu à des ajustements (absence de rétroactivité), combiné au délai de cinq ans prévu à la LÉS pour réaliser l’exercice de maintien, fait en sorte que l’équité salariale pourra ne pas être respectée durant une période allant jusqu’à cinq ans. Également, quant à l’affichage des résultats de l’exercice de maintien, la Cour a conclu, tout comme l’avait fait la Cour supérieure, que les dispositions de la LÉS ne prévoient pas l’affichage d’information permettant au lecteur d’évaluer la bonne ou la mauvaise qualité de l’exercice réalisé, notamment parce qu’il n’indique pas la date des changements intervenus, dans la mesure où celle-ci est identifiable. Cet aspect de la LÉS est donc lui aussi jugé discriminatoire.

La décision de la Cour supérieure déclarant « invalides, inapplicables, inopérants et sans effet » les articles 76.3 et 76.5 de la LÉS est donc maintenue, ce qui obligera le législateur à revoir le régime de maintien de l’équité salariale afin d’enrayer ses effets discriminatoires.

L’employé travaillait à titre de directeur des opérations pour la chaîne hôtelière internationale Hilton. À la suite d’une transaction commerciale, l’hôtel pour lequel il travaillait a été vendu à un petit groupe qui n’avait pas d’expérience dans la gestion hôtelière.

Bien qu’il a conservé son emploi et bénéficié des mêmes conditions de travail, l’employé a estimé que ce changement pour un employeur beaucoup moins important et prestigieux a constitué un congédiement déguisé lui accordant le droit de démissionner et de réclamer une indemnité de départ. À son avis, l’arrivée du nouvel employeur limitait ses horizons professionnels et le privait de toute véritable perspective de déplacement ou de promotion. Or, de l’avis de la Cour d’appel, cela n’était pas suffisant pour conclure à une modification substantielle de ses conditions de travail pouvant entraîner un congédiement déguisé. La Cour a donc refusé de conclure à un congédiement déguisé dans le contexte d’une vente d’entreprise pour le seul motif du changement d’identité de l’employeur.

Source : VigieRT, décembre 2016.


1 Le tout suivant le test établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3.
2 L’Article 2090 C.c.Q. prévoit ce qui suit : « Le contrat de travail est reconduit tacitement pour une durée indéterminée lorsque, après l’arrivée du terme, le salarié continue d’effectuer son travail durant cinq jours, sans opposition de la part de l’employeur ».
3 Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34.

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