Vous lisez : Gérer en contexte inédit

Le contexte actuel de pandémie et de confinement exige une grande capacité d’adaptation des gestionnaires, qui naviguent en eaux inconnues. Julie Carignan, CRHA et psychologue organisationnelle chez SPB, propose des repères pour mieux comprendre nos réactions en temps de crise, ainsi qu’une stratégie en cinq axes pour garder le cap.

« Dans ce contexte complètement nouveau, les dirigeants font face à quatre grands facteurs de stress : l’inconnu, l’imprévisibilité, l’impuissance et l’insécurité. En plus de leur propre stress, ils vivent celui de leurs collègues et de leurs employés. Il est donc important qu’ils comprennent où ils en sont et quelles réactions sont normales dans cette situation exceptionnelle. »

Les réactions normales face à une crise

Toute personne se trouvant en situation de crise traverse quatre phases d’ajustement que Julie Carignan illustre par l’exemple d’une chute en rafting.

La chute

C’est le déclenchement de la crise, le moment de choc et de surprise qui se compare au sentiment vécu au moment de tomber à l’eau. Le gestionnaire doit alors compter sur ses réflexes et sa préparation : s’il a l’habitude de tomber, il réagira plus efficacement.

La survie

La personne est en perte de repères, déstabilisée. Dans le flot des événements, elle tente de trouver une bonne posture, de reprendre son équilibre. Le gestionnaire lutte pour sa survie, celle de ses équipes et de son organisation.

L’ajustement

Au cours de cette phase, le gestionnaire redevient capable de prendre les vagues. Il regagne un certain équilibre, un meilleur contrôle de la situation, mais il est encore en danger et doit rester vigilant car de nouveaux obstacles peuvent surgir à tout moment.

La remontée

C’est le moment où l’on peut enfin regagner le bateau et y remonter, tout en ayant conscience que le paysage ne sera plus jamais le même. Ce n’est pas un retour à la normalité d’avant, aussi le gestionnaire doit-il bien déchiffrer son nouvel environnement interne et externe.

« Dans la phase de survie, le gestionnaire est sur l’adrénaline, dans le feu de l’action, explique Julie Carignan. Il peut travailler de longues heures, faire de courtes nuits. C’est une période exigeante qui ne devrait pas s’éterniser au-delà d’une semaine environ, car notre système ne peut la maintenir à long terme. »

5 axes de gestion à développer

À l’heure actuelle, la plupart des gestionnaires devraient se trouver en phase d’ajustement. À cette étape, le dirigeant n’a pas le loisir de se consacrer à de longues formations, cependant de courts apprentissages ciblés peuvent lui être utiles. C’est dans cette optique que Julie Carignan et son équipe ont développé le Parcours virtuel COVID-19, un programme de soutien quotidien (10 minutes de réflexion et d’exercices chaque jour), qui mise sur cinq axes de gestion, pendant un total de quatre semaines. En voici un résumé.

Axe 1 : Le « focus » du gestionnaire

  • Analyser ses comportements afin de mieux les comprendre, et s’ancrer dans son identité de leader, qui sera différente pour chacun. Pour ce faire, le gestionnaire peut se demander : « Quel leader ai-je envie d’être? Quel modèle aimerais-je incarner? Quelle est la posture que je désire adopter? » Revenir à cette identité dans les moments difficiles l’aidera à prendre du recul pour mieux agir.
  • Morceler ses objectifs et réaligner quotidiennement ses priorités et celles de ses équipes.
  • Maximiser sa concentration en s’outillant à cette fin. Certains sont peut-être habitués au télétravail, mais l’ont sans doute rarement vécu avec autant de distractions, de stress, d’anxiété ou d’attentes nuisibles à la concentration.
  • Conserver sa motivation dans les inévitables périodes de découragement, en se demandant : « Dans les moments difficiles, qu’est-ce qui me permettra de me garder à flot, de m’accrocher? »

Axe 2 : Gestion de l’anxiété individuelle

  • Faire un « scan » tête-corps-cœur plus régulier qu’à l’habitude en se demandant : « Comment suis-je dans ma tête, dans mon corps, dans mon cœur? Quelles sont les pensées et les émotions qui m’habitent? Quels sont mes besoins en ce moment? »
  • Gérer son énergie et prendre soin de soi : bien manger, bien dormir, faire de l’exercice, d’autant plus qu’on sort de l’exigeante phase de survie et que la phase d’ajustement risque d’être longue.
  • Rester dans le moment présent par la présence attentive, la méditation ou le yoga, autant d’activités qui aident à prévenir l’anxiété.
  • Gérer ses attentes : il est normal que la productivité baisse en situation d’ajustement, aussi faut-il faire preuve de bienveillance envers soi-même, ses équipes, son organisation et ses proches à la maison.

Axe 3 : Gestion de l’anxiété de groupe

  • S’intéresser aux personnes en démontrant un intérêt authentique pour ce qu’elles vivent, et organiser des rencontres virtuelles un à un au besoin. Loin d’être une perte de temps, ces gestes vers les autres favorisent la cohésion et l’entraide.
  • Cultiver la bienveillance. Tenir pour acquis qu’on a tous de bonnes intentions, et rappeler l’intention commune lorsque la tension monte. Accueillir les émotions sans jugement et ramener de la bienveillance dans les échanges.
  • Développer l’entraide et favoriser explicitement la collaboration, par exemple en formant des équipes et en reliant ceux qui ont tendance à se retirer.
  • Agir comme un chef d’orchestre : aiguiser ses capacités de planification et d’organisation pour rassembler les gens en harmonie vers l’atteinte des objectifs.

Axe 4 : Proximité sociale

  • Créer un sentiment de confiance, car la sécurité psychologique est essentielle à la proximité sociale. Réitérer sa confiance en ses employés et les soutenir, recadrer ses attentes envers eux et les aider à gérer leurs propres attentes envers eux-mêmes en cette période d’ajustement.
  • Apporter un soutien à l’autonomie : faire un tableau des personnes plus ou moins autonomes pour soutenir en priorité celles qui en ont le plus besoin.
  • Créer la proximité de groupe en instaurant des rencontres de groupe virtuelles informelles pour préserver la cohésion d’équipe – des 4 à 6, par exemple.
  • Reconnaître les efforts et les bons coups, et se discipliner à le faire davantage, car on risque de l’oublier dans le feu de l’action.

Axe 5 : Productivité

  • Alignement quotidien de l’équipe : resserrer les rencontres pour privilégier des rencontres quotidiennes, quitte à les faire plus courtes.
  • Gestion de la capacité individuelle et collective : faire le point avec chaque personne, s’informer de sa situation personnelle et ajuster les tâches en fonction de la capacité de travail, laquelle peut fluctuer de jour en jour.
  • Utilisation efficace des outils : offrir des formations et des conseils sur les outils de communication virtuels, ceci afin que tous puissent les utiliser.
  • Suivi des livrables : s’assurer que tous vont dans la bonne direction avec bienveillance et dans une optique de soutien – et non à la manière d’un audit – pour favoriser l’autonomie et la confiance.

En terminant, Julie Carignan suggère de progresser dans ces apprentissages à petits pas, afin que chacun puisse respecter sa propre capacité à intégrer ou à renforcer ces compétences. « La COVID-19 est une situation inédite et souvent difficile, conclut-elle, mais elle représente une occasion de se réinventer. Toutes les leçons que nous en tirerons seront bénéfiques pour le futur. »

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