Vous lisez : Rencontrer un employé avant de le discipliner

Il ne fait pas de doute que l’employeur possède le droit de discipliner ses employés qui commettent des fautes ou adoptent des comportements ou des attitudes incompatibles avec le cadre de leur travail. Cependant, il se doit de faire preuve de célérité et de respecter ses différentes obligations à l’égard de ses employés pour éviter des recours devant les tribunaux. Parmi celles-ci, nous retrouvons l’obligation de rencontrer l’employé dans le cadre d’un processus d’enquête avant de le discipliner. Cette obligation est cependant variable en fonction de la gravité de la faute en cause, du contexte ainsi que du type d’employeur.

Les obligations de l’employeur

L’article 2087 du Code civil du Québec prévoit les obligations de l’employeur à l’égard de ses salariés. Selon ce texte, l’employeur doit permettre l’exécution de la prestation de travail, payer la rémunération fixée et prendre les mesures appropriées en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité de ses employés. Bien que cet article ne prévoit pas explicitement l’obligation de loyauté de l’employeur, celle-ci existe et est rattachée à son obligation de protéger la dignité, comme prévu à l’article 2087 précité et à l’article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne[1].

Également, cette notion de loyauté englobe l’obligation d’agir selon les exigences de la bonne foi suivant les articles 6, 7 et 1375 du Code civil du Québec. Ces obligations imposent d’ailleurs le respect de certaines garanties procédurales en faveur de l’employé dans le cadre de la gestion disciplinaire de l’employeur.

Indépendamment de ces dispositions, une convention collective peut exiger que le respect des garanties procédurales soit expressément prévu. Dans un tel cas, l’employeur n’aura d’autres choix que de les respecter pour assurer la validité d’une mesure disciplinaire.

Les conséquences du non-respect de ces obligations

Dans la mesure où un employeur bafoue une ou plusieurs de ses obligations dans le cadre de sa gestion d’un processus disciplinaire, il s’expose à des recours devant les tribunaux. Ils peuvent déboucher sur des jugements lui ordonnant de verser une indemnité prenant la forme de dommages moraux, de dommages punitifs ou encore, une annulation de la mesure et une réintégration dans un cas de congédiement.

La mesure disciplinaire verbale ou écrite

Ce type de discipline est habituellement nécessaire en présence d’une faute mineure ou au début d’une gradation des sanctions. Bien qu’il s’agisse de fautes mineures, il est tout de même indiqué de procéder à une enquête et de rencontrer l’employé concerné ainsi que les différents témoins pour dresser le portrait global de la situation factuelle.

Le fait de ne pas procéder à une telle enquête et d’imposer la mesure sans avoir permis à l’employé de donner sa version des faits n’est pas nécessairement fatal dans le cas d’une telle mesure, mais elle crée un risque pour l’employeur et une défense pour l’employé qui n’a pas eu l’occasion de donner sa version des faits et de fournir ses explications.

La suspension

La décision de suspendre un employé arrive habituellement à la suite d’un évènement ou d’une faute grave, ou encore en regard de la progression des sanctions.

Dans une telle éventualité, compte tenu de la nature et de la sévérité de la sanction envisagée, les garanties procédurales du processus menant à la sanction de l’employeur se doivent d’être davantage respectées. En ce sens, l’employeur doit permettre à l’employé d’être entendu.

À cet effet, dans l’affaire Commission scolaire Marie-Victorin c. Charbonneau[2], l’arbitre de grief a jugé que la Commission scolaire se devait de faire enquête pour déterminer si l’employé avait commis une faute lourde justifiant une suspension. Dans cette affaire, il était question d’un technicien en éducation spécialisé qui avait été accusé de voies de fait sur un élève, pour finalement être acquitté près de cinq ans plus tard. Le tribunal a finalement octroyé 18 000 $ à titre de dommages moraux et l’équivalent de cinq ans de salaire à l’employé, ce qui correspond à ce qu’il a perdu durant la période de suspension.

