Vous lisez : Gestionnaires : à vos marques, prêts, enquêtez!

Les enquêtes disciplinaires figurent rarement sur la liste des tâches préférées des gestionnaires. Cependant, leur importance est inversement proportionnelle à l’affection qu’on leur porte. Elles constituent en fait la pierre angulaire de l’exercice d’un des principaux droits de gestion d’un employeur : la discipline.

L’objectif premier d’une enquête est d’examiner le comportement d’un salarié afin d’établir si la prise de mesures disciplinaires à son endroit est justifiée, ainsi que, le cas échéant, la rigueur de cette sanction.

Décision récente

L’enquête disciplinaire est nécessaire, et les employeurs se doivent de la mener avec sérieux, objectivité, profondeur et impartialité. Plus encore, une décision récente de l’arbitre dans le cas Emballages Rocktenn — Canada, s.e.c. (Emballages Smurfit-Stone Canada inc.) et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 245[1], rendue le 28 février 2013, rappelle que les employeurs doivent faire leur enquête promptement. Tarder à mener à terme une enquête et ne pas imposer de mesure disciplinaire dans un délai raisonnable peuvent entraîner l’annulation de la mesure imposée, et ce, peu importe la gravité de la faute à sanctionner.

Dans la décision précitée, l’arbitre a annulé le congédiement du salarié, survenu 27 mois plus tôt, et ordonné sa réintégration avec pleine compensation des pertes salariales, malgré le fait que les gestes reprochés, soit le sabotage de l’équipement de l’employeur et le refus de se présenter à une rencontre avec la direction dans le cadre de l’enquête disciplinaire, pouvaient, à première vue, constituer des motifs valables de congédiement.

Dans cette affaire, les faits sont simples : l’employeur avait fait installer une caméra au-dessus d’un de ses appareils en raison de nombreux actes de sabotage. En l’espèce, des agrafes avaient été insérées entre les bornes de la fiche, ce qui causait inévitablement un court-circuit lors du branchement de l’appareil.

Le 7 avril 2010, après avoir constaté de nouveau la même problématique, l’employeur a examiné les bandes vidéo pertinentes. Cet examen, qui s’est conclu le 9 avril suivant, a permis de découvrir que deux employés étaient les auteurs de cette manœuvre. Ces derniers événements se seraient produits dans la nuit du 3 au 4 avril 2010.

Le 29 novembre 2010, soit près de huit (8) mois plus tard, l’employeur a convoqué un des deux employés à une rencontre, sans lui indiquer la nature de celle-ci. De fait, l’employeur désirait terminer son enquête. À la suite du refus du salarié de se présenter à ladite rencontre, l’employeur a procédé à son congédiement en invoquant ce refus, mais aussi, et surtout, les faits de la nuit du 3 au 4 avril 2010. En arbitrage, le syndicat a soulevé le délai excessif de 8 mois entre les gestes reprochés, la rencontre aux fins de l’enquête et la mesure disciplinaire. L’arbitre donne raison au syndicat et conclut que les délais étaient déraisonnables. Il précise aussi que le temps écoulé entre la connaissance des faits, notamment le visionnement de la vidéo, et la convocation à la rencontre laissait présumer que l’employeur avait pardonné au salarié et excusé son geste.

Pourquoi l’employeur a-t-il attendu au 29 novembre 2010 pour convoquer l’employé dans le cadre de son enquête sur des gestes qui auraient été commis près de 8 mois plus tôt? Différents éléments ont été soulevés par l’employeur pour justifier ce délai, principalement le fait que l’employeur voulait rencontrer dans un premier temps l’autre salarié impliqué, ce qu’il n’a pas pu faire avant le 29 novembre 2010. En effet, ce collègue était absent pour cause de maladie depuis le 7 avril 2010 et, malgré les tentatives de le convoquer en mai 2010 et en septembre 2010, celui-ci n’avait pu être rencontré qu’à son retour le 29 novembre 2010. Au terme de cette rencontre, il avait été congédié, et cette mesure avait été confirmée par un arbitre[2]. Soulignons que, dans cette autre affaire, aucune objection préliminaire n’avait été soulevée de la part du syndicat quant aux délais.

