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Les Chartes des droits et libertés tant québécoise que canadienne prévoient que toute personne est titulaire du droit à la liberté de religion et de conscience. Le respect de cette liberté fondamentale se révèle un défi complexe pour certaines organisations. Il peut exister en milieu de travail des contextes particuliers faisant en sorte qu’il soit difficile d’assurer à ses employés le respect intégral de leur liberté de religion. Nous verrons, dans le présent article, les enjeux que cela présente pour les organisations.

La définition de la liberté de religion
La Cour suprême du Canada a confirmé en 2004, dans l’affaire Syndicat Northcrest c. Anselem[1], qu’il fallait retenir une définition extensive de la liberté de religion. Le plus haut tribunal du pays est venu confirmer à cette occasion qu’elle repose sur un choix personnel de l’individu. Essentiellement, la cour rappelle que le concept de religion se définit par le droit de croire ce que l’on veut en matière religieuse, de professer ouvertement ses croyances religieuses sans crainte d’empêchement ou de représailles et de manifester ses croyances par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation. La définition du droit à la liberté de religion implique également que nul ne peut être forcé d’agir contrairement à ses croyances ou à sa conscience.

Le fardeau de preuve de la personne alléguant être victime de discrimination
Un salarié pourrait faire valoir son droit à la liberté de religion pour, par exemple, s’absenter afin d’assister à une messe, obtenir des périodes de prière à l’intérieur de son horaire normal de travail ou encore pour refuser de travailler avec un certain produit ou pièce d’équipement si c’est contraire à ses croyances. Pour certains employeurs, les demandes relatives au droit à la liberté de religion peuvent être difficiles à respecter. Les motifs fréquemment invoqués font référence aux normes de sécurité en vigueur, au respect de l’horaire imposé, à l’image organisationnelle ou encore à des raisons de productivité.

Les critères permettant d’invoquer le droit à la liberté de religion
Il faut savoir que pour bénéficier du droit à la liberté de religion, une personne se disant victime de discrimination doit respecter certains critères.

Premièrement, cette personne doit avoir une croyance en une pratique religieuse. Cette croyance doit imposer une conduite particulière, soit parce qu’elle est objectivement ou subjectivement obligatoire ou soit parce que, subjectivement, elle crée de façon générale un lien personnel avec le divin ou avec le sujet ou l’objet de sa foi spirituelle[2]. Il importe peu que cette pratique ou croyance soit requise par un dogme religieux officiel ou conforme à la position des représentants religieux.

Deuxièmement, la personne doit démontrer la sincérité de cette croyance. Autrement dit, un salarié ne peut invoquer simplement une croyance qu’il n’a jamais respectée simplement pour obtenir un congé.

Une fois cette démonstration faite, la liberté de religion entre en jeu lorsqu’une mesure prise par l’employeur constitue une entrave plus qu’insignifiante ou négligeable à cette croyance. Cette entrave doit donc empêcher le salarié d’agir en conformité avec ses croyances religieuses.

La liberté de religion n’est pas un droit absolu
Il importe de mentionner que les employés ne peuvent pas tout faire au nom du droit à la liberté de religion. Tel que le rappelait la Cour suprême dans l’affaire Syndicat Northcrest précitée, aucun droit, y compris la liberté de religion, n’est absolu. Il est donc très important de tenir compte également des droits de l’employeur et de ceux des collègues.

La Cour suprême est venue confirmer dans l’arrêt Multani c. Commission scolaire Marguerite Bourgeois[3] que la portée de la liberté de religion peut être restreinte lorsque la liberté d’une personne d’agir suivant ses croyances est susceptible de causer préjudice aux droits d’autrui ou d’entraver l’exercice de ses droits. C’est dans ce contexte que, bien souvent, l’employeur se doit d’établir ou de trouver des accommodements raisonnables pour pouvoir satisfaire ses employés.

