Vous lisez : Actes commis à l'extérieur du cadre de l'emploi et mesures disciplinaires

Un employeur peut imposer des mesures disciplinaires à ses salariés quand ils commettent des fautes liées à l’exécution du travail (négligence, retard, non-respect d’un règlement d’entreprise, insubordination, etc.); mais qu’en est-il des gestes accomplis en dehors du cadre de l’emploi? Par exemple, quels sont les recours de l’employeur en matière disciplinaire dans des situations de violence physique ou verbale, de harcèlement, de vandalisme, d’emploi chez un concurrent, d’activités incompatibles avec l’état de santé déclaré ou encore de dénonciation publique de l’employeur?

A priori, tout acte d’un salarié en dehors des heures et des lieux de travail relève de sa vie privée. En effet, un employeur n’a généralement aucune autorité sur ses salariés quand les parties se situent hors de leur relation contractuelle.

Un lien avec la relation de travail entre les parties
L’employeur peut imposer une mesure disciplinaire à un salarié pour des gestes commis à l’extérieur du cadre de son emploi s’il est en mesure de démontrer que la faute reprochée est liée au travail. La nature des activités de l’employeur, le genre de travail et les fonctions exercées par le salarié et, enfin, la nature du geste reproché serviront à déterminer la portée de la faute sur l’organisation. Pour certains, l’impact de la faute commise sur le climat de travail devant régner dans l’entreprise doit aussi être pris en compte.

De façon générale, les manquements commis hors du cadre de l’emploi pouvant être sanctionnés par l’employeur sont regroupés en deux catégories, soit les gestes affectant la relation entre l’employeur et le salarié et les gestes affectant les relations entre salariés nécessitant l’intervention de l’employeur.

Les gestes affectant la relation entre l’employeur et le salarié
L’article 2088 du Code civil du Québec prévoit l’obligation pour tout salarié d’agir avec loyauté à l’endroit de son employeur. Celle-ci s’applique non seulement lorsque le salarié exécute sa prestation de travail, mais aussi en tout temps durant sa période d’emploi.

Dans certaines circonstances, le fait que l’employeur puisse sanctionner un salarié pour des actes commis hors de son cadre de travail va de soi. À titre d’exemple, si un salarié travaille pour une entreprise concurrente à l’employeur à l’insu de celui-ci et qu’il y diffuse de l’information de nature confidentielle, l’employeur sera justifié de lui imposer une mesure disciplinaire, celle-ci pouvant aller jusqu’au congédiement.

La situation peut toutefois être plus délicate lorsque des propos diffusés par un salarié sont de nature à porter atteinte à la réputation de l’employeur ou à lui porter préjudice dans la conduite de ses affaires, soit lorsque le salarié adopte, en dehors de ses heures de travail, un comportement susceptible de nuire à l’image ou à la réputation de l’entreprise. À ce sujet, un tribunal d’arbitrage, dans une situation où un employé contestait son congédiement dû, notamment, à du harcèlement sexuel envers une autre employée en dehors des heures de travail, s’exprimait ainsi :

« En regard de ce qui précède, le Tribunal reconnaît d’abord qu’en principe, les actes commis en dehors du temps et des lieux de travail relèvent du droit au respect de la vie privée et ne peuvent pas normalement faire l’objet d’un contrôle disciplinaire de la part de l’Employeur. Cependant, en pratique, cette règle souffre exception, surtout lorsque la conduite d’un employé est de nature à porter atteinte à la réputation de l’entreprise ou constitue un manque de loyauté ou d’honnêteté.

« La faute ou le manquement sanctionné dans un tel cas doit donc être évalué en tenant compte de la nature de la fonction, du type d’entreprise et des conséquences subies ou raisonnablement prévisibles.[1] »
[Notre emphase]

En de tels cas, le choix de la mesure disciplinaire sera donc effectué selon la nature du geste reproché, la nature des activités de l’entreprise et les fonctions assumées par le salarié fautif. Ainsi, plus la faute sera liée aux activités de l’entreprise et plus le poste de ce salarié comportera de hautes responsabilités, plus la mesure disciplinaire sera susceptible d’être sévère, allant parfois jusqu’au congédiement.

En outre, l’employeur doit aussi estimer les conséquences du geste commis par le salarié sur la réputation de l’entreprise. En effet, il devra être en mesure de démontrer l’existence d’un préjudice raisonnablement prévisible ou constaté afin de justifier la sanction appliquée au salarié. Un employé aperçu conduisant en état d’ébriété un véhicule de l’employeur, après les heures de travail, constitue un exemple d’une faute pouvant nuire à la réputation de l’entreprise.

L’employeur peut également imposer une mesure disciplinaire à un salarié pour avoir dénoncé publiquement certaines de ses activités, mais les circonstances propres aux événements doivent être minutieusement analysées avant de le sanctionner. En effet, la jurisprudence nous enseigne que le salarié doit tout d’abord avoir tenté d’amener l’employeur à modifier une situation inacceptable, avoir agi de bonne foi, avoir des motifs sérieux et objectifs pour avoir procédé à une telle dénonciation publique et être intervenu de façon proportionnée avec l’objectif poursuivi. Ainsi, si tel était le cas, l’employeur ne pourrait pas sanctionner le comportement de l’employé.