Pour le plaignant, l’arbitre conclut que l’employeur avait tous les faits pertinents en main le 9 avril 2010 à la suite du visionnement de la vidéo, et qu’aucune raison ne justifiait de retarder l’enquête ni  l’application de la sanction disciplinaire.

Délais
En milieu syndiqué, les conventions collectives astreignent parfois les employeurs à imposer une mesure disciplinaire dans les trente (30) jours suivant la connaissance de tous les faits pertinents, c’est-à-dire après la fin de l’enquête. Souvent, comme dans la décision récente de l’arbitre, pareille exigence n’est pas prévue. En milieu non syndiqué, ni la Loi sur les normes du travail ni le Code civil du Québec ne prévoient de délai pour imposer une mesure disciplinaire ou procéder à une enquête.

En l’absence de délai prescrit, cela signifie-t-il que l’employeur pourra laisser courir le temps avant d’agir? Non, même quand un tel délai n’est pas prescrit, il faut agir assez rapidement, et cette décision en est la parfaite illustration.

Le délai applicable pour procéder à une enquête disciplinaire ou imposer une sanction doit donc être raisonnable. Cela étant, le caractère raisonnable du délai variera selon les circonstances propres à chaque dossier. Par contre, la diligence est la règle d’or.

La discipline étant l’apanage des droits de gérance, celle-ci doit s’exercer de façon raisonnable et équitable. À cet égard, ce devoir d’équité oblige l’employeur à agir dans un délai raisonnable, à défaut de quoi il sera réputé avoir toléré ou pardonné le geste reproché. En effet, après un certain temps suivant le geste répréhensible, les salariés seront justifiés de croire que cette faute, commise quelques mois plus tôt, ne sera pas sanctionnée puisque l’employeur n’a remis aucun avis disciplinaire ou n’a pas fait d’enquête.

L’enquête peut s’étendre sur quelques semaines, voire dans des cas plus exceptionnels, quelques mois[3]. Cependant, si elle dure plusieurs semaines, l’employeur pourra devoir justifier ce délai. Dans tous les cas, l’employeur ne doit pas être négligent en tardant à entreprendre ou à terminer son enquête.

Nécessité d’enquêter
Il faut sanctionner rapidement les fautes, certes, mais pareille mesure ne devrait être prise qu’après avoir fait enquête. L’absence d’enquête préalable à une sanction disciplinaire risque fort d’entraîner l’annulation de la mesure imposée en cas de litige, sans compter la possibilité qu’un employeur soit taxé d’avoir agi de façon arbitraire.

Une enquête exige du temps et le déploiement de ressources qui sont généralement utilisées à d’autres fins. De plus, elle nécessitera sans doute la confrontation de quelques personnes et entraînera des réticences. Si ces éléments peuvent être considérés comme des « inconvénients » à une enquête, ils sont minimes par rapport aux avantages que l’employeur peut en retirer.

En fait, une enquête ne comporte que des avantages pour un employeur. En plus de lui procurer un portrait clair de la situation, et ainsi de lui permettre de prendre la sanction appropriée avec toute l’information pertinente en main, l’enquête permet aussi à l’employeur de se préparer adéquatement à l’audition de la plainte ou du grief, le cas échéant. Ces auditions ayant lieu souvent plusieurs mois, voire des années, après les événements, les notes, les comptes rendus de rencontres et les versions des faits consignés par écrit permettront aux témoins de se rafraîchir la mémoire dans le cadre de la préparation du dossier et, éventuellement, leur permettront de déposer leurs documents (y compris les notes qu’ils auront rédigées de façon concomitante aux événements), en soutien à leur témoignage lors de l’audition. Leur crédibilité et la valeur probante de leurs propos s’en trouveront bonifiées.

