Vous lisez : Quand la durée déterminée d’un contrat devient indéterminée...

Différents procédés peuvent être envisagés par le gestionnaire à la recherche de flexibilité dans l’organisation du travail. Par exemple, lorsque l’entreprise doit s’adapter rapidement aux besoins d’un marché où la concurrence est forte, il peut être tentant de conclure des contrats de travail à durée déterminée. Il sera ainsi plus facile de réévaluer ponctuellement les besoins de l’entreprise, peu de temps avant l’échéance de tels contrats.

Les choix offerts au gestionnaire en matière de contrat de travail sont limités; l’article 2086 du Code civil du Québec est précis sur cette question : le contrat de travail est à durée déterminée ou indéterminée.

Le contenu du contrat à durée déterminée doit spécifier quand il prendra fin. Son terme devra donc être précisé de façon expresse. Les parties peuvent aussi convenir qu’il se terminera au moment de la survenance d’un événement en particulier, dont la date n’est pas encore déterminée. Néanmoins, il s’agira tout de même d’un contrat à durée déterminée.

Si la conclusion d’un contrat à durée déterminée offre des avantages pour l’employeur, le salarié y trouve également son compte. Celui-ci se trouve ainsi dans une position de relative stabilité économique, puisqu’il peut s’attendre à demeurer en poste jusqu’à l’échéance du terme convenu. En effet, l’employeur qui désire mettre fin unilatéralement au contrat à durée déterminée doit tout de même payer le salaire entre le moment de la terminaison et l’expiration du contrat, et ce, dans la mesure où il ne dispose d’aucun motif sérieux.

Cependant, dans certaines circonstances, un contrat à durée déterminée peut être transformé en contrat à durée indéterminée. Plus encore, un contrat que l’employeur pensait avoir conclu pour une durée déterminée peut être interprété comme étant un contrat à durée indéterminée. Voici les conditions associées à ces circonstances particulières.

La reconduction tacite du contrat de travail
L’agenda est l’allié d’un bon gestionnaire. En effet, la date d’expiration d’un contrat à durée déterminée doit y figurer de façon à ce qu’un salarié dont le contrat de travail prend fin arrête de fournir sa prestation de travail. Autrement, si le salarié continue à travailler durant cinq jours sans que l’employeur s’y oppose, son contrat serait alors reconduit, et ce, pour une durée indéterminée. Le législateur a prévu une telle situation à l’article 2090 du Code civil du Québec : « Le contrat de travail est reconduit tacitement pour une durée indéterminée lorsque, après l'arrivée du terme, le salarié continue d'effectuer son travail durant cinq jours, sans opposition de la part de l'employeur. »

Le contrat étant initialement prévu pour que son existence ne soit que d’une durée limitée, les clauses qu’il contient et qui sont associées à son terme ne trouveront plus application, le nouveau contrat étant d’une durée indéterminée. Sur cet aspect, la Cour supérieure faisait la mention suivante :

« [149] La reconduction tacite d'un contrat à durée déterminée fait en sorte que les conditions essentielles de ce contrat continuent de s'appliquer. Certaines clauses cependant, telles que celles stipulées pour régir la durée du contrat initial ou fixer la durée du délai-congé requis en cas de résiliation ou de non-renouvellement deviennent inapplicables.[1]  »

La relation contractuelle sera dès lors assujettie aux dispositions applicables à tout contrat de travail à durée indéterminée. De ce fait, la partie qui voudra y mettre fin pourra le faire moyennant un délai de congé d’une durée raisonnable (art. 2091 du Code). Précisons à cet effet que la durée de la prestation de travail du salarié, prise en considération pour déterminer la durée d’un tel délai de congé, sera calculée à partir de la date d’embauche initiale du salarié.

Les renouvellements successifs de contrats de travail à durée déterminée
La conclusion de plusieurs contrats successifs à durée déterminée, dans certaines circonstances, pourra amener un tribunal à conclure que, lors de la terminaison définitive de son emploi, le contrat du salarié était d’une durée indéterminée. La Cour supérieure nous rappelait récemment ce principe :

« [21] Il est reconnu que, dans certains cas, une succession ininterrompue de contrats de travail à durée déterminée peut révéler la transformation de la relation de travail en rapport à durée indéterminée :

« Le contrat de travail à durée déterminée est celui où les parties ont préalablement fixé une échéance à leur relation contractuelle en prévoyant soit un terme extinctif, soit encore la réalisation d'une condition résolutoire. Dans le premier cas, il peut s'agir simplement de la fixation d'une date d'échéance au contrat, tout comme la survenance d'un événement certain à une date qui demeure inconnue. […]

