Vous lisez : Quand votre client est insatisfait des ressources que vous affectez chez lui...

Les cas d’impartition sont légion. En effet, des ingénieurs, des agents de sécurité, des chauffeurs ou du personnel en soins de santé sont souvent affectés chez des clients par leur employeur. Dans ces circonstances, le client peut-il exiger le retrait de l’employé s’il se dit insatisfait de ses services? L’employeur sera-t-il toujours tenu d’obtempérer à la demande du client? Quel sort est alors réservé à cet employé? En cas de litige suivant la terminaison de son emploi, l'employeur peut-il invoquer avec succès qu'il ne fait qu'agir selon la volonté de son client?

Dans la récente affaire Gestion mécanique Y.T. inc.[1], le plaignant contestait son congédiement par voie de grief. Il était affecté à titre de plombier dans l’un des deux édifices dans lesquels son employeur, Gestion Mécanique Y.T. inc., se chargeait de l'entretien en vertu de contrats intervenus avec le gestionnaire des immeubles.

Selon Gestion Mécanique Y.T. inc., il a dû procéder au congédiement du plaignant puisque le gestionnaire des immeubles menaçait de ne pas reconduire les contrats d’entretien si le plaignant continuait d'être affecté dans son immeuble. Le gestionnaire affirmait que son comportement sur les lieux du travail était inacceptable et qu’il devait être sanctionné par son congédiement.

Or, l’employeur affirme qu’il n’aurait pas congédié le plaignant, n'eut été de la volonté de son client. Mentionnons également que l’employeur ne semble pas avoir fait quelconque démarche afin de relocaliser le plaignant avant de le congédier.

Après avoir entendu des témoignages présentant une preuve essentiellement basée sur du ouï-dire (seul le représentant de l'employeur a témoigné des doléances de son client), l’arbitre a annulé le congédiement et ordonné la réintégration du plaignant dans son emploi. D’abord, l’arbitre a conclu que la survenance des faits reprochés par le gestionnaire de l'immeuble n’a pas été prouvée. Ensuite, il reproche à l’employeur de ne pas avoir appliqué le principe de la progression des sanctions (le dossier disciplinaire du plaignant était vierge). Finalement, en pliant sous la pression du client pour congédier le plaignant, l'arbitre a estimé que Gestion Mécanique Y.T. inc. a en quelque sorte cédé son droit de gérance à son client, une situation qui n'aurait été possible, selon lui, que si la convention collective l'avait prévue.

Par ailleurs, l'arbitre a estimé non pertinent l'argument de l'employeur voulant qu'il n'eût pas d'autre choix : il affirmait que s'il ne congédiait pas le plaignant, il voyait ses contrats d'entretien non renouvelés.

En somme, puisque la preuve démontrait que le congédiement était en fait une mesure disciplinaire visant à sanctionner le plaignant, l’employeur aurait lui-même dû faire enquête afin de déterminer si les faits reprochés étaient réellement survenus et s’ils justifiaient le congédiement. Autrement, l'employeur aurait dû réaffecter le plaignant chez un autre client en appliquant les dispositions applicables de la convention collective, le cas échéant. Si cette éventualité n'était pas possible, l'employeur aurait alors pu mettre à pied le plaignant ou le licencier.

Cette façon de faire aurait été conforme à la décision rendue dans l'affaire Sécurité Kolossal inc.[2], où il fut décidé que le retrait d’un employé à la demande d’un client constitue une décision administrative qui ne peut pas être modifiée par un arbitre (à moins que la preuve ne démontre qu'il s'agisse d'une décision abusive ou discriminatoire de la part de l'employeur). En effet, dans cette affaire, l’arbitre a conclu que l’employeur n’avait pas à prouver les motifs invoqués par son client pour justifier le remplacement du salarié concerné.

Il nous apparaît intéressant d’attirer votre attention sur la décision Syndicat des travailleuses et travailleurs des Autobus Auger métropolitain. Dans cette affaire, la convention collective prévoyait ce qui suit :

Il est convenu que la clientèle de l’employeur se réserve le droit de demander qu’un chauffeur soit remplacé pour des motifs valables que celle-ci pourra énoncer par écrit. S’il y a lieu, la personne salariée concernée sera remplacée et ne pourra se prévaloir de la procédure de grief prévue à la présente convention.

S’il y a lieu, et sous réserve des mesures disciplinaires et administratives applicables selon le cas, le chauffeur ainsi remplacé peut supplanter la personne salariée ayant le moins d’ancienneté affectée régulièrement à un guide hebdomadaire, pour effectuer du travail pour un client autre que celui pour lequel il était affecté.