La justification par l’employeur de son refus de respecter la demande d’un employé invoquant la liberté de religion
Comme mentionné précédemment, l’employeur peut avoir plusieurs raisons de refuser les demandes d’employés invoquant leur liberté de religion. Toutefois, les motifs invoqués par ces employeurs doivent satisfaire les critères énoncés par la Cour suprême du Canada. Donc, lorsque des normes ou des mesures imposées par l’employeur ont des effets discriminatoires chez un employé et l’empêchent de respecter ses croyances religieuses, l’employeur peut se justifier en prouvant que :

  1. l’objectif qu’il poursuit est important (p. ex., sécurité ou productivité);
  2. il existe une proportionnalité entre les moyens qu’il emploie et l’objectif poursuivi.

Si, par exemple, un employeur interdit à ses employés de porter tout signe religieux sur leur vêtement pour des raisons de sécurité, il se doit de démontrer que l’imposition de cette mesure est primordiale afin d’assurer la sécurité de tous ses employés et qu’il ne pourrait parvenir autrement à ce résultat.

L’obligation d’accommodement raisonnable
Lorsque l’employeur impose une mesure ayant un effet discriminatoire envers certains employés, cette mesure ou restriction se doit d’être minimale, c'est-à-dire qu’elle doit être adaptée de façon à ce que l’atteinte aux droits à la liberté de religion ne dépasse pas ce qui est nécessaire.

Dans ce contexte, les employeurs sont souvent appelés à trouver des solutions de rechange à la mesure imposée de manière à satisfaire ceux qui invoquent le droit à la liberté de religion. C’est à ce moment qu’entre en jeu la notion d’accommodements raisonnables.

Un employeur peut, dans certains cas, refuser les demandes d’accommodements lorsque ceux-ci constituent, pour lui, une contrainte excessive. Le fardeau de démontrer les contraintes excessives repose sur les épaules de l’employeur. Le Tribunal des droits de la personne, dans l’affaire Commission des droits de la personne du Québec c. Les Autobus Legault inc. et Darquise Bédard[4], est venu rappeler les critères permettant d’évaluer la notion de contraintes excessives. Voici donc les éléments pouvant être pris en considération : la taille de l’entreprise, les coûts financiers reliés à l’accommodement, les risques posés à la sécurité, l’interchangeabilité des effectifs et des installations et le degré d’atteinte porté à la convention collective. Évidemment, cette liste n’est pas exhaustive.

Le juge dans cette affaire rappelle que le caractère excessif que doit comporter la contrainte reliée à l’accommodement suppose qu’un certain degré de contrainte est acceptable par rapport à ces facteurs. Toutefois, des efforts négligeables d’accommodements de la part de l’employeur ne suffiront pas à le décharger de son fardeau. Ce dernier doit donc effectuer une démarche de réflexion crédible et motivée avant de prendre sa décision.

En conclusion
Le respect par l’employeur du droit à la liberté de religion de ses employés est et sera toujours une question délicate qui risque à tout moment de soulever des passions chez les employés. Avant d’entreprendre toute mesure susceptible de brimer ce droit, la prudence est de mise. Lorsque des accommodements sont demandés à l’employeur, ce dernier doit, avant de les refuser, démontrer qu’il a fait un exercice et des efforts suffisants pour tenter de les satisfaire. Autrement, il court le risque de voir ses employés déposer des griefs ou des plaintes devant la Commission des droits de la personne, ce qui est loin d’être souhaitable, surtout lorsque ces situations peuvent être réglées en amont.

 

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Source : VigieRT, novembre 2011.


1 Syndicat Northcrest c. Anselem [2004] 2 R.C.S.551
2 Idem.
3 Multani c. Commission scolaire Marguerite Bourgeois [2006] 1 R.C.S. 256
4 Commission des droits de la personne du Québec c. Les Autobus Legault inc. et Darquise Bédard D.T.E. 94T-1432

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