Vous lisez : Bilan 2013 des relations du travail

En 2013, 83 conflits de travail se sont déroulés. Ils ont touché 179 473 travailleurs et entraîné 947 272 jours-personnes perdus, selon les données préliminaires collectées par le ministère du Travail. À titre comparatif, 68 conflits avaient été observés en 2012. Cette année-là, 9 070 travailleurs avaient été touchés, et le nombre de jours-personnes perdus avait été évalué à 245 175. Les relations du travail n’ont pas dégénéré pour autant en 2013. Bien au contraire. Seulement quelques conflits ont fait grimper ces chiffres. « Quand on est dans une situation de paix industrielle, comme on en connaît une depuis longtemps, c’est comme lorsqu’on porte un vêtement blanc : dès qu’il arrive un petit conflit, la tache paraît plus », illustre Michel Grant, professeur associé à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.

Ce sont 97,3 % des conventions collectives qui sont réglés sans arrêt de travail. Ce chiffre est le même depuis plusieurs années. Il y a une stabilité », insiste Suzanne Thérien, sous-ministre adjointe aux relations du travail. Au sujet des conflits de longue durée, Mme Thérien assure que « ce sont des cas d’espèce chaque fois.  »

Des 83 conflits de travail relevés durant la dernière année, 32 sont en fait liés au lockout chez les concessionnaires automobiles du Saguenay-Lac-Saint-Jean, qui perdure depuis le mois de février.

Grève dans la construction
Quant à la quantité importante de travailleurs touchés et de jours-personnes perdus, la grève dans le milieu de la construction, en juin dernier, en est la grande responsable. Le ministère du Travail estime que 94 000 travailleurs ont été touchés par ce conflit de travail, ce qui a entraîné environ 668 000 jours-personnes perdus. « C’est probablement le moment le plus marquant, parce qu’il a eu un impact économique majeur sur le Québec », indique Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec. Si la grève a pris fin après environ une semaine dans le secteur résidentiel et dans ceux de la voirie et du génie-conseil, le gouvernement Marois a déposé une loi spéciale pour forcer le retour au travail des 77 000 travailleurs dans les secteurs industriel, commercial et institutionnel.

Le Parti québécois (PQ), minoritaire à l’Assemblée nationale, désirait ainsi fixer les conditions de travail jusqu’en 2017 et prévoyait une augmentation de salaire de 8 % sur quatre ans. Le Parti libéral du Québec (PLQ) et la Coalition Avenir Québec (CAQ) ont fait front commun pour apporter des amendements. Résultat : la loi ne s’appliquera finalement que sur un an avec une indexation des salaires de l’ordre de 2 %. Jacques Létourneau, président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), reconnaît préférer une négociation se déroulant de manière libre et sans intervention de l’État. Mais il indique qu’il « préférait nettement le décret proposé par le gouvernement du PQ, qui avait le mérite de s’appliquer sur les quatre prochaines années comme si on renouvelait la convention collective, que les amendements qui ont été apportés par la CAQ et le PLQ. L’impasse dans laquelle on s’est retrouvé, le printemps dernier, risque de se manifester à nouveau assez rapidement. »

Toujours dans le milieu de la construction, la mise en place du système de référence de la main-d’œuvre géré par la Commission de la construction du Québec (CCQ) a sonné le glas du placement syndical. « On n’a pas vu tous les effets encore de ce système, mais on doit souligner que la CCQ a été en mesure de le lancer officiellement selon l’échéancier prévu, ce qui est en soi un événement extraordinaire. Ça faisait des dizaines d’années que plusieurs commissions et rapports demandaient la fin du placement syndical », rappelle M. Dorval.

Régime de retraite
Par contre, M. Dorval résume 2013 par « une absence dans le domaine réglementaire et législatif » du côté provincial. Le plus illustre exemple réside, selon lui, dans la manière dont le gouvernement Marois a géré le dossier des régimes de retraite. Le tant attendu rapport D’Amours a été déposé en avril. Le 12 décembre dernier, la ministre du Travail, Agnès Maltais, a finalement annoncé la tenue de trois forums, un pour les universités, un autre pour les municipalités et un dernier pour le secteur privé, afin de négocier et de sauver les régimes à prestations déterminées. En cas d’échec d’une conciliation, il reviendra à la Commission des relations de travail (CRT) de trancher.

