Vous lisez : Bilan 2011 des relations de travail

La période de paix industrielle, comme la qualifie Michel Grant, professeur titulaire à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM, se poursuit. Le nombre de jours de travail perdus par personne en 2011 en raison de conflits de travail a atteint environ 411 000 en 2011, soit plus qu’en 2010 (297 701), mais encore bien moins que les nombres supérieurs à 700 000, lesquels étaient la norme de 2002 à 2006. La quantité de conflits (59) et de travailleurs touchés (13 758) a baissé par rapport à l'année dernière, ce qui laisse supposer que les conflits sont plus rares, mais plus longs.

Ce que les employés et les mouvements syndicaux cherchent à faire, c’est surtout de préserver le pouvoir d’achat du travailleur, remarque Florent Francoeur, CRHA, président-directeur général de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, sauf dans quelques cas qui sont d’ordre beaucoup plus structurel », précise-t-il. « Il y a des secteurs, comme l’industrie des médias, où l’on voit que les conflits sont plus durs, plus longs, car c’est une transformation de l’industrie au complet qui est en train de se produire », dit-il, en donnant comme exemple le conflit au Journal de Montréal.

Dans la perspective de ce secteur, il reste à savoir si la ministre Lise Thériault modernisera les dispositions anti-briseurs de grève du Code du travail. Celles-ci n'ont pas été retouchées depuis 1977, bien avant qu'Internet facilite le travail à distance. Durant le lockout au Journal de Montréal, la publication de textes provenant d'une agence de presse et d'autres médias appartenant à Quebecor a semé la controverse. En février, ce conflit s'est achevé après plus de deux ans. Ce sont 62 employés sur 253 qui ont pu reprendre leur poste après l'acceptation du protocole de retour au travail. Selon Louis Roy, président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la loi anti-briseur de grève doit faire en sorte que le fruit du travail des gens leur appartienne et ne puisse pas être fait par quelqu'un d'autre s’ils sont en grève ou en lockout. La Commission de l’économie et du travail de l’Assemblée nationale vient de publier en novembre un rapport en accord avec la modification du Code du travail.

D’autres réformes
Par contre, Lise Thériault s'est déjà engagée dans d’autres importantes réformes. Elle a entrepris celle de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), mais elle s'est surtout attaquée au phénomène d'intimidation dans le milieu de la construction avec le dépôt du projet de loi 33. « La loi interdit que les syndicats puissent intervenir auprès des employeurs pour faire du placement. Moi, je trouve ça abusif », déclare Jean Charest, CRIA, professeur titulaire à l'École des relations industrielles de l'Université de Montréal. Il y voit une manœuvre qui déséquilibre le rapport de force. Représentant 70 % des travailleurs de la construction, la FTQ-Construction et le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (International) ont mandaté des avocats pour contester cette loi devant les tribunaux.

Du côté de la CSN, Louis Roy, qui déplorait l’utilisation du placement syndical pour faire de la pression et de la discrimination, se réjouit du courage politique de la ministre du Travail et a déjà annoncé la participation de sa centrale, en 2012, au comité de transition. La Centrale des syndicats démocratiques (CSD) lui a emboîté le pas. Son président, François Vaudreuil, a aussi applaudi l'inclusion de toute association syndicale représentative dans la négociation des conventions collectives. « Notre grande préoccupation, c'est qu'adviendra-t-il de la référence? Contrairement au placement qui consiste à imposer, la référence, propose de la main-d’œuvre », dit M. Vaudreuil, qui y voit un enjeu important pour les syndicats dans la transition.

Couche-Tard
Selon le professeur Jean Charest, ce sera sans doute la fermeture par Couche-Tard de deux de ses succursales en voie de syndicalisation qui aura le plus de répercussions au cours des prochaines années. « Je pense que ce n'est pas anodin ce qui vient de se passer, juge-t-il. Ça remet sur la table la question de l'accessibilité à la syndicalisation. Est-ce encore un droit réel ou est-il fictif? » M. Charest ajoute que les mesures prises en réaction par la CSN ouvrent un débat juridique. La CSN a porté plainte à la Commission des relations du travail contre une vidéo dans laquelle Alain Bouchard, président de Couche-Tard, décourageait les employés de se syndiquer.

Par contre, la Commission des relations du travail a rejeté la demande de la CSN exigeant la réouverture de l'une des succursales. Selon Louis Roy, il s’agit pour la CSN d’une bataille pour le travail décent et pour que les gens qui travaillent dans les petits commerces vainquent la peur que leur inspire leur employeur. La Commission des normes du travail a révélé, cette année, avoir reçu 281 plaintes contre la chaîne entre 2005 et 2011.La syndicalisation perce difficilement dans le secteur des services en pleine expansion, alors que le secteur manufacturier, historiquement très syndiqué, poursuit son déclin.