Afin de sanctionner de façon juste un comportement inadéquat, l’employeur devra s’assurer d’avoir tous les faits pertinents en main, notamment la version des témoins de l’incident et celle du salarié visé. Ce ne sont évidemment pas tous les gestes répréhensibles qui peuvent se justifier par des explications, mais celles-ci peuvent avoir une incidence sur la sanction. Par exemple, la négation des faits, malgré une preuve accablante, et l’absence de remords par rapport à l’admission des torts et les excuses devront être pris en compte. « Faute avouée est à demi pardonnée » dit l’adage populaire; ainsi, l’aveu constitue dans la majorité des cas, un facteur atténuant, surtout s’il est spontané et fait à la première occasion.

Contenu de l’enquête
Quoique chaque enquête comporte ses particularités et son lot de surprises, elles ont toutes des dénominateurs communs.

À cet égard, la collecte des faits par des rencontres avec les témoins impliqués représente généralement la majeure partie de l’enquête. Les témoins directs, les plus importants, devront d’abord être rencontrés, puis ceux qui ne sont pas des salariés de l’employeur, les cadres impliqués et les autres salariés le seront ensuite. Ces témoins devraient être invités à mettre par écrit leur version des faits. La dernière personne rencontrée devrait être le salarié visé par l’enquête, et ce, afin que l’employeur ait en main tous les faits pertinents sur lesquels il doit obtenir sa version. Procéder promptement à l’enquête assurera de plus que les souvenirs des témoins seront meilleurs, puisque les faits seront plus frais à leur mémoire. Par ailleurs, le contenu de l’ensemble de ces rencontres doit être consigné par écrit et signé par les témoins, et cela, en présence de deux représentants de l’employeur. Préparer un questionnaire permettra également de s’assurer que la discussion avec le témoin ou l’employé qui fait l’objet de l’enquête couvrira tous les éléments essentiels et qu’aucune question ne sera oubliée pendant la rencontre.

En plus de ces rencontres, la collecte de documents et la validation de certains renseignements s’avèrent essentielles. Par exemple, l’analyse d’un rapport d’accident-incident, les échanges de courriels ou d’autres notes au dossier devront être lus attentivement. De même, il est important de vérifier que le salarié visé et les témoins étaient bel et bien au travail la journée où l’incident se serait produit, cela évite parfois de vilaines surprises.

Au terme de cette enquête, l’analyse des faits et de la crédibilité de chaque témoin permettra soit de trancher et d’imposer la sanction appropriée, soit de s’en abstenir. Puisque le fardeau de la preuve devant un tribunal repose sur les épaules de l’employeur, selon la prépondérance de la preuve, celui-ci devrait retenir les faits qui rendent plus probable l’existence d’un fait que son inexistence en présence de versions contradictoires.

Conclusion
Le pouvoir disciplinaire est d’une importance cruciale pour tout employeur. Ainsi, l’enquête disciplinaire constitue l’outil de base pour s’assurer de l’exercice adéquat de ce droit de gérance. Également, elle permettra aux gestionnaires d’expliquer et de justifier la mesure disciplinaire prise, le cas échéant, lorsqu’un décideur devra analyser si l’employeur était justifié ou non de sanctionner le salarié. Les enquêtes peuvent parfois s’avérer de véritables courses à obstacles, mais il est préférable d’éprouver ces difficultés et de les surmonter avant de sanctionner l’employé, plutôt que d’avoir à le faire plus tard en cas de contestation.

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Source : VigieRT, mai 2013.


1 Emballages Rocktenn — Canada, s.e.c. (Emballages Smurfit-Stone Canada inc.) et Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 245, D.T.E. 2013T-229, 28 février 2013, Me François Blais, arbitre.
2 Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (SCEP) CTC et Emballages Rocktenn Canada, s.e.c. (Emballages Smurfit-Stone Canada inc.), D.T.E. 2012T-510, 26 juin 2012 (rectifiée le 17 juillet 2012), Me Suzanne Moro, arbitre.
3 Voir par exemple : Les professionnels en soins de santé unis (FIQ) c. Vigi Santé Ltée (CHSLD Montérégie), 2007A-126, Me Jean-Louis Dubé, arbitre.
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