« Ça reporte simplement le problème. Quand on va arriver aux solutions, on va être tout simplement plus près du mur, parce qu’on s’en va directement dans le mur », déclare Florent Francœur, président-directeur général de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA). « Dans le rapport D’Amours, on avait tout ce qu’il fallait. Les pistes de solutions étaient là. »

Jacques Létourneau, lui, se montre plutôt satisfait de la démarche proposée par Mme Maltais. « Cela vise les régimes de retraite avec un déficit important. Donc, ça ne vient pas mettre sur la table l’ensemble des régimes de retraite. Car ce n’est pas vrai que tous les régimes de retraite vont mal, indique-t-il. Et je pense que la CRT est celle qui est la mieux placée pour faire la médiation et arbitrer tout ça. »

« Du côté du secteur privé, le dialogue existe déjà entre le côté patronal et syndical, et le consensus ne sera pas, à mon avis, un problème », ajoute M. Dorval, en expliquant que, parfois, c’est la survie de l’entreprise qui est en jeu. « Dans le public, comme la survie de l’organisation est moins un enjeu, les incitatifs pour la résolution ne sont pas les mêmes. L’opinion publique devient importante, car, ultimement, ce sont les contribuables qui paient la facture. »

Lois fédérales
À Ottawa, le gouvernement Harper a continué à légiférer dans une approche antisyndicale. Le projet de loi C-525, déposé en juin dernier, visait à obliger les travailleurs sous juridiction fédérale à tenir un vote secret pour se syndiquer. Plus récemment, le projet de loi C-4 veut donner à l’employeur le droit exclusif de déterminer les services essentiels. De plus, le dernier budget conservateur prévoit l’abolition des crédits d’impôt pour les fonds de travailleurs.

Même si les révélations sur la corruption et les infiltrations au sein de la FTQ et du Fonds de solidarité ont fait les manchettes cet automne, Michel Grant croit « que le Fonds de solidarité FTQ va être beaucoup plus affecté par la disparition possible du crédit d’impôt fédéral que par les histoires de la commission Charbonneau. »

Convention collective chez Couche-Tard
Tout de même, le mouvement syndical a réalisé une percée majeure à la fin du mois d’octobre. Après une longue lutte menée par la CSN, une première convention collective a été signée entre Couche-Tard et 70 de ses employés répartis dans 6 dépanneurs. Des compensations pour les 24 travailleurs touchés par la fermeture de 2 dépanneurs en processus de syndicalisation ont aussi fait l’objet d’une entente. Il s’agit du fruit d’une négociation iconoclaste avec l’entreprise et non avec les franchisés comme c’est souvent le cas dans le secteur du commerce de détail. « On a eu affaire à une équipe de négociateurs un peu plus chevronnés du côté patronal, explique M. Létourneau. Les tentatives de négociation avec un ou deux franchisés nous amenaient à négocier avec quasiment des firmes d’avocats de pacotilles embauchés par les franchisés, qui n’avaient pas nécessairement d’expérience en matière de relations du travail. Couche-Tard savait très bien dans quoi il s’embarquait à partir du moment où on a décidé de faire une négociation. »

Plusieurs se demandent si le retournement de situation n’est pas survenu en raison de l’acquisition par Couche-Tard, en 2012, de la société Statoil Fuel & Retail, en Norvège, où les syndicats étaient déjà bien implantés. « Pour mettre une pression sur Couche-Tard, on a organisé une mission en Norvège avec un syndicat scandinave », raconte M. Létourneau.

Nouvelles tactiques syndicales
« Depuis un an et demi ou deux ans, la mondialisation a entraîné une augmentation des relations entre les syndicats des différents pays », remarque d’ailleurs Suzanne Thérien. Selon elle, cette nouvelle stratégie influence les différentes négociations. « Avant, la multinationale comparait les résultats d’une usine par rapport à une autre pour faire pression. Aujourd’hui, la même multinationale, s’il y a un arrêt de travail, pourrait se retrouver face à un syndicat qui va faire le tour du monde pour aller rencontrer les gens des autres usines et les informer de leur situation. »

D’ailleurs, la CSN a aussi cherché à moderniser ses tactiques en consolidant la solidarité syndicale internationale durant le lockout à l’usine Kronos de Varennes. « En même temps, on savait que Kronos, à moyen terme, ne fermerait probablement pas l’entreprise. L’enjeu était plus sur les questions de sous-traitance », précise M. Létourneau. Il fait ainsi référence à la grève chez Mapei, à Laval, qui s'est terminé après 18 mois et deux licenciements massifs. « Mapei, ç’a été un échec complet, admet M. Létourneau. Il y a eu une mauvaise évaluation du rapport de force. On a déclenché une grève dans une entreprise qui, de toute évidence, était déterminée à procéder à la transformation de l’usine.  »

Dans le secteur manufacturier, Florent Francœur croit qu’il faut s’attendre « à un déséquilibre en faveur des employeurs » dans le rapport de force patronal-syndical au cours des prochaines années. Les raisons? À son avis, les usines peuvent non seulement être facilement délocalisées, mais les mesures protectionnistes adoptées dans les dernières années aux États-Unis rendent cette délocalisation au sud de la frontière plus attrayante que jamais pour les entreprises.

Source : VigieRT, janvier 2014.

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