Vous lisez : Le régime de relations de travail applicable aux artistes

Voilà bientôt deux ans que le législateur a confié à la Commission des relations du travail (ci-après la « Commission ») certains pouvoirs eu égard à l’application de la Loi sur le statut professionnel et les conditions d'engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma (ci-après la « Loi »). Les fonctions et les pouvoirs de la Commission, autrefois dévolus à la Commission de reconnaissance des associations d’artistes et des associations de producteurs, sont ainsi définis aux articles 56 et suivants de la Loi.

La Commission a récemment, pour la première fois, été saisie d’un dossier impliquant la fusion de deux secteurs de négociation[1]. Ces deux secteurs de négociation portaient sur les personnes œuvrant à la production de documents ou d’œuvres audiovisuels sur support magnétoscopique, soit le secteur « général » et le secteur « bruiteur ». Or, si la Commission doit analyser la communauté d’intérêts des artistes lorsqu’elle est appelée à définir un secteur de négociation, rien n’est prévu dans la Loi quant à la fusion de secteurs de négociation déjà existants.

Cependant, la Commission a souligné que le régime mis en place à même la Loi lui accorde de larges pouvoirs en matière de reconnaissance d’associations d’artistes et d’associations de producteurs. À cet effet, elle a fait le parallèle avec le pouvoir de fusionner des accréditations qui lui est accordé au Code du travail. Ce faisant, la Commission a appliqué les conditions développées par la jurisprudence relativement à la fusion d’accréditations. Ces conditions sont les suivantes :

  1. Le respect de la portée intentionnelle des accréditations existantes;
  2. L’examen du caractère approprié de la nouvelle unité fusionnée;
  3. Le consentement des salariés intéressés;
  4. Le respect des droits des tiers.

Constatant la similitude existant entre le régime d’accréditation des salariés en application du Code du travail et celui des artistes en sens de la Loi, la Commission est d’avis que ces conditions doivent être importées au régime applicable aux artistes. La Commission a tenu à cet effet les propos suivants :

« [36]  Cela étant, la reconnaissance et l’accréditation visent toutes deux un objectif commun, celui de permettre la représentation d’un groupe de personnes ayant des intérêts communs en vue de la négociation collective de leurs conditions de travail. Elles confèrent toutes deux à cette fin un monopole de représentation à l’association qui détient la reconnaissance ou l’accréditation. Dans le cas d’une reconnaissance toutefois, les artistes visés conservent le droit de négocier individuellement des conditions d’engagement plus avantageuses que celles prévues aux ententes collectives. »

La Commission a ensuite procédé à l’analyse de chacune des quatre conditions requises. Se satisfaisant de la preuve présentée quant à chacune de ces conditions, la Commission a ordonné la fusion des deux secteurs de négociation.

La Commission a également eu à se pencher sur la portée de son pouvoir dans un dossier[2] lui ayant été soumis à l’automne 2010. Dans ce dossier, l’Union des artistes demandait à la Commission d’annuler un avis de négociation lui ayant été transmis par une association de producteurs. Les parties étaient dans ce cas liées par une entente collective couvrant les annonces publicitaires enregistrées pour la télévision et la radio. Or, l’association de producteurs avait transmis un avis de négociation en vue de conclure une entente distincte, applicable cette fois aux annonces publicitaires enregistrées à des fins de diffusion sur Internet et dans les nouveaux médias uniquement. L’Union des artistes a fait valoir devant la Commission qu’une seule entente collective devait s’appliquer à l’ensemble des annonces publicitaires.

La Commission a dû, en premier lieu, répondre à l’argument de l’association de producteurs voulant qu’elle n’ait pas compétence pour entendre la requête. En effet, selon les producteurs, la requête formulée par l’Union des artistes ne portait pas sur les matières ou recours qui relèvent de la compétence de la Commission. Ces recours sont notamment ceux concernant la reconnaissance d’association d’artistes ou de producteurs, la définition de secteur de négociation et, plus largement, la résolution de difficultés découlant de l’application du Code du travail et de la Loi. Or, de l’avis de la Commission, la question s’apparentant à celle visant la détermination des parties assujetties au processus de négociation, elle se rattachait suffisamment à une question de reconnaissance, lui donnant ainsi compétence pour trancher le litige.