2011 : l'année des lois spéciales?
En 2011, plusieurs conflits de travail se sont conclus par l'application ou la menace d'une loi spéciale. Au Québec, le gouvernement a forcé ainsi les procureurs de la Couronne à abandonner leur grève historique du mois de février. « Les procureurs avaient un dossier hors pair pour faire leurs moyens de pression et ils avaient toutes les conditions gagnantes réunies. Malgré cela, ils ont perdu », constate M. Charest. Selon lui, cette loi spéciale a envoyé un message à tous les autres employés de l’État selon lequel le gouvernement allait toujours gagner.

Mais si l’utilisation par Québec d’une loi spéciale envers des fonctionnaires n’est pas nouvelle, l’attitude d’Ottawa, quant à elle, en a surpris plus d’un durant l’année.

En juin dernier, à la suite des grèves tournantes organisées par les syndiqués de Postes Canada, puis d’un lockout décrété par l'employeur, le gouvernement Harper a adopté la loi C 9 forçant les 48 000 employés des postes à retourner au travail. Le Parti conservateur a justifié cette loi par la fragilité de l'économie au pays. La ministre du Travail, Lisa Raitt, s’est appuyée sur le même argument lorsqu'elle a rapidement brandi la menace de loi spéciale, à trois autres reprises, pour forcer une résolution du différend opposant une entreprise privée, Air Canada, à ses employés du service à la clientèle, puis à ses agents de bord. « Ce n'est plus la protection de la santé et de la sécurité de la population qui est invoquée. À ce moment-là, vous pouvez faire intervenir le gouvernement fédéral dans tous les conflits qui ont un impact économique. Si une grève n'a pas d'impact économique, à quoi ça sert de la faire? », observe Michel Grant.

Ces événements ont ainsi constitué un nouveau chapitre de l’histoire de l'interventionnisme du gouvernement dans les relations de travail. « Quand le Parti conservateur était minoritaire, il se comportait comme un médiateur dans les conflits de travail, note M. Grant. Aujourd’hui majoritaire à la Chambre des communes, il penche du côté des revendications ou des positions patronales. »

Le spectre d'une récession
À noter que l'un des points les plus litigieux lors des négociations chez Air Canada résidait dans les régimes de retraite. Un élément de discorde qui ne leur est pas exclusif. « Ça va influencer énormément les relations de travail dans les prochaines années, prévoit Florent Francoeur. C’est vraiment un résultat de l’incertitude économique. Si les fonds dans le régime de retraite ne performent pas, il faut les renflouer d’une façon ou d’une autre », explique-t-il. « On se dirige directement vers une transformation des régimes à prestations déterminées en régimes à cotisations déterminées », remarque Patrice Jalette, CRIA, professeur à l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal. « Ce qui est inquiétant, c'est que les employeurs semblent prendre des décisions à très court terme, alors qu'un régime de retraite se bâtit dans une perspective à long terme », affirme-t-il.

Alors que le spectre d’une récession guette toujours le Canada, Patrice Jalette, s’inquiète aussi des restructurations fortement liées à la conjoncture économique. Il évoque les fermetures sauvages par Papiers White Birch de son usine de Kénogami et par IQT, de ses centres d'appel de Trois-Rivières, de Laval et d’Oshawa. « Ce que ça met en lumière, c'est la pauvreté de nos législations du travail en matière de licenciement collectif, dit-il. Les délocalisations, même si elles ne sont pas si fréquentes, pendent toujours au-dessus de la tête des travailleurs comme une épée de Damoclès. » Patrice Jalette reconnaît que les restructurations font partie des règles du jeu, mais, selon lui, cette pratique pourrait être mise en œuvre de façon plus civilisée.

En cette période d’instabilité engendrée par la crise, Michel Dubé, CRIA, directeur, services-conseils en rémunération chez MorneauSheppel, mentionnele problèmede la gestion de la santé, et plus particulièrement celle de la santé mentale. « C'est une situation qui touche de nombreuses entreprises et beaucoup de milieux de travail », affirme-t-il. Il ajoute que ce phénomène prioritaire, relativement nouveau, semble s’amplifier.

« Malgré la crise, les salaires ont augmenté de 2,8 % en moyenne. Ces augmentations ont été plus élevées que les prévisions. C'est rare. Cela reflète la situation particulière du Canada, dont l’économie s’est révélée très résiliente en contexte de crise, s’exclame Michel Dubé. En 2012, l’augmentation salariale devrait s’aligner sur l'inflation. Par contre, la volatilité est un élément à ne pas négliger », prévient-il. Notons que le salaire minimum a été augmenté à 9, 65 $ de l'heure au mois de mai, et que le gouvernement a annoncé qu'il grimpera à 9,90 $ en mai prochain.

Source : VigieRT, décembre 2011.

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