Il est possible de voir, au regard de ce jugement, que l’obligation de faire enquête et de respecter les exigences de la bonne foi est primordiale pour s’assurer de la validité de la sanction imposée par l’employeur. Le fait d’agir de façon précipitée et sans avoir recueilli l’ensemble des faits constitue à cet égard une erreur qui, en plus de mettre à risque la sanction disciplinaire, peut déboucher sur d’importants dommages moraux imposés à l’employeur.

Le congédiement

Il va sans dire qu’avant de procéder au congédiement d’un de ses salariés, l’employeur se doit de le rencontrer. De plus, il ne doit pas agir de manière cavalière et être trop implacable au moment de l’annonce du congédiement. Au contraire, il doit se montrer raisonnable et honnête envers son employé s’il veut respecter son obligation de bonne foi et ainsi éviter de commettre une faute punissable par l’octroi de dommages moraux ou punitifs[3].

D’ailleurs, dans l’affaire Blais c. Aéroport de Québec inc.[4], le tribunal a statué que l’annonce d’un congédiement par téléphone, alors que l’employé est en congé et qu’il n’est pas au courant du fait que sa prestation de travail est problématique, constituait une faute civile. Un montant de 20 000 $ lui a donc été attribué à titre de préjudice moral.

Les particularités du secteur public

Bien qu’on puisse croire le contraire, la situation n’est pas différente dans le secteur public. D’une part, les employeurs publics doivent respecter leurs conventions collectives lorsqu’ils en ont une.

D’autre part, à l’extérieur du cadre des rapports collectifs du travail, leur processus disciplinaire n’a pas à respecter l’ensemble des principes d’équité procédurale et de justice naturelle. Ce constat s’applique même à une enquête portant sur une plainte de harcèlement psychologique.

En effet, dans l’arrêt Diotème c. Boulanger,[5] la Cour d’appel a statué que pour les employés détenant un contrat individuel de travail, l’employeur doit respecter le processus prévu au contrat ou dans ses différentes politiques, de sorte que si l’obligation de respecter l’équité procédurale et la justice naturelle n’y est pas expressément prévue, l’employeur n’y est pas sujet.

Il doit cependant s’assurer d’agir de manière raisonnable et avec bonne foi, car toute enquête bâclée ou toute décision prise de mauvaise foi peut provoquer d’importantes conséquences sur la validité des mesures imposées et entraîner des conflits coûteux devant les tribunaux.

Il faut également considérer que les employeurs publics ont une obligation morale supérieure en ce sens qu’ils doivent prêcher par l’exemple et préserver l’image de l’entreprise aux yeux de la société. Un employeur public a donc tout intérêt à prendre les précautions qui s’imposent en matière disciplinaire.

Conclusion

Pour éviter tout risque en matière disciplinaire, il est tout indiqué pour l’employeur de rencontrer son employé dès qu’il est en présence d’une situation factuelle justifiant de procéder à une enquête plus exhaustive. D’ailleurs, ce constat s’applique même aux fautes plus objectives, comme l’absentéisme fautif ou les rendements insuffisants.

En effet, l’employeur, en rencontrant son employé pour lui permettre de fournir des explications, pourra apprendre, par exemple, que ce dernier traverse une période difficile en raison du décès d’un être cher ou encore de soucis de santé, ce qui justifiera qu’il lui donne une période de grâce pour lui laisser la chance de s’amender et de démontrer ainsi l’étendue de sa bonne foi.

De surcroît, le fait de procéder à une enquête systématique et de donner le droit à ses employés d’être entendus avant de les sanctionner permet de démontrer que sa discipline n’est pas fondée sur des automatismes. Une telle pratique respecte également les exigences de la bonne foi.

En définitive, bien qu’à la base, le fait de rencontrer un employé avant de le discipliner représente une bonne pratique en matière de gestion des ressources humaines, on peut dire sans se tromper qu’il s’agit, la plupart du temps, d’une obligation.

La prudence est donc de mise!

Source : VigieRT, septembre 2018.

1 Collège Mont-Notre-Dame de Sherbrooke inc. c. Monette, D.T.E. 96T-1032.
2 2015 QCCS 5926.
3 Wallace c. United Grain Growers ltd (1997) 3 R.C.S. 701, par. 98.
4 2016 QCCS 1563.
5 2014 QCCA 2108.
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