Vous lisez : Les employés d’agences de personnel au service d’entreprises syndiquées : qui est l’employeur véritable?

Depuis l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ville de Pointe-Claire c. Québec (Tribunal du travail) [1971] 1 RCS 1015 (CSC), la jurisprudence de la Commission des relations du travail se développe en ce qui concerne la définition de l’employeur dans le contexte de ce que la Cour suprême a qualifié de relation tripartite, c’est-à-dire la relation entre un employé, l’agence de personnel qui l’a engagé et l’entreprise bénéficiant des services de l’employé engagé par cette agence.

Deux jugements récents de ce tribunal méritent considération puisqu’ils permettent de faire le point sur les critères pertinents à ce débat. Leur analyse permet également d’aider les institutions et les agences de personnel à mieux planifier leurs relations juridiques, afin d’obvier aux inconvénients posés par l’arrêt de la Cour suprême.

La décision de la Cour suprême
Jusqu’à ce que la Cour suprême soit invitée à faire le point sur la question, la jurisprudence des tribunaux de droit du travail du Québec avait fréquemment analysé la problématique générée par l’utilisation, dans une entreprise syndiquée, d’employés fournis temporairement par une agence de personnel.

Dans la plupart des cas, ces tribunaux avaient favorisé une approche basée sur la notion de subordination juridique qui consistait à déterminer la partie ayant le véritable contrôle sur les prestations de travail quotidiennes du salarié. Souvent, la notion de subordination juridique se confondait avec celle de subordination économique.

Dans l’arrêt Ville de Pointe-Claire, la Cour suprême, tout en concluant que le résultat obtenu dans cette affaire par une telle méthode n’était pas déraisonnable, retient une approche plus globale qui consiste à déterminer quelle est la personne morale qui a le plus d’impact sur tous les aspects du travail de l’employé. On énumère, entre autres, à titre d’exemple, les aspects suivants du travail, soit : le processus de sélection, l’embauche, la formation, la discipline, l’évaluation, la supervision, l’assignation des tâches, la rémunération et l’intégration dans l’entreprise.

Vu la multiplicité des aspects du travail étudiés et la nécessité de pondérer leur impact respectif, l’approche globale ainsi énoncée par la Cour suprême n’a pas manqué de soulever des inquiétudes sur le caractère imprévisible du résultat de l’analyse.

Cette approche a d’ailleurs conduit à des résultats opposés dans le cas des infirmières et autres professionnels de la santé qui sont fournis par des agences de personnel aux hôpitaux et centres de santé.

Par exemple :

  • Les Professionnel(le)s en soins de santé unis (FIQ) c. Hôpital Maisonneuve-Rosemont, 2011 QCCRT 0447 (disponible sur azimut).
  • Syndicat unifié du Littoral – Sud FSSS – CSN c. Centre de santé et services sociaux de Béancour – Nicolet – Yamaska et Solution Informatique Trois-Rivières inc., 2011 QCCRT 0582 (disponible sur azimut).

Toutefois, deux décisions récentes de la Commission des relations du travail semblent favoriser une meilleure sécurité de la règle et une meilleure planification par les employés.

L’affaire Hôpital Maisonneuve-Rosemont
Un jugement rendu par la Commission des relations du travail fait un pas en avant dans la détermination d’une démarche systématique visant une meilleure sécurité de la règle.

Dans cette affaire, la juge administrative avait à déterminer qui des deux agences de personnel ou de l’hôpital constituait l’employeur des professionnels (infirmières, inhalothérapeutes) fournis par l’agence. Comme dans les affaires antérieures, l’utilisation des salariés provenant d’agences n’est pas épisodique : une pénurie de professionnels exige, là comme ailleurs, l’utilisation des salariés d’agences, et ce, en lieu et place des salariés de l’hôpital.

La juge s’est livrée d’abord à une analyse du jugement de la Cour suprême et des jugements subséquents rendus par la Commission des relations du travail. Elle en a conclu que l’analyse de la question nécessite, en premier lieu, d’analyser le contexte contractuel et juridique prévalant entre l’hôpital et l’agence. Quoique non exclusif, ce contexte contractuel constitue un facteur. Par la suite, la juge administrative a analysé le contexte dans lequel s’exécute la prestation de service en revoyant, l’un après l’autre, les aspects de la relation d’emploi énumérés par la Cour suprême. Soit :

  • Pointe-Claire (Ville de) c. Québec (Tribunal du travail), [1997] 1 RCS 1015 (CSC).
  • Syndicat des professionnelles en soins infirmiers et cardio-respiratoires du CSSS Gatineau (FIQ) c. Centre de santé et de services sociaux de Gatineau, 2008 CQCRT 0344 (disponible sur azimut).
  • Syndicat des professionnelles en soins du CSSS de la Montagne (FIQ) c. Centre de santé et de services sociaux de la Montagne, 2009 QCCRT 0442 (disponible sur azimut).
  • Syndicat des infirmières, infirmières auxiliaires et inhalothérapeutes de l’Est-du-Québec (CSQ) c. Centre de santé et de services sociaux de La Mitis, 2009 QCCRT 0233 (disponible sur azimut).