Les gestes affectant les relations entre salariés
En vertu des lois applicables, tout employeur est tenu de protéger la santé, la sécurité et la dignité de ses salariés. Il doit offrir un milieu de travail exempt de toute forme de harcèlement. Il peut donc être appelé à intervenir lorsque surviennent des faits à l’extérieur du travail qui peuvent avoir un impact négatif, voire néfaste sur le climat de travail de son organisation. À l’heure où les relations entre salariés sont décuplées en raison de la popularité des médias sociaux, cette question revêt une importance singulière.

Un tribunal d’arbitrage a eu à se pencher sur cette question alors qu’un salarié contestait son congédiement pour avoir, notamment, proféré des menaces à l’endroit d’une collègue dans un site de clavardage. Le syndicat prétendait, dans ces circonstances, que le litige entre les salariés relevait de leur vie privée et ne concernait pas l’employeur. Après avoir analysé la jurisprudence sur la question et conclu qu’un lien avec le travail devait être démontré, l’arbitre s’est exprimé ainsi :

« Sur cette question, comme pour les autres qui suivront, le procureur syndical a plaidé que le clavardage entre le plaignant et madame AC relevait du domaine privé. Ce clavardage s’est produit en dehors des lieux du travail et des heures de travail. Il s’agissait d’une querelle entre amis. L’Employeur, soutient le procureur, ne peut intervenir que lorsque la vie au travail est en cause. Selon la jurisprudence présentée, je suis d’avis que nous sommes ici devant une situation que je qualifierais d’hybride. Oui, il s’agissait d’une querelle privée, et oui aussi, elle concernait le travail. Le problème soulevé par le plaignant visait les relations de madame AC avec ses collègues de travail, ce qu’il n’appréciait pas. À mon avis, l’Employeur ne pouvait faire abstraction de cette menace […]. L’Employeur avait une appréhension raisonnable et une justification d’intervenir.[2] »
[Notre emphase]

Selon cette décision, l’employeur serait justifié d’intervenir dans la mesure où il appréhende un risque pour la santé et la sécurité de ses travailleurs, même si ce risque découle de faits survenus hors du cadre de travail.

L’employeur pourrait également sanctionner un salarié pour des actes de violence physique ou verbale commis à l’endroit d’autres salariés ou représentants de l’employeur, toujours dans la mesure où le geste reproché est directement lié à l’emploi. En effet, de tels gestes, qui trouvent leur origine dans la relation de travail unissant les parties, sont susceptibles d’avoir un impact direct sur le climat de travail. Un tribunal d’arbitrage a d’ailleurs confirmé la suspension imposée par l’employeur à un salarié qui avait insulté un cadre en public à l’extérieur des lieux de travail :

« Ces propos (langage injurieux et diffamatoire) n’étaient pas reliés à autre chose qu’à l’existence même du lien de subordination existant entre le plaignant et le représentant de l’employeur […]

« L’employeur se devait, dans le cadre de ses responsabilités, de ne pas les passer sous silence et afin de préserver un climat sain dans l’entreprise et de permettre que ses cadres soient respectés, de prendre une mesure disciplinaire appropriée […][3] »
[Notre emphase]

En terminant, de telles situations doivent être appréciées dans leurs contextes, en analysant le lien direct entre le geste fautif et sa relation avec le travail. Les auteurs D’Aoust, Leclerc et Trudeau résument ainsi l’état du droit :

« L’employeur n’a pas le droit d’imposer à un employé des sanctions disciplinaires pour des infractions commises hors le temps et le lieu de travail, à moins que les gestes posés par l’employé en dehors de l’usine n’aient une mauvaise influence très sérieuse sur la vie de l’entreprise et que la relation soit établie hors de tout doute entre le geste posé par l’employé et telle conséquence sur l’entreprise.[4] »

Le lien entre les gestes accomplis en dehors du cadre de travail et la relation d’emploi du salarié concerné doit donc être apprécié au cas par cas, en notant toujours qu’a priori, ils relèvent de sa vie privée. L’employeur doit ainsi, lors de cette analyse, tenir compte de la nature des activités de l’entreprise, des fonctions occupées par le ou les salariés concernés, des actes reprochés, le tout pour pouvoir établir un lien évident entre les événements qui se sont produits hors du cadre de l’emploi et leurs effets sur l’entreprise.

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Source : VigieRT, février 2011.


1 Syndicat national du transport écolier Saguenay – Lac St-Jean et Compagnie d’autobus XXX ltée, D.T.E. 99T-1149 (T.A.)
2 Syndicat des travailleuses et travailleurs de resto-casino de Hull et Hilton Lac Leamy, D.T.E. 2004T-811 (T.A.)
3 Orica Canada inc. et Syndicat des travailleuses et travailleurs d’Orica (C.S.N.), D.T.E. 2003T-1031 (T.A.)
4 D’AOUST, Claude, Louis LECLERC et Gilles TRUDEAU.Les mesures disciplinaires : étude jurisprudentielle et doctrinale, Montréal, École de relations industrielles, Université de Montréal, 1982, p. 380.
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