Vous lisez : L’identité de l’employeur et contrat de travail

En début d’année, la Cour d’appel s’est prononcée quant à la qualification de l’identité de l’employeur en tant que condition essentielle du contrat de travail.

Pour le plus haut tribunal de la province, le changement d’identité de l’employeur en raison d’une aliénation d’entreprise ou d’un changement de structure juridique ne peut constituer une modification unilatérale d’une condition essentielle du contrat de travail. Il ne peut ainsi y avoir de congédiement déguisé par cette situation.

Nous aborderons plus loin le raisonnement de la Cour d’appel, mais voyons d’abord le jugement de première instance.

En première instance
Dans cette affaire[1], l’employé occupe le poste de directeur des opérations d’un hôtel appartenant à une chaîne hôtelière de grande envergure. Cet emploi lui a notamment permis de travailler dans différents pays au cours de sa carrière.

Il y a de nombreuses années, l’hôtel a fait l’objet d’une première vente dont l’acquéreur était une organisation d’ampleur équivalente. L’employé a accepté que son contrat de travail soit transféré lors de la vente puisqu’il conservait les mêmes conditions de travail ainsi que des possibilités d’avancement attrayantes.

Une seconde vente est survenue quelques années plus tard, mais, cette fois, l’acheteur, de moindre envergure, ne possédait que deux autres hôtels en France. L’employé a vivement contesté le transfert de son contrat de travail avec la vente de l’hôtel.

Ayant consacré 22 années de sa vie au service de chaînes hôtelières prestigieuses, il désirait conserver la possibilité de profiter des chances d’avancement qu’elles offrent.

Dès lors, il a fait part à ses supérieurs de son désir d’être muté dans un autre hôtel de la chaîne ou de résilier son contrat moyennant une indemnité de départ. Réfutant ces prétentions, l’employeur s’est dit d’avis que l’employé avait été transféré par le seul effet de l’article 2097 C.c.Q., consécutivement à l’aliénation de l’entreprise. Aussi, pour l’employeur, en ne se présentant pas au travail à la suite de la vente, l’employé avait démissionné et n’avait par conséquent pas satisfait son obligation de réduire ses dommages dans toute la mesure du possible.

La juge de la Cour supérieure a conclu qu’il avait fait l’objet d’un congédiement déguisé de la part de son employeur puisque la privation des avantages que lui offrait son poste dans cette organisation constituait une modification substantielle des conditions essentielles de son contrat de travail.

De plus, la Cour n’a pas adhéré au point de vue de l’employeur et elle a déterminé que le refus d’occuper l’emploi au sein de l’hôtel du nouvel acquéreur ne constituait pas un manquement à son obligation de réduire le plus possible les dommages dans les circonstances.

Par conséquent, le tribunal a accordé à l’employé la somme de 297 897,66 $ à titre de délai de congé raisonnable, en plus des intérêts et de l’indemnité additionnelle. L’employeur a interjeté appel de cette condamnation.

En appel
Le plus haut tribunal de la province a amorcé son raisonnement sur la portée de l’article 2097 C.c.Q. Il a rappelé que cette disposition impérative vise à assurer la continuité du contrat de travail dans un contexte de vente ou de modification de la structure juridique de l’entreprise.

La Cour a poursuivi en précisant qu’il découle implicitement de cette situation que le contrat de travail qui survit à l’aliénation continue également de lier le salarié et l’ayant cause de l’employeur initial. Par conséquent, « l’article 2097 fait échec à l’idée que, parce que le contrat de travail serait, en raison de sa nature et donc génériquement, intuitu personae, il devrait prendre fin avec l’aliénation[2] ».

S’ensuit la question au cœur de l’appel, à savoir si le changement d’identité de l’employeur peut constituer un congédiement déguisé.

De prime abord, conclure par l’affirmative irait, pour les magistrats, à l’encontre de l’intention du législateur et viderait de tout son sens l’article 2097 C.c.Q.

La Cour a rappelé ensuite que les conditions de travail sont dynamiques et non pas statiques, ce qui permet à l’employeur « d’adapter l’environnement de travail à l’évolution de l’entreprise, afin de rendre celle-ci plus productive ou de répondre à des contraintes excessives, etc.] [3]».

Ce faisant, « le fait que l’[employeur] ne soit plus [celui] qui dans le futur, exécutera les prestations patronales résultant du contrat de travail ne peut constituer ici ni un manquement à ses obligations ni une atteinte substantielle aux conditions de travail essentielles [du travailleur], l’article 2097 C.c.Q. contrecarrant tout argument qu’on pourrait être tenté de faire valoir à ce propos] [4]».

Dans ces circonstances, un salarié visé par l’article 2097 C.c.Q. qui refuserait de travailler pour l’employeur-acquéreur serait considéré comme ayant démissionné volontairement de son emploi. Il ne pourrait s’agir d’un congédiement déguisé.

Le caractère international de l’emploi ne peut donc être considéré comme une condition essentielle de travail. La Cour d’appel apporte toutefois une nuance lorsque cette condition est expressément mentionnée dans les clauses du contrat. Ainsi, en l’espèce, si les attentes de l’employé avaient été exprimées dans son contrat de travail, la situation aurait été différente.

La Cour d’appel s’est également prononcée sur l’obligation de l’employé de minimiser ses dommages, tel qu’imposée par l’article 1479 C.c.Q.

Considérant l’application de l’article 2097 C.c.Q. et le contenu du contrat de travail liant les parties, le travailleur, malgré la vente de l’hôtel, est demeuré un salarié au sein de l’acquéreur, et ce, au même salaire ainsi qu’aux mêmes conditions. Bien que l’employé ait cru qu’il avait subi un congédiement déguisé, cela n’a pas pu justifier son refus de considérer et d’accepter le maintien de ses fonctions auprès de l’acquéreur.

La Cour a donc conclu que l’employeur s’est déchargé de son fardeau d’établir que son employé a failli à son obligation de réduire ses dommages dans toute la mesure du possible. Par conséquent, elle a donné gain de cause à l’employeur sur l’ensemble des motifs invoqués.

En somme, cette décision de la Cour d’appel énonce clairement au salarié qu’un refus d’occuper un emploi équivalent auprès de l’acquéreur de l’entreprise est assimilé à une démission volontaire de sa part sous l’application de l’article 2097 C.c.Q.

Source : VigieRT, mai 2016.


1 Boulad c. 2108805 Ontario inc., 2014 QCCS 1928.
2 2108805 Ontario inc. c. Boulad, 2016 QCCA 75, par. 36.
3 Idem, par. 49.
4 Idem, par. 53.
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