Plusieurs des critères ayant un effet neutre, la Commissaire a déterminé que les fonctions des salariés provenant d’agences sont intégrées aux soins et que l’assignation des tâches et la supervision des professionnels relèvent factuellement de l’hôpital.

Elle a donc conclu que l’hôpital est l’employeur du personnel d’agences.

L’affaire CSST Bécancour-Nicolet-Yamaska
La même méthodologie a été suivie par la juge administrative dans sa décision portant sur l’affaire Syndicat unifié du Littoral – Sud FSSS – CSN c. Centre de santé et de services sociaux de Bécancour–Nicolet–Yamaska et Solution Informatique Trois-Rivières inc.

Dans cette affaire, le Syndicat requérant réclamait l’application du certificat d’accréditation et de la convention collective du Centre de santé aux employés d’une agence spécialisée en analyse et programmation informatique. Certains d’entre eux dispensaient leurs services au Centre de santé pour la même agence depuis plusieurs années, avaient un bureau sur les lieux et interagissaient régulièrement avec le personnel en place.

Malgré cela, la juge administrative a rejeté la requête et a conclu que l’employeur véritable des salariés est l’agence de personnel. Cette décision est fondée sur la conclusion selon laquelle il n’y a pas d’intégration des activités des techniciens en informatique avec les activités du Centre de santé, ceux-ci demeurant sous la supervision des cadres et dirigeants de l’agence. La juge administrative a souligné d’ailleurs que pendant toutes ces années, les techniciens de l’agence ont continué d’être sujets aux conditions de travail et de rémunération propres à l’agence et distinctes de celles du Centre de santé, dont le salaire, le remboursement des frais de déplacement et de repas ainsi que les heures de travail.

Recommandations
Ces récentes décisions incitent donc les employeurs et les agences de personnel à planifier non seulement le contexte contractuel, mais également le contexte d’exécution du travail afin d’éviter au client la mauvaise surprise d’un jugement le désignant comme l’employeur.

À cette fin, voici quelques-unes des recommandations à suivre :

  • L’agence doit avoir un régime d’emploi qui lui est propre, incluant des conditions de travail spécifiques et indépendantes ainsi qu’une échelle de salaires qui ne dépend pas de la somme réclamée par l’agence à son client.
  • Les conditions d’emploi des salariés de l’agence devraient désigner le supérieur auquel ils se rapportent en tout temps dans leur travail, quelle que soit l’identité du client chez qui ils travaillent.
  • L’agence doit créer un milieu de travail commun que le salarié fréquente de façon régulière. S’il est impossible que les salariés se déplacent à l’agence parce qu’ils doivent se rendre chez le client, il serait utile de créer un lieu de travail virtuel à l’aide de l’informatique ou des médias sociaux.
  • Les employés de l’agence devraient s’abstenir de faire partie du club social des employés du client et de participer à la fête de Noël et autres rassemblements sociaux des employés du client. L’agence devrait organiser des événements sociaux qui lui sont propres.
  • Les gestionnaires et employés du client ne devraient jamais superviser ni donner des directives de travail aux employés de l’agence. Ces communications devraient toujours être faites par un gestionnaire de l’agence.
  • Le client ne devrait jamais influencer l’embauche des salariés de l’agence ni régir de quelque façon que ce soit les conditions de travail.
  • L’agence de personnel devrait se doter d’un service des ressources humaines et d’un système d’administration des mesures disciplinaires qui lui sont propres.

Conclusion
L’évolution de la jurisprudence concernant la relation tripartite a mené récemment à un ensemble de règles plus uniformes et plus prévisibles. Il devient donc désormais possible de mieux planifier les rapports juridiques et fonctionnels entre l’agence de personnel et son client afin de faire en sorte que les salariés fournis demeurent les employés de l’agence.

Source : VigieRT, mai 2012.

 

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