« Par ailleurs, selon les circonstances, une succession ininterrompue de contrats de travail à durée déterminée, que ce soit par suite d'ententes formelles des parties à cet effet ou en conséquence de renouvellements conventionnels d'un contrat initial, peut révéler la transformation, en réalité, de la relation de travail en rapport à durée indéterminée […][2] »

Il faut donc porter une attention particulière aux conséquences que peut avoir l’inclusion, dans le contrat de travail à durée déterminée, d’une clause de renouvellement automatique. La situation est différente lorsqu’un salarié est dans une position où son contrat à durée déterminée est sans cesse renouvelé par l’employeur, parfois même durant plusieurs années. La relation contractuelle est alors susceptible de se transformer de façon à ce qu’on considère les parties liées pour une durée indéterminée.

Tel ne sera pas le cas évidemment si, dans les faits, on a mis fin au contrat de travail et qu’un nouveau contrat est conclu peu de temps après entre les parties. Il ne sera dès lors plus question d’un renouvellement de contrat, mais bien de la conclusion d’une nouvelle entente, à part entière. À cet effet, la Cour d’appel soulignait récemment ceci :

« [25] […] comment peut-on parler d'un renouvellement de ce contrat en septembre suivant, après son inexistence pendant les deux mois d'été, et ce, alors qu'un nouveau contrat à durée déterminée intervient de
fait!] [3]»

La possibilité pour l’employeur de mettre fin au contrat à tout moment
L’avantage pour un salarié de conclure avec son employeur un contrat de travail à durée déterminée est d’obtenir une certaine assurance de demeurer à l’emploi pour une période convenue. Certains gestionnaires seront toutefois tentés d’inclure dans un tel contrat une clause permettant à l’employeur d’y mettre fin à tout moment ou en donnant un court préavis.

Dans ces circonstances, comme le soulignaient les auteurs Morin et Brière :

« Le contrat de travail dont la durée y est déterminée mais laissant à une partie la discrétion d’y mettre fin avant son terme doit être traité mutatis mutandis comme s’il s’agissait d’un contrat à durée indéterminée puisqu’il est ainsi résiliable selon la volonté d’une seule partie.[4] »

Cette interprétation a maintes fois été confirmée en jurisprudence. Par exemple, la Cour supérieure s’exprimait ainsi dans des circonstances où l’employeur disposait, en application du contrat qui le liait à son salarié, d’une telle marge de manœuvre :

« [25] Donc si l’employeur se réserve le droit de mettre fin au contrat à sa seule volonté, le contrat est à durée indéterminée et le Tribunal peut intervenir en application de l’article 2092 C.c.Q. pour déterminer si le délai est raisonnable dans les circonstances de l’espèce et l’allonger si nécessaire.[5] »

L’employeur sera donc encore une fois tenu, dans la mesure où l’on interprétera le contrat de travail comme étant à durée indéterminée et dans le contexte d’une fin d’emploi, de donner au salarié concerné un délai de congé d’une durée raisonnable ou une indemnité en tenant lieu.

Conclusion
L’exercice d’évaluation des ressources et des besoins de flexibilité de l’entreprise est d’importance capitale pour le gestionnaire lorsqu’il est temps de conclure un contrat de travail. Mais celui-ci doit aussi porter une attention particulière à la rédaction du contrat, dans la mesure où il désire conclure un contrat de travail à durée déterminée avec un salarié, de façon à ce que, dans les faits, il s’agisse vraiment d’un contrat à durée déterminée et non pas un contrat à durée indéterminée. Il doit également faire un suivi diligent lors de l’échéance de ce même contrat et poser alors les gestes adéquats, en concordance avec les besoins de l’entreprise.

Pour obtenir des renseignements sur le cabinet ou pour consulter ses publications, cliquez ici.

Source : VigieRT, janvier 2011.


1 Tessier c. Régie intermunicipale de police de Richelieu—St-Laurent, D.T.E. 2009T-718 (C.S.)
2 De Coster c. Cogeco Diffusion inc., D.T.E. 2010T-228 (C.S.)
3 Syndicat de l'enseignement de Champlain c. Commission scolaire des Patriotes, D.T.E. 2010T-718 (C.A.)
4 MORIN, Fernand et Jean-Yves BRIÈRE, Le droit de l’emploi au Québec, 4e édition, Éditions Wilson & Lafleur, Montréal, 2010, p. 287.
5 Lantagne c. Groupe S.M. international inc., D.T.E. 2004T-724 (C.S.)
Ajouté à votre librairie Retiré de votre librairie