Sur le fond, la Commission a essentiellement été appelée à décider si la Loi impose l’obligation de négocier une seule entente collective par secteur de négociation et par domaine de production ou, au contraire, si une pluralité de telles ententes est possible. L’Union des artistes a plaidé notamment que la Commission devrait s’inspirer de l’article 67 (2) du Code du travail, article qui prévoit que l’association accréditée et l’employeur ne doivent conclure qu’une seule convention collective à l’égard du groupe de salariés défini à l’accréditation. La Commission a rejeté cet argument au motif que non seulement la Loi ne comporte pas une telle disposition, mais au surplus que dans une autre loi, soit la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs, le législateur a expressément prévu qu’une seule association devait être reconnue par domaine de production.

La Commission s’est particulièrement arrêtée sur la distinction existant entre le régime prévu à la Loi et celui prévu au Code du travail. Voici ses propos :

[49]  Certes, le mécanisme de reconnaissance présente des similitudes avec celui de l’accréditation. Mais, comme la Commission de reconnaissance d’associations d’artistes et d’associations de producteurs (CRAAAP) l’a souligné à maintes reprises, la Loi met en place un régime de relations de travail atypique et original, visant à établir des conditions minimales de travail à des travailleurs autonomes et il faut se garder d’importer les principes du Code sans discernement (Guilde des musiciens du Québec c. Café Sarajevo, 2002 CRAAAP 361, infirmée en C.S. pour d’autres motifs (nº 500-05-075638-021). Voir aussi décision Hippodrome, précitée).

[50]  En effet, l’association reconnue d’artistes n’est pas l’agent négociateur exclusif, contrairement à l’association accréditée en vertu du Code. Son rôle consiste à négocier des conditions de travail minimales, et non les seules conditions de travail applicables. De plus, l’accréditation du Code repose sur un cadre tripartite, soit une association de salariés, un employeur et une entreprise. Ces éléments ne sont pas présents dans le régime de reconnaissance : les artistes sont des travailleurs autonomes, dont les services sont retenus, aux fins d’une production particulière, par différents producteurs qui peuvent être membres ou non d’une association de producteurs.


[Notre emphase.]

Sans toutefois se prononcer quant à la distinction entre les productions d’annonces publicitaires enregistrées pour la télévision et la radio et celles destinées à Internet et les nouveaux médias, la Commission a rendu ainsi son jugement, lequel stipule que la Loi ne limite pas le nombre d’ententes collectives par secteur de négociation.

Enfin, la Commission a également eu à analyser la convenance pour des artistes de se prévaloir du recours prévu à l’article 47.2 du Code du travail, recours disponible pour les salariés en cas de manquement au devoir de représentation de leur syndicat[3]. La Commission s’est une fois de plus penchée sur les similitudes et les distinctions entre les deux régimes prévus à la Loi et au Code du travail pour conclure qu’un tel recours n’était pas ouvert aux artistes assujettis à la Loi. En effet, la Commission a souligné que, bien qu’elle doive faire les adaptations nécessaires entre la Loi et le Code du travail pour les demandes relevant de sa compétence, encore faut-il que cette compétence soit déterminée par le législateur. Cependant, le recours prévu à l’article 47.2 du Code du travail est réservé aux seuls salariés. Au surplus, la Commission a souligné qu’une des distinctions fondamentales entre les deux régimes réside dans l’absence de monopole de représentation dans le cas des associations d’artistes. Au contraire, un artiste peut décider de se faire représenter par un agent et ainsi tenter d’obtenir des conditions de travail supérieures à celles négociées par l’association.

Il apparaît de plus en plus évident que le régime de relations de travail applicable aux artistes et celui destiné aux salariés comportent des distinctions fondamentales. La Commission, depuis les deux dernières années, si elle a évidemment été appelée à user des comparaisons et similitudes existant entre ces deux régimes, a par ailleurs eu de multiples occasions de se prononcer sur leurs distinctions et sur leurs conséquences juridiques et pratiques.

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Source : VigieRT, mai 2011.


1 Alliance québécoise des techniciens de l’Image et du son (AQTIS) et Association des producteurs de films et de télévision du Québec (APFTQ), D.T.E. 2011T-280 (C.R.T.).
2 Union des artistes (UDA) et Association des producteurs conjoints (APC), D.T.E. 2010T-748 (C.R.T.).
3 Bezina et Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists (ACTRA), D.T.E. 2010T-417 (C.R.T.).
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