Vous lisez : Une clause de remboursement des frais reliés à la formation est-elle légale?

Les parties à un contrat individuel de travail peuvent-elles prévoir une clause de remboursement des frais reliés à la formation en cas de départ volontaire?

À l’embauche d’un employé et même en cours d’emploi, il n’est pas rare que l’employeur exige que certains cours de formation soient suivis. Diverses raisons peuvent motiver cette demande de l’employeur : sécurité, tâches spécialisées, changements technologiques, exigences d’un fournisseur, etc.  

Des coûts très importants peuvent être associés à la formation du personnel, notamment dans certains secteurs d’activité où le taux de roulement est particulièrement élevé. L’employeur peut-il s’assurer d’obtenir un rendement de son investissement ou est-il à la merci de départs impromptus des employés?

La Commission des relations du travail (CRT) s’est récemment penchée sur cette question dans la décision Atelka Inc.[1] L’employeur est une entreprise du secteur du service à la clientèle qui exécute des mandats en impartition pour les grands joueurs du domaine des télécommunications. Les employés sont affectés à un client et doivent préalablement recevoir une formation afin d’acquérir les connaissances nécessaires. Lorsqu’une campagne se termine et qu’une autre commence, il est exigé que les employés signent un nouveau contrat de travail et assistent à une nouvelle formation en lien avec les spécificités de l’entreprise qui achète ce service. Une employée a refusé de signer une entente de remboursement des frais liés à la formation jointe à son nouveau contrat de travail.

La plaignante était agente au service à la clientèle. Son poste consistait essentiellement à répondre aux appels des clients de l’entreprise pour laquelle le mandat était exécuté. De retour d’un congé de maternité, elle se fait proposer de travailler sur une nouvelle campagne. Une formation de trente et un jours et une période d’intégration de deux semaines sont alors exigées; c’est dans ce contexte qu’on lui demande de signer un nouveau contrat de travail ainsi qu’une entente de remboursement des frais liés à la formation.

La clause de remboursement se lit comme suit :

« Advenant le cas où l’employé(e) quitterait de sa propre initiative la société ou ne respecterait pas les engagements pris au moment de l’embauche (disponibilités pour les horaires de travail), dans un délai de 16 semaines à compter de la date du premier jour de production, l’employé(e) s’engage à rembourser à la compagnie Atelka les frais encourus selon un décompte inversement proportionnel à son temps de présence dans l’entreprise.

« Le coût forfaitaire pris en compte pour le calcul de cette indemnité est de 125 $ par semaine. »

La plaignante prétend que signer l’entente contrevient à l’article 85.1 de la Loi sur les normes du travail[2] (LNT) qui prévoit notamment qu’« un employeur ne peut exiger d’un salarié une somme d’argent pour payer des frais reliés aux opérations et aux charges sociales de l’entreprise ».

La CRT conclut, en l’espèce, que cette clause est illégale et que la plaignante pouvait refuser, à bon droit, de l'accepter comme partie à son contrat de travail.

Cette conclusion s’inspire du jugement de la Cour d’appel dans l’affaire Créances garanties du Canada c. Commission des normes du travail[3], dans lequel la Cour a décidé qu’une pratique de retenue sur le salaire des frais du permis nécessaire à l’exercice des fonctions d’agent de recouvrement contrevient à l’article 85.1 de la LNT, ces frais étant reliés aux activités de l’agence de recouvrement. L’employeur assumait le coût d’acquisition du permis et retenait, par la suite, un montant de 50 $ par semaine sur la paye des employés, et ce, jusqu’au remboursement total. Dans son jugement, le juge Michel Robert précisait que l’article 85.1 avait été édicté en vue de protéger la rémunération du salarié contre certaines déductions que les employeurs pourraient effectuer sur leur salaire. Il conclut finalement que l’acquisition des permis nécessaires à l’exercice de la fonction d’agent de recouvrement est reliée aux activités d’une agence œuvrant dans ce secteur. Il en serait autrement si les permis pouvaient être d’une utilité certaine chez un autre employeur :

« [26] […] Il est vrai que, tout comme l’agence de recouvrement qui ne peut fonctionner sans agents de recouvrement, le bureau d’avocats ne peut fonctionner sans avocats dûment inscrits au Barreau et l’agence de transport ne peut fonctionner sans conducteurs ayant des permis de conduire valides. Toutefois, à la différence de l’avocat et du conducteur, l’agent de recouvrement n’a pas la possibilité de tirer un avantage personnel de son permis, c’est-à-dire indépendant de sa qualité d’employé. »[4]

Le critère essentiel dans ce type de situation, d’abord énoncé dans le jugement Créances Garanties du Canada et repris par la CRT, repose sur le constat que la formation dispensée ne constitue pas un « actif personnel » pour l’employé. En effet, il lui est impossible d’utiliser la formation reçue ailleurs que dans le cadre particulier de son travail chez cet employeur et pour cette campagne bien précise :

« [27] […] En effet, non seulement cette formation dispensée aux agents n’est-elle pas susceptible de leur profiter ailleurs, mais elle ne vaut que pour une campagne donnée chez leur employeur, tout étant à recommencer chaque fois qu’une campagne prend fin et qu’une autre s’amorce. Force est de conclure que la clause de remboursement en question contrevient à l’article 85.1 de la loi et que l’intimée n’avait pas le droit d’exiger sa signature. »[5]

L’expression « frais reliés aux opérations d’une entreprise » renvoie aux frais découlant des activités normales de l'entreprise dans la réalisation de l'objet dominant qu'elle s'est donné. Si la formation est indispensable à l’entreprise et que l’employé n’en tire aucun bénéfice à l’extérieur de sa relation exclusive employeur-employé, les frais liés à cette formation constituent des frais reliés aux opérations de l'entreprise au sens de l’article 85.1 de la LNT et doivent donc être assumés par l'employeur.

Rappelons finalement qu’en vertu de l’article 57(4) de la LNT, le salarié qui suit une formation à la demande de l’employeur est considéré au travail et qu’il doit, à ce titre, recevoir au moins le salaire minimum en application de l’article 40 de la Loi. Ce dernier article prévoit qu’un salarié « a droit de recevoir un salaire au moins équivalent » au salaire minimum fixé par le gouvernement, alors que l’article 57 prévoit certaines situations où le salarié est réputé être au travail, notamment en « période d’essai ou de formation exigée par l’employeur ». Une clause de remboursement de formation est donc susceptible de contrevenir également aux dispositions applicables quant au salaire minimum.

En conclusion, on ne peut imposer par contrat une clause prévoyant le remboursement de frais reliés à la formation en cas de départ volontaire lorsque ladite formation est à l’avantage unique de l’employeur. Un employé congédié à la suite du refus de signer une telle clause peut donc exercer un des recours prévus aux articles 122 et 123 de la LNT. Ainsi, dans la décision Atelka précitée, le juge administratif a accueilli la plainte, annulé le congédiement et ordonné la réintégration de la plaignante dans ses fonctions.

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Source : VigieRT, septembre 2010.


1 Chayer c. Atelka Inc., 2010 QCCRT 128.
2 L.R.Q., c. N-1.1.
3 Créances garanties du Canada c. Commission des normes du travail, 2008 QCCA 1428.
4 Précité, note 3, p. 8.
5 Précité, note 1, p. 8.
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