Or, il se dégage de cette disposition une contrainte additionnelle : même si le client semble avoir un certain droit de regard sur le lien d’emploi du salarié, il doit tout de même fournir à l'employeur, par écrit, des « motifs valables » pour obliger l’employeur à retirer son salarié, pour éventuellement le réaffecter ou le discipliner. En conséquence, selon l'arbitre et compte tenu des dispositions particulières de la convention collective, l’employeur ne pouvait pas, arbitrairement et sans analyse sérieuse, imposer un remplacement à un salarié tout simplement parce que le client l’exigeait, peu importe qu'il s'agisse alors d'une mesure administrative (par opposition à une mesure disciplinaire).

Il en découle donc qu’en vertu d’une clause prévoyant le droit du client à demander le remplacement d’un salarié similaire à celle que nous retrouvons ci-dessus, un arbitre de grief aura la compétence pour statuer sur la légitimité des motifs invoqués au soutien d'une telle demande afin de déterminer s’ils sont raisonnables[3].

À titre de dernière illustration, l’affaire Scobus Coaticook[4] fait état d'une situation intéressante. Dans cette affaire, la plaignante était une chauffeuse d’autobus scolaire. Elle avait été condamnée pour conduite avec facultés affaiblies à deux occasions et accusée de conduite dangereuse alors qu’elle était au volant d’un autobus. Son permis ayant été suspendu, elle avait alors été mise à pied par son employeur.

Les parties s’étaient ensuite entendues pour réintégrer la plaignante, mais des pressions exercées par les parents des enfants fréquentant les écoles de la commission scolaire ont fait en sorte que cette dernière a demandé à l’employeur de la retirer de son poste. L'employeur a alors dû mettre fin à son emploi.

L’arbitre a conclu que la terminaison constituait une mesure administrative, et non disciplinaire. En effet, selon le tribunal, la plaignante ne fut pas congédiée en raison des infractions qu’elle avait commises au volant, mais plutôt en raison des interventions des parents ayant amené la commission scolaire à exiger son remplacement. Aux dires de l'arbitre, l’appréhension des parents à voir la plaignante réintégrée dans son emploi n'était pas mal fondée et factice; la commission scolaire devait donc y donner suite.

Pour cette raison, l’employeur était justifié de céder aux pressions de son client et de retirer la plaignante de son affectation. En l'espèce, même s’il était possible de la réaffecter à un autre poste de chauffeur dans l'entreprise, l'arbitre en vint à l'étonnante conclusion que l'employeur n’avait pas à la maintenir à son emploi compte tenu des circonstances ayant mené à son congédiement. Cette sentence arbitrale fut même maintenue par la Cour supérieure en révision judiciaire. En conclusion, les décisions examinées nous rappellent qu’un client peut exiger, auprès de son employeur et peu importe les motifs invoqués, le retrait et le remplacement d'un salarié jusque-là affecté dans son entreprise. Cependant, si cette demande du client devait découler de manquements de nature disciplinaire de la part du salarié, l'employeur devrait procéder lui même à une enquête, une fois que l’employé a été retiré de chez son client, s'il entendait le congédier plutôt que de le réaffecter chez un autre de ses clients.

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Source : VigieRT, mai 2012.


1 Gestion mécanique Y.T. inc. et Syndicat canadien des officiers de marine marchande, section locale 9538 du Syndicat des métallos (Normand Giard), (T.A.), Me Mario Létourneau, 2 décembre 2011, D.T.E. 2012T-307.
2 Sécurité Kolossal inc. et Union des agents de sécurité du Québec et Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 8922 (FTQ)(Driss Messoudi), (T.A.), Me Marc Gravel, 14 septembre 2007, SA 07-09021, D.T.E. 2007T-854; à ce sujet, voir aussi la décision Groupe de sécurité Garda Inc. et Union des agents de sécurité du Québec, local 8922, (T.A.) Me Jean-Guy Clément, 27 mai 2008, SA 08-05026; Association provinciale des agences de sécurité (Sécurité Gentel inc.) et Union des agents de sécurité du Québec, Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 8922 (FTQ) (Vincent Desrochers), (T.A.), Me Jean Sexton, 6 mai 2011, D.T.E. 2011T-454.
3 Voir Sécurité Select inc. et Union des agents de sécurité du Québec, métallurgistes unis d’Amérique, section locale 8922, (T.A.), Me Harvey Frumkin, 12 mars 1993, D.T.E. 93T-558.
4 Syndicat des travailleuses et travailleurs de Scobus Coaticook (C.S.N.) c. Gagnon, (C.S.), 10 mai 2001, D.T.E. 2001